Presse : Messahel pourra-t-il mettre fin à l’anarchie ?
Depuis la venue d’Abdelkader Messahel à la tête du ministère de la Communication, ce département donne l’impression de mettre les bouchées doubles pour tenter d’amorcer une «normalisation» de la profession avec la participation des premiers concernés, les journalistes, qui sont des salariés, et ce qu’il est convenu d’appeler «les éditeurs» mais qui sont devenus en fait de véritables patrons de presse. Cette démarche a commencé par la carte de journaliste professionnel. Une rencontre nationale est organisée sur la question par le ministère dimanche 29 décembre 2013. On comprend l’importance de la carte de journaliste sachant qu’elle permettra, en principe, l’accès aux sources d’information et ouvrira aussi, ce n’est pas négligeable, le «droit» à certains avantages matériels. Mais aura-t-elle réellement un impact sur la qualité du produit offert aux lecteurs ? Le contenu des journaux sera-t-il meilleur, sur le plan de la qualité, c'est-à-dire une information fiable et la rigueur dans les écrits ? Quand on examine la situation actuelle de la presse écrite et, plus près encore, si on est acteur ou simplement témoin de la façon dont les journaux sont préparés, on est tenté de dire que rien n’incite à l’optimisme. Comment en est-on arrivé là ? Il n’y a pas eu d’évaluation du parcours de la presse écrite algérienne depuis son ouverture, réglementée, au privé, il y a 24 ans, à la faveur de la réforme introduite dans ce secteur par le gouvernement Hamrouche. Dans un premier temps, la presse avait joué un rôle primordial dans la lutte antiterroriste, mais visiblement grisée par les flatteries et les félicitations pour son combat, elle a oublié que les éloges du monde entier ne concernaient que son courage, et très rarement son professionnalisme. Aujourd’hui, on constate combien elle est encore loin des standards internationaux. Pour parler crûment, le tableau présenté par la presse écrite algérienne ne contient presque pas de motifs de satisfaction. Seules les autorités continuent de parler de la liberté qui la caractérise sans voir la manière dont elle en use et abuse comme si elle était dispensée de toute responsabilité sociale. Il y a un éloignement flagrant des fondamentaux du journalisme (particulièrement les fameuses cinq questions) en même temps qu’une prétention démesurée à être acteur dans les luttes politiques. La formation des journalistes et des autres métiers de la presse font cruellement défaut, d’où une tendance inquiétante au bricolage. Les autres métiers qui constituent le journal (correction, documentation, iconographie, etc.) sont vus comme « annexes» et sont sous-estimés par ce qu'on appelle communément les «journalistes» qui ne sont pourtant qu'une partie de cette catégorie (ce sont les rédacteurs), les autres aussi ouvrent droit à l'appellation de «journalistes». Ces corporations ne sont pas organisées et sont marginalisées, surexploitées et sous-payées. On va vers une pénurie de professionnels dans les années à venir si rien n'est fait pour y remédier. Aucune autorité ne contrôle réellement la fonction, hormis la justice qui ne saurait en aucun cas se substituer à une tutelle issue de la corporation, comme un conseil de l'éthique (mort-né). Résultat : une anarchie invraisemblable règne dans le métier. Illustration parmi d’autres : il n’y a pas de hiérarchisation des fonctions au sein des rédactions, au point qu'un rédacteur débutant peut devenir «éditorialiste» au bout de deux ou trois couvertures. La prolifération de titres – jusqu’à 160, dit-on – a achevé de transformer ce qui était au départ, au début des années 1990, une aventure intellectuelle et une contribution à la lutte pour la démocratie en des opportunités d’affaires comme n’importe quelle autre. C’est la manne publicitaire qui compte avant le lecteur. La concurrence effrénée entre la dizaine de quotidiens les plus anciens et les plus connus autorise, à leurs yeux, les dérapages et la plus grande légèreté dans le traitement de l'information, loin de toute objectivité et de tout professionnalisme. Ces journaux «riches» ne cachent pas leur volonté d’exercer une hégémonie sur le paysage de la presse écrite. A côté, les petits journaux répugnent à faire de sérieux efforts pour sortir de leur situation d'assistés. A leur façon, ils se mènent une curieuse concurrence et semblent ne compter que sur l'Anep, alors qu’ils pourraient se fédérer pour mieux défendre leurs intérêts et mettre fin à la position dominante d'une poignée de titres.
Karim Bouali
Comment (10)