Génocide contre l’enfance en Tunisie : lettre ouverte à la directrice générale de l’Unesco
Excellence,
Excellence,
C’est un ancien ambassadeur d’un ancien pays qui vous écrit pour attirer votre attention sur une tragédie qui se joue à huis clos. Cette missive, je ne l’ai pas ornée de paroles ampoulées, ou de ces autres parures dont certains ont coutume de broder leurs propos ; car j’ai voulu où que rien ne fît honneur à cette lettre, où que seules la gravité du sujet et l’ampleur du désastre la fassent agréer. Il ne s’agit ni du terrorisme islamo-fasciste qui frappe ce paisible pays que fut la Tunisie, ni de la faillite économique d’une ex-économie émergente et florissante, ni de la cacophonie politique qui y règne depuis bientôt trois ans. Aucun de ces maux qui gangrènent la Tunisie ne relève de votre domaine de compétence. C’est l’affaire des Tunisiens, qui doivent affronter le destin qu’ils ont choisi ou subi en janvier 2011. Je vous interpelle sur une question tragique qui relève de votre domaine de compétence, d’habilitation et même d’obligation morale. Il s’agit, Madame la Directrice générale, de la régression abyssale qu’a connue l’éducation nationale. Il s’agit aussi des jardins d’enfants coraniques qui se métastasent partout en Tunisie. L’invitation par l’Unesco du président provisoire de la Tunisie éternelle rend cette missive à la fois contingente et opportune. Que cet homme, qui a construit toute sa légende sur le mythique respect des droits de l’Homme, que vous vous apprêtez d’accueillir, réponde du crime contre l’enfance et soit interrogé par votre auguste assemblée sur les 100 000 élèves de 6 à 16 ans, déscolarisés en une année, soit 5,2% de la population totale scolarisée. Ce chiffre effrayant et affligeant au pays de Bourguiba qui a fait de l’éducation pour tous un impératif catégorique n’émane pas des ratiocinations d’un philosophe alarmiste, pas plus que ses conséquences – l’effondrement graduel de toute une nation – ne relèvent des élucubrations de Cassandres. Ce chiffre vient du ministère de l’Education nationale qui a fini par rompre l’omerta après la publication d’une enquête financée par l’Unicef. Dans son rapport annuel de 2012, celle-ci a reconnu que «ce fléau touche 80 000 enfants en âge de scolarité obligatoire». Nous en sommes aujourd’hui à 100 000, et si rien n’est fait pour arrêter cette tragédie, nous en serons l’année prochaine à 200 000. En février 2013, une copie de ce rapport a été remise à Moncef Marzouki par Maria Luisa Fornara, la représentante de l’Unicef. Depuis, rien n’a été fait, et pour cause : plutôt que de stopper d’urgence ce «fléau», le président provisoire préfère gloser devant les instances internationales sur les acquis de la «révolution» bouazizienne et s’immiscer dans les affaires de l’Egypte et de la Syrie. La nonchalance de ce gouvernement a amené Basma Krichène à le rappeler à ses obligations : «L'actuel gouvernement n'a pris aucune mesure pour désamorcer une véritable bombe à retardement… A qui profite le crime ?» s’interrogeait-elle dans un émouvant plaidoyer publié par le site Kapitalis, le 22 août dernier. Ce crime profite manifestement aux Frères musulmans qui ont fait main basse sur la Tunisie et à leurs acolytes, les salafistes. C’est toujours par la domestication des plus vulnérables (la femme et l’enfance) que commence le totalitarisme vert. D’où ce second cancer qui ronge la Tunisie : la métastase des crèches coraniques, un «acquis» de la «révolution du Jasmin» ! Le même rapport de l’Unicef indiquait que «le ministère des Affaires de la femme et de la famille (MAFF) manque de moyens d’inspection des jardins d’enfants, notamment avec la prolifération des jardins d’enfants coraniques qui échappent au contrôle de l’Etat… ». Mais ce rapport n’évoque pas l’enseignement nauséabond et pernicieux de ces crèches coraniques, ni l’origine des fonds saoudiens et qataris qui les ont financées. En moins de trois ans, le nombre de ces crèches coraniques a atteint les 702, selon le dernier recensement du MAFF. Mais pour une responsable syndicale, leur nombre dépasserait en réalité les 2 000, alors que celui des crèches séculaires arrive à peine à 4 005. Lors d’une conférence de presse en septembre dernier, la ministre de ce ministère dévoyé a déclaré qu’elle «n’a aucune objection à l’ouverture de jardins d’enfants coraniques». Idem pour le ministre des Affaires religieuses qui «refuse que des jardins d’enfants coraniques soient fermés sur la base de leur caractère religieux». Il ne s’agit donc pas de manque de moyens d’inspection, comme le suggère le rapport cité, mais d’une stratégie d’Etat répondant à l’exigence de son guide suprême, Rached Ghannouchi, qui a demandé à ses ouailles islamistes et salafistes, dès 2011, de «créer des associations et des établissements préscolaires et scolaires pour former les futures générations». En réalité, il ne s’agit guère de religion, encore moins de spiritualité, mais d’activités bassement lucratives dont l’enseignement consiste à distiller le poison wahhabite dans l’esprit d’enfants de 3 à 5 ans. Des outils pédagogiques gracieusement offerts par l’Arabie Saoudite, jusqu’à la formation accélérée des éducatrices prêcheuses, tout est fait pour détruire les crèches et les écoles laïques et républicaines dont la naissance remonte à l’aube de l’indépendance. La remarquable enquête de Hanène Zbiss montre l’ampleur et l’horreur de ce phénomène, ainsi que les dégâts psychologiques irréparables qu’il entraîne sur des milliers d’enfants. Selon cette enquête publiée par la revue Réalités, les animatrices portent toutes le niqab et outre l’islam nécrosé dont elles gavent leurs jeunes victimes, elles incitent les petites filles à porter le voile et leur apprennent à dessiner et à colorier «des personnages sans yeux, sans nez et sans bouche», car la représentation de visages est interdite dans la doctrine wahhabite. On leur apprend aussi des chants religieux, mais sans musique et sans percussions, parce que c’est interdit par Allah. Une maman victime de ce réseau islamo-mafieux raconte comment on inculque à des enfants le djihad : «Mon fils chantait souvent une chanson dont les paroles disaient : mon ancêtre est Saladin et j’irai combattre en Palestine» ! Tel le fonctionnement des sectes, le rôle des animatrices «ne se limite pas seulement à apprivoiser les enfants, mais s’étend aux parents, en incitant les petits à faire du prosélytisme auprès d’eux, pour les ramener au droit chemin». La mixité est évidemment strictement interdite, sans doute pour éviter l’accouplement des enfants ! Mais ce n’est pas des enfants de leur âge que ces innocents ont à craindre, mais des pédophiles qui ont mission de les garder : en mars dernier, dans une crèche coranique à la Marsa, une petite fille de trois ans a été violée par le gardien d’une crèche islamiquement correcte ! C’est sur ces crimes contre l’enfance tunisienne que j’ai voulu attirer votre attention. Lors d’un congrès récemment organisé par un émirat porteur du virus wahhabite, vous avez déclaré que «l’éducation doit être préservée même dans les situations extrêmes». Vous avez, Madame la Directrice générale, les leviers suffisants et les moyens institutionnels pour arrêter ce massacre abominable par lequel ce gouvernement illégal et illégitime depuis le 23 octobre 2012 cherche à imposer aux Tunisiens une nouvelle façon de penser, de s’éduquer, de vivre, de s’habiller et même de croire. De ce gouvernement criminel, le président provisoire que vous accueillez est à la fois le complice et la caution droit-de-l’hommienne. Je sais qu’il n’est pas dans les usages et les procédés de l’Unesco, organisation des Etats, de blâmer un président si contingent et si temporaire soit-il. Ce n’est point ce que je vous demande. Mais je sais aussi que c’est dans la mission et la vocation même de notre organisation onusienne de faire respecter l’éducation pour tous et de protéger l’enfance des sectaires et des prédateurs, que ce soit des individus ou des groupes, à plus forte raison des Etats. C’est à l’Unesco et à elle seule que revient ce «droit d’ingérence» pour que le destin des milliers d’enfants tunisiens déscolarisés ne soit pas celui des enfants de Calcutta, et que celui des centaines d’autres qui subissent l’endoctrinement wahhabite ne soit pas celui des hordes fanatisées qui mènent le djihad en Syrie. Ce serait un terrible caprice de l’histoire pour mon pays, dont le taux de scolarisation était en 2010 de 99%, dont le bey Hammouda Pacha a rejeté l’hérésie wahhabite dès 1810, dont l’illustre Bourguiba a décrété il y a plus d’un demi-siècle l’obligation, la généralisation, la gratuité et la sécularité de l’enseignement et qui a été l’un des premiers pays arabes à ratifier la Convention internationale des droits de l’enfant.
Mezri Haddad
Philosophe et ancien ambassadeur de Tunisie auprès de l’Unesco
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