Dérive ou liberté ?
Par Karim Bouali – L’enquête filmée sur les «résidences universitaires filles» diffusée par la chaîne Ennahar TV, mardi à 22h, pose, pour les journalistes et les médias en général, le problème du très délicat rapport entre la liberté d'expression et les libertés individuelles. D'un côté, les médias ont le droit d'enquêter, c'est leur mission ; de l'autre, ils n'ont pas le droit de toucher à la vie privée des gens, d'autant que ces étudiantes ne sont pas des personnalités publiques. Par ailleurs, tout ceci reflète l'hypocrisie ambiante qui règne dans notre société faite d'interdits : le hidjab a été imposé aux femmes, résultat : les salons de thé sont bondés de jeunes (parfois très jeunes) filles en hidjab, maquillées à outrance, fumant cigarette sur cigarette loin du quartier ; on les retrouve aussi dans les jardins publics… Mais c'est leur affaire. Abdelmalek Sellal avait raison de dire : «Laissez les jeunes respirer !» C’est le sens qu’aurait pris l’enquête si la liberté d’expression du journaliste avait été «modulée» par son esprit de responsabilité. Sans cet équilibre entre liberté d’expression et esprit de responsabilité, toutes les dérives sont possibles et c’est ce qui est arrivé dans le cas de l’enquête sur les cités universitaires de filles où résident des étudiantes venues très souvent du pays profond et, pour nombre d’entre elles, c’est véritablement un miracle que de pouvoir poursuivre les études au-delà du bac. Le dénigrement dont font l’objet celles qui habitent les cités universitaires, à partir de quelques cas présentés comme contraires aux mœurs de notre société, est plutôt le fait des esprits rétrogrades hostiles à la présence féminine dans les universités et même dans l’emploi, et qui voudraient bien ne plus les voir y compris dans les espaces publics. Il est surprenant qu’une chaîne comme Ennahar TV se prête à ce jeu, oubliant que le combat pour l’éducation et le savoir concerne particulièrement les femmes. La place et le rôle qu’elles occupent dans toute société est un indicateur essentiel du degré de développement de celle-ci. La meilleure mise au point que pourrait faire cette chaîne serait une contre-enquête vers la future élite féminine qui occupe les premiers rangs dans les instituts et grandes écoles, qu’il s’agisse de sciences exactes, de sciences médicales ou de littérature et de sciences humaines.
K. B.
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