Jacob Cohen à Algeriepatriotique : «Une explosion de grande ampleur n’est pas à exclure au Maroc»
Algeriepatriotique : Vous venez de répondre au conseiller du roi du Maroc, André Azoulay, dans un langage cru. Qu’est-ce qui vous a fait réagir avec autant de virulence ?
Algeriepatriotique : Vous venez de répondre au conseiller du roi du Maroc, André Azoulay, dans un langage cru. Qu’est-ce qui vous a fait réagir avec autant de virulence ?
Jacob Cohen : L’affaire remonte à janvier 2012 lorsqu’un responsable d’une grande salle à Casablanca a annulé ma conférence en prétextant des travaux qui n’ont jamais eu lieu. J’avais alors diffusé un article intitulé : «Autocensure : la maladie infantile de la démocratie marocaine». J’ai expliqué ce boycott par le fait que je n’allais pas tenir le discours convenu de ceux qui prônent le dialogue, mais en réalité préparent le terrain à la légitimation d’Israël dans le monde arabe, et en particulier au Maroc. Je tenais alors André Azoulay pour le maître d’œuvre de cette politique qui affaiblit le monde arabe face à la pénétration sioniste. De mon point de vue, son rôle est extrêmement néfaste.
D’où l’inamovible et très écouté André Azoulay tient-il son influence sans limites ? Où n’est-ce qu’une vue de l’esprit ?
C’est un homme extrêmement puissant, travaillant dans l’ombre, disposant de réseaux influents en France et aux Etats-Unis. Il faut d’abord rappeler que c’était un dirigeant d’une grande banque française. Il est probable qu’il fasse partie du Bnai Brit, la franc-maçonnerie juive internationale, qui regroupe 500 000 membres à travers le monde et très bien représentée en Amérique. Il est presque chez lui à New York et doit certainement fréquenter le gratin de cette métropole économique et financière. Or, c’est là que sont attribués les prêts financiers, que sont conclus la plupart des grands accords bancaires, commerciaux et douaniers. Azoulay peut ouvrir toutes les portes pour un pays comme le Maroc.
Des éléments probants montrent qu’André Azoulay a contribué dans une large mesure à semer le doute sur la situation qui a prévalu en Algérie dans les années 1990, en faisant la promotion de la thèse du «qui tue qui» qui absolvait les terroristes de leurs actes criminels. Cet acharnement contre l’Algérie s’explique-t-il uniquement par la mésentente entre nos deux pays sur la question du Sahara Occidental ?
Les tensions entre le Maroc et l’Algérie remontent à 1963. Et ce qu’on a appelé «la guerre des sables». Un conflit armé tout de même entre deux pays «frères» nouvellement indépendants. L’affaire du Sahara Occidental n’est qu’une manifestation de ces tensions, plus liées à la question d’hégémonie régionale. En soutenant le Sahara Occidental, l’Algérie cherche à affaiblir son voisin et concurrent et à l’enfoncer dans une guerre sans fin. Je ne crois pas beaucoup au droit international. Les Etats ne l’invoquent que lorsque cela les arrange. C’est valable pour tous les pays. Si les conflits se réglaient conformément au droit international, on s’adresserait plus souvent à la Cour internationale de justice. Or, elle est quasiment au chômage.
Pensez-vous que l’Algérie et le Maroc pourraient transcender leurs différends malgré la différence radicale entre les deux régimes ; l’un, marocain, monarchique et ultralibéral, l’autre, algérien, républicain et entretenant une sorte de socialisme déguisé ?
Le problème pour ces deux pays voisins est de trouver un modus vivendi d’équilibre régional et de respect mutuel. Ce qui ne semble pas le cas actuellement, bien que cette situation soit terriblement préjudiciable aux deux pays qui ont des économies complémentaires. Et qui le paient cher. Quand on pense à ce qu’ils auraient pu réaliser en commun pendant les 40 dernières années ! Pour utiliser une référence marxiste, je dirais que les différences entre les deux régimes représentent la superstructure, c’est-à-dire l’expression de contradictions et d’oppositions beaucoup plus structurelles, et qui y vont de leur survie. Le plus terrible, c’est cette dynamique de la défiance et de la haine qui s’est enracinée et qui pourrait compromettre un vrai rapprochement, malgré une bonne volonté des dirigeants. Je crois que ces derniers finissent par être prisonniers de leurs propres mythes.
L’opposant Abdelmoumène Diouri, avant de rentrer au Maroc après un long exil, a publié son fameux livre A qui appartient le Maroc ? Avez-vous une réponse à cette question ?
Le Maroc appartient de plus en plus – ce qui n’était pas le cas jusque dans les années 80 – au Palais royal et à ses affidés, avec la collaboration complice des grandes multinationales. On peut dire aujourd’hui qu’aucune activité économique d’importance n’échappe, au moins en grande partie, à l’emprise du roi. Et cela ne concerne pas seulement les secteurs modernes de l’économie. L’agriculture, secteur traditionnel par excellence, est devenue un enjeu capital pour l’enrichissement de la monarchie. Les meilleures terres, surtout celles qui étaient occupées par les colons français, sont devenues la chasse gardée du pouvoir et de ses obligés et représentent un secteur productif tourné vers l’exportation.
Les indicateurs économiques et financiers montrent que le Maroc traverse une crise sévère qui l’oblige à recourir à l’emprunt malgré une dette extérieure faramineuse, hypothéquant ainsi jusqu’à son indépendance. Quelles sont les raisons de cette crise ? Comment un Maroc surendetté pourrait-il en sortir ?
Les raisons de la crise résident dans le choix du développement choisi, c’est-à-dire favoriser une minorité privilégiée au détriment de la majorité et en y associant des groupes internationaux, intéressés par un bénéfice immédiat et rapatriable. Et on s’y enfonce en en devenant l’otage de leurs exigences. Tant que le Maroc poursuivra dans cette logique financière et marchande, on ne voit pas comment il peut se libérer de l’emprise internationale. Sans compter que les possédants nationaux n’ont qu’une hantise : faire échapper leur fortune au fisc par la corruption et l’évasion dans les paradis fiscaux.
Le Maroc est-il à l’abri d’une explosion sociale si la situation empirait davantage ?
Des explosions sociales, il y en a déjà eu. J’en ai vécu personnellement trois. En 1965, 1981 et 1984. Et il y en a toujours, mais qui restent localisées. Le peuple n’en peut plus devant les inégalités criantes, la corruption et les injustices. Mais ces explosions sont toujours matées dans le sang. En 65, on tirait à la mitraillette sur les manifestants des hélicoptères. Une explosion d’une grande ampleur n’est pas à exclure, mais le régime n’hésitera devant aucune extrémité pour la mater, car il aura le soutien total de l’Occident et du monde arabe qui n’ont pas envie de voir tomber un de leurs bastions. Regardez la révolution à Bahreïn, comme elle est noyée dans le sang dans l’indifférence des médias et le silence des chancelleries.
Comment expliquez-vous la main tendue par le Conseil de coopération du Golfe (CCG) au Maroc, pourtant moins riche et géographiquement éloigné ?
Solidarité de monarchies, de régimes, de pays ayant la même vision de leurs intérêts, totalement dépendants de l’Amérique et incapables d’avoir une vision propre, collaborant plus ou moins ouvertement avec l’Etat sioniste. Les monarchies du Golfe se sont toujours «inquiétées» du sort du Maroc, notamment lorsque des régimes révolutionnaires arabes voulaient abattre cette monarchie «rétrograde et réactionnaire». Une des principales raisons qui font que le régime marocain tient malgré tout et arrive à s’en sortir, c’est l’aide généreuse du Golfe. Le roi s’y rend régulièrement pour parfois «boucler les fins de mois».
Le sionisme domine le monde à travers les deux leviers superpuissants que sont les finances et les médias, compensant ainsi son infériorité numérique. Jusqu’à quand cette omnipotence pourra-t-elle durer, selon vous ?
Cette omnipotence durera tant que dureront la puissance et l’utilité d’Israël. En fait, tout se tient, tout le système est lié. Les deux côtés s’aident et se renforcent mutuellement. Malgré tout, un changement est en train de s’opérer au niveau des médias. L’omnipotence sioniste est battue en brèche. Le discours antisioniste passe de plus en plus. Les critiques d’Israël sont devenues quotidiennes.
Comment le sionisme arrive-t-il à phagocyter les institutions politiques des puissances occidentales ?
Le sionisme a inventé un réseau unique dans l’Histoire. Il s’appuie sur une espèce de cinquième colonne composée de dizaines de milliers de juifs qui habitent hors d’Israël. Ces juifs sionistes acceptent de collaborer avec le Mossad depuis les années 50. On les appelle des sayanim (informateurs, ceux qui aident, en hébreu). J’ai décrit leur action en France dans mon livre Le Printemps des Sayanim (éd. L’Harmattan). Ces sayanim occupent des postes importants dans tous les secteurs d’activité : les universités, les institutions financières et gouvernementales, le cinéma, la musique, la publicité, et surtout dans les médias. Ils contrôlent et façonnent l’information. Imaginez 5 000 sayanim à Hollywood contrôlant l’industrie du cinéma et de la télévision. Imaginez 5 000 sayanim à New York contrôlant la finance. Et 5 000 à Washington contrôlant le Congrès. Et il y en a des milliers en Angleterre, en Allemagne, etc. André Azoulay, pour moi, en est certainement un. Et vous comprendrez comment cette puissance occulte soutient la cause sioniste.
Le sionisme pourrait-il être vaincu ? Comment ?
Le sionisme est un colosse aux pieds d’argile. Parce qu’il est en train de perdre sa légitimité dans le monde entier. Malgré l’activisme des sayanim, Israël n’a plus la côte. Quand on a connu les années 60 et 70, on voit tout le chemin parcouru. La victoire serait à portée si le peuple palestinien n’était pas dirigé par une bande de collabos, prêts à «négocier» avec l’occupant pour quelques privilèges illusoires, avec la bienveillance de l’Occident et des dirigeants arabes. Si l’Autorité palestinienne acceptait de se dissoudre et de laisser Israël redevenir un vrai occupant, au vu et au su de tous, les sionistes ne tiendraient pas deux ou trois ans. Le monde entier ne pourra faire autrement que de les boycotter, exacerbant les tensions internes qui minent la société israélienne.
Vous êtes établi en France où toute critique contre Israël est assimilée à de l’antisémitisme. Comment vivez-vous cette situation ?
C’est une situation excessivement pénible. Par exemple, j’ai été agressé à 2 reprises par la Ligue de défense juive, un groupe sioniste extrémiste. Il n’y a eu ni enquête ni procès. La première agression a été classée sans suite. Alors que des insultes antijuives entraînent souvent des peines de prison ferme. On doit se battre contre tout cela aussi.
Beaucoup d’observateurs notent une jonction entre l’extrémisme religieux incarné par la mouvance salafiste et le sionisme. Quel est votre avis ?
Il peut y avoir convergence d’intérêts dans certaines situations particulières, comme le sionisme peut aussi bien s’entendre avec des dictateurs laïques ou des monarchies modérées. Il ne faut pas en tirer des généralités. Le sionisme cherchera toujours des alliances conjoncturelles, surtout si elles divisent le camp arabe. Diviser pour régner.
Le «printemps arabe» est-il un mouvement spontané des peuples dans les pays qui l’ont vécu ou est-ce la conséquence d’un plan de déstabilisation ourdi «ailleurs» et dont la mise en œuvre a été facilitée par le ras-le-bol des populations arabes ?
Je suis convaincu que le «printemps arabe» a été un mouvement spontané. Les pays occidentaux sont tout, sauf fous. Quel intérêt de déstabiliser les régimes tunisien et égyptien, alliés fidèles de l’Amérique et très compréhensifs à l’égard d’Israël ? Cette vieille «stabilité» était louée de partout et l’Occident fermait les yeux sur le reste. Mais une fois que l’Occident a compris que c’était fichu, il s’est arrangé pour suivre le mouvement et en contrôler l’évolution. En ce sens, tout semble rentrer dans l’ordre, l’ordre d’avant bien entendu. Trop d’intérêts sont en jeu. On ne laissera jamais un pays arabe choisir la voie qui lui convient. C’est ça l’impérialisme. Et il a de solides arguments et des alliés arabes qui obéissent au doigt et à l’œil.
Entretien réalisé par M. Aït Amara et Mohamed El-Ghazi
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