Ya louachoul, entendez-vous !*
Dans une déclaration publiée à la veille de la session de l’APW de Tizi Ouzou consacrée à la langue tamazight, le groupe RCD dénonce le FFS «partenaire des fossoyeurs de l’identité amazighe» (Liberté du 18.11.2013). El-Mouradia trouve là l’occasion d’intervenir dans les affaires des frères ennemis qui ne se sont jamais entendus sur quoi que ce soit. Au moyen de manœuvres de la plus haute voltige, le Président arrive à faire réunir le groupe RCD et le groupe FFS à El-Mouradia. Trois hautes personnalités de chaque groupe sont accueillies, tour à tour, à l’aéroport par les voitures rutilantes de la Présidence. Nous sommes en novembre, il pleut, il fait froid. On les fait entrer dans une vaste pièce nue meublée d’une table et de chaises en bois. Le Président les salue, leur fait part de son désir d’un arrangement à l’amiable concernant tous les problèmes qui les divisent. «Les élections présidentielles sont pour bientôt, leur a-t-il dit, je veux un communiqué concernant votre entente le plus vite possible.» Les deux parties remercient le Président de sa bonté et demandent chacun un téléphone, celui du RCD branché sur Paris, celui du FFS branché sur Genève.
– Comme vous voulez, dit le Président, et il quitte la pièce.
Les négociateurs attendent les téléphones qui ne viennent pas. Ils paniquent. Quand les représentants des deux partis essayent de sortir en bousculade, une personne du FFS force la porte et pousse un cri de détresse :
– Nous sommes enfermés à clef !
Deux autres du RCD s’efforcent d’ouvrir mais la porte résiste. Quelqu’un suggère :
– Passons par la fenêtre !
Sous la fenêtre, il y a quatre djounoud du groupement de gendarmerie, mitraillettes braquées sur les fenêtres. Les négociateurs s’assoient autour de la table, morfondus.
Le soir, le président du Sénat entre dans le bureau du Président et annonce :
– Monsieur le président, ils demandent à manger.
– Dites-leur qu’ils pourront manger tant qu’ils voudront dès qu’ils auront signé un accord.
– Bien, monsieur le Président.
– Au fait avez-vous arrêté le chauffage ?
– Oui, monsieur le Président.
– C’est parfait.
Le lendemain, le chef du protocole entre :
– Monsieur le Président, ça coule sous la porte. Ils font à même le sol, ça sent mauvais.
– Laissez-les, ils sont assez grands.
Trois jours plus tard, le chef du protocole entre.
– Il y a le président de l’Association des droits de l’Homme et ses adjoints qui demandent à être reçus, monsieur le Président.
– Faites-les entrer.
Le premier de ces messieurs prend la parole :
– Monsieur le Président, nous estimons que vous violez les conventions internationales en traitant comme vous le faites des dirigeants de partis politiques que vous avez capturés.
– On a beaucoup exagéré, je leur offre l’hospitalité pour qu’ils s’entendent. Je les traite avec justice.
– Nous croyons savoir qu’ils n’ont pas mangé depuis quatre jours et qu’ils manquent d’eau et de sanitaires. Ils ne peuvent pas communiquer avec leurs familles et ils n’ont pas droit de parler avec un de nos représentants.
– Je n’ai jamais contraint personne par la force, dit le Président. Quand ils auront placé les intérêts du pays avant leurs propres intérêts comme tout bon patriote, je les libérerai et les renverrai à leurs familles. Au revoir messieurs.
Le mardi, le président du Sénat demande à voir le Président :
– Monsieur le Président, je les ai vus. Ils sont d’accord sur le principe d’un quatrième mandat, d’accord sur la révision de la Constitution. Ça bloque sur tamazight et ils n’en démordent pas. Le RCD veut que tamazight soit écrit en tifinagh, le FFS en latin. Ils n’arrivent pas à se mettre d’accord.
– S’ils en sont toujours là, j’aurai la paix. Ignorez-les.
Le mercredi, un conseiller de service vient rapporter :
– Deux représentants se sont évanouis chez le RCD et un cadre du FFS voit des mirages. Je crois qu’un accord est en vue.
– Prévenez la télévision. Nous parviendrons sans doute à un accord dans les quarante-huit heures. Enlevez les chaises de la pièce, qu’ils restent debout un moment, ça leur fera les pieds.
Le vendredi à dix-huit heures précises, un conseiller arrive en courant.
– Ils sont parvenus à un accord, monsieur le Président.
– Bonne chose. Quels sont les termes de leur accord ?
-Ils disent que vous n’avez qu’à le rédiger et ils signeront. Tout ce qu’ils demandent, c’est à manger, à boire et un lit.
– Faites venir la télévision, et ne manquez pas de leur faire un brin de toilette. Je ne veux pas que l’on pense que j’ai fait pression sur eux pendant qu’ils négociaient.
Abderrahmane Zakad, urbaniste
*Inspiré du livre Enfants de la grande société– Art Buchwalg
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