1993-2013 : les vingt ans de «Pas de deux» entre la Russie et les Etats-Unis arrivent-ils à leur fin ?
Les dernières tensions entre les Etats-Unis et la Russie au sujet des opérations de Greenpeace en Arctique n’ont fait que confirmer un fait que personne ne daigne plus nier : les élites politiques et financières occidentales haïssent viscéralement Vladimir Poutine et elles sont épouvantées par le comportement de la Russie, à la fois au niveau de sa politique intérieure et sur la scène internationale. Cette tension était assez visible sur les visages d’Obama et de Poutine au sommet du G8 du Lough Erne où les deux leaders avaient l’air absolument dégoûtés l’un de l’autre. La situation empira lorsque Poutine fit quelque chose de jamais vu auparavant dans l’histoire de la diplomatie russe : il déclara publiquement que Kerry était malhonnête et il le traita même de menteur. Alors que les tensions ont atteint leur apogée sur la question syrienne, les problèmes entre la Russie et les Etats-Unis ne sont vraiment pas une chose nouvelle. Un regard rapide sur le passé récent suffit à montrer que les médias occidentaux sont depuis longtemps engagés dans une intense campagne stratégique visant à identifier et exploiter toute faiblesse possible dans l’ «armure politique» russe et à dépeindre la Russie comme un pays très malfaisant, non démocratique et autoritaire, en d’autres mots comme une menace pour l’Occident. Laissez-moi mentionner quelques épisodes de cette campagne de dénigrement contre la Russie (sans aucun ordre particulier) :
– Berezovsky dépeint comme un homme d’affaires «persécuté»
– Politkovskaïa soi-disant assassinée par des sbires du KGB
– Khodorkovski emprisonné pour son amour de la «liberté»
– L’ «agression » russe contre la Géorgie
– Les guerres«génocidaires» de la Russie contre les Tchétchènes
– Les «Pussy Riot« présentées comme des «prisonniers de conscience«
– Litvinenko«assassiné» par Poutine
– Les homosexuels russes «persécutés« et «maltraités« par l’Etat
– Magnitski et la «loi Magnitski« qui s’est ensuivie
– Snowden le «traître se cachant en Russie»
– Les «élections volées« de la Douma et de la présidence
– La «Révolution Blanche« de la place Bolotnaya
– Le «nouveau Sakharov«, Alexei Navalny
– Le soutien de la Russie pour Assad, le «boucher (chimique) de Damas»
– «L’intervention» constante de la Russie dans les affaires ukrainiennes
– Le «contrôle complet» du Kremlin sur les médias russes
Cette liste est loin d’être complète, mais elle est suffisante pour nos objectifs. Permettez-moi aussi d’ajouter immédiatement que le but de cet article n’est pas de démonter ces accusations une par une. Je l’ai déjà fait à maintes reprises sur mon blog par le passé, donc ceux qui sont intéressés peuvent rechercher ces articles. Je vais seulement énoncer ici quelque chose de très important que je ne peux pas prouver, mais dont je suis absolument sûr et certain : 90% ou plus du public russe considère que ces affaires sont absolument insensées, et que les médias ont fait tout un plat de faits insignifiants et non controversés. De plus, la plupart des Russes estiment que les soi-disant «forces démocratiques» que les élites occidentales soutiennent en Russie (Iabloko, Parnas, Golos, etc.) sont en réalité des agents d’influence de l’Occident payés par la CIA, le MI6, Georges Soros, et par des oligarques juifs exilés. Ce qui est certain, c’est que mis à part ces petits groupes libéraux/démocratiques, personne en Russie ne prend ces accusations au sérieux. La plupart des gens les prennent exactement pour ce qu’elles sont : une campagne de diffamation. A bien des égards, ceci rappelle plutôt la manière dont les choses se déroulaient pendant la Guerre froide, quand l’Occident utilisait ses immenses ressources de propagande pour diaboliser l’Union soviétique et soutenir les différentes forces antisoviétiques à travers le monde, y compris à l’intérieur même de l’URSS. J’ajouterais que ces efforts connurent généralement un franc succès et qu’en 1990, la vaste majorité des Soviétiques, y compris les Russes, étaient plutôt dégoûtés de leurs dirigeants. Alors pourquoi les choses sont-elles si différentes aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, nous devons analyser les processus qui ont eu lieu en Russie durant les 20 dernières années (environ), car seul un regard sur ce qui s’est passé durant ces deux décennies peut nous permettre de remonter à la racine des problèmes actuels entre les Etats-Unis et la Russie.
Quand est-ce que l’Union soviétique a véritablement disparu ?
La date officielle de la fin de l’Union soviétique est le 26 décembre 1991, le jour de l’adoption par le Soviet suprême de l’Union Soviétique de la déclaration n° 142-H qui reconnut officiellement la dissolution de l’Union soviétique en tant qu’Etat et sujet à la loi internationale. Mais c’est là une manière très superficielle et formelle de voir les choses. On pourrait argumenter que bien que l’Union soviétique ait été réduite aux frontières de la Fédération de Russie, elle a tout de même survécu à l’intérieur de ces frontières plus restreintes. Après tout, les lois ne changèrent pas du jour au lendemain, ni l’essentiel de la bureaucratie, et bien que le Parti communiste lui-même fut interdit à la suite du coup d’Etat d’août 1991, le reste de l’appareil d’Etat continua à exister. Pour Eltsine et ses partisans, cette réalité créa une situation très difficile. Ayant interdit le PCUS et démantelé le KGB, les libéraux d’Eltsine devaient encore faire face à un adversaire redoutable : le Soviet suprême de la Fédération de Russie, Parlement de la République socialiste fédérative soviétique de Russie élu par le Congrès des Députés du peuple de la Fédération de Russie. Personne n’avait aboli cette institution *très* soviétique qui devint rapidement le centre de presque toutes les forces anti-Eltsine et prosoviétique du pays. Je ne peux pas entrer dans tous les détails de ce cauchemar légal, mais il suffit de dire que le Soviet suprême se présentait comme étant le «Parlement russe» (ce qui n’est pas tout à fait vrai) et que ses membres s’engagèrent dans une campagne systématique pour empêcher Eltsine de mettre en œuvre ses «réformes» (avec le recul, on pourrait dire qu’ils essayèrent d’empêcher Eltsine de ruiner le pays). On pourrait dire que «la nouvelle Russie» et l’ «ancienne URSS» se combattaient pour le futur du pays. D’une manière prévisible, le Soviet suprême voulait une démocratie parlementaire alors qu’Eltsine et ses libéraux souhaitaient une démocratie présidentielle. Les deux partis présentaient un contraste saisissant pour la majorité des Russes :
1) Le président russe Eltsine : officiellement, il représentait la Russie, par opposition à l’Union soviétique ; il se présentait comme un anticommuniste et comme un démocrate (peu importe qu’il ait lui-même été un membre haut gradé du Parti communiste et même un membre non votant du Politburo !). Eltsine était aussi clairement la coqueluche de l’Occident et il promit d’intégrer la Russie au monde occidental.
2) Le Soviet suprême : dirigé par Rousian Khasboulatov, avec le soutien du vice-président de la Russie, Alexandre Routskoï, le Soviet suprême devint le point de rencontre de tous ceux qui considéraient que l’Union soviétique avait été dissoute illégalement (ce qui est vrai) et contre la volonté de la majorité de son peuple (ce qui est également vrai). La plupart (mais pas la totalité) des partisans du Soviet suprême étaient sinon franchement communistes, du moins socialistes et anticapitalistes. Une bonne partie du mouvement nationaliste russe, plutôt désorganisé, soutenait également le Soviet suprême.
Nous savons tous ce qui s’est finalement passé : Eltsine écrasa l’opposition dans un énorme bain de sang, bien pire que ce qui a été rapporté dans les médias occidentaux (ou même russes). J’écris cela avec certitude parce que j’ai personnellement reçu cette information de la part d’une très bonne source : il se trouve que j’étais à Moscou durant ces jours tragiques et que j’étais en contact permanent avec le colonel d’une unité très secrète des forces spéciales du KGB appelée «Vympel« (j’en reparlerai par la suite) qui m’informa que le KGB estimait que le nombre de personnes tuées à Moscou était proche des 3 000. Je peux aussi personnellement attester du fait que les combats ont duré bien plus longtemps que ce que déclarait le discours officiel : j’ai été témoin d’un long combat à la mitrailleuse juste en dessous de ma fenêtre 5 jours entiers après que le Soviet suprême se soit rendu. Je veux souligner ces faits ici parce que je pense qu’ils illustrent une réalité souvent négligée : la soi-disant «crise constitutionnelle de 1993» était en réalité une mini guerre civile décidant du destin de l’Union soviétique, et c’est seulement à la fin de cette crise que l’Union soviétique disparut véritablement. Les jours précédant l’assaut du Soviet suprême par des chars, j’ai eu l’opportunité de passer beaucoup de temps avec des partisans du Président et des partisans du Soviet suprême. J’ai pris le temps de débattre longuement avec eux afin d’essayer de découvrir par moi-même les idées que défendait chaque parti et de voir si je devais me positionner d’un côté ou de l’autre. La conclusion à laquelle je suis arrivé était plutôt triste : les deux partis étaient principalement composés d’ex-communistes ou de communistes, les deux partis prétendaient défendre la démocratie et les deux partis s’accusaient mutuellement d’être des fascistes. En réalité, les deux côtés se ressemblaient beaucoup. Je crois que je n’étais pas la seule personne à penser ça durant ces jours, et je pense que la majorité du peuple de Russie ressentait la même chose et finit par être vraiment dégoûtée de tous les hommes politiques impliqués. J’aimerais partager ici une dernière anecdote personnelle : ces jours tragiques furent plutôt incroyables pour moi. J’étais un jeune homme, né dans une famille d’émigrés russes fanatiquement antisoviétique, qui avait passé beaucoup d’années à combattre le système soviétique, et particulièrement le KGB. Et pourtant, ironiquement, je me suis retrouvé à passer la plupart de mon temps avec un colonel d’une unité des forces spéciales du KGB (la manière dont nous nous sommes rencontrés est une longue histoire que je raconterai une autre fois). Ce qui me semblait encore plus incroyable est le fait que malgré toutes nos différences, nous avions exactement la même réaction face à ce qui se passait devant nos yeux. Nous avons tous deux décidé que nous ne pouvions soutenir aucun des partis engagés dans ce conflit – les deux côtés nous semblaient tout aussi ignobles l’un que l’autre. J’étais dans son appartement quand ce colonel reçut un appel du quartier général du KGB lui ordonnant de se rendre quelque part en ville pour préparer un assaut des forces spéciales contre la «Maison-Blanche» (c’était alors le surnom populaire du bâtiment du Parlement russe) : il refusa d’obéir, envoya son supérieur au diable et raccrocha. Il n’était pas le seul à prendre une telle décision : tout comme en 1991, ni les parachutistes russes ni les forces spéciales n’acceptèrent de tirer sur leur propre peuple (d’autres forces, soi-disant»démocratiques», n’eurent pas de tels scrupules). Au lieu d’obéir aux ordres de ses supérieurs, mon nouvel ami prit le temps de me donner des conseils très précieux sur la manière de faire sortir un de mes proches de Moscou sans se faire tuer ou emprisonner (être un Russe de souche avec un passeport étranger n’était pas très sûr en ces temps-là).
Je tenais à raconter cette histoire ici parce qu’elle souligne quelque chose de très important : en 1993, une large majorité de Russes, même des émigrés exilés et des colonels des forces spéciales du KGB, étaient profondément dégoûtés et en avaient véritablement marre des deux côtés qui s’affrontaient dans cette crise. D’une certaine manière, on pourrait dire que la plupart des Russes attendaient l’apparition d’une troisième force sur la scène politique.
De 1993 à 1999 : un cauchemar démocratique
Après l’écrasement de l’opposition par les sbires d’Eltsine, les portes de l’Enfer s’ouvrirent véritablement pour la Russie : diverses mafias s’emparèrent de tout le pays et ses riches ressources naturelles furent pillées par des oligarques (juifs pour la plupart). La soi-disant «privatisation» de l’économie russe créa à la fois une nouvelle classe de multimillionnaires et plusieurs dizaines de millions de très pauvres gens qui pouvaient à peine survivre. Une vague de crime énorme déferla sur l’ensemble des villes, toute l’infrastructure du pays s’effondra et de nombreuses régions de Russie commencèrent activement à préparer leur sécession de la Fédération de Russie. Il fut ainsi permis à la Tchétchénie de faire sécession de la Fédération de Russie après une guerre sanglante et grotesque dans laquelle l’armée russe fut poignardée dans le dos par le Kremlin. Et tout au long de ces années vraiment cauchemardesques, les élites occidentales apportèrent leur soutien total à Eltsine et ses oligarques. La seule exception à cette lune de miel fut le soutien politique, économique et militaire apporté par la sphère anglo-saxonne aux insurgés tchétchènes. Finalement, ce qui devait arriver arriva : le pays se déclara en faillite en 1998 en dévaluant le rouble et en se mettant en défaut de paiement de ses dettes. Même si nous ne le saurons jamais de manière sûre, je suis persuadé que la Russie en 1999 était à deux pas de disparaître complètement en tant que pays et en tant que nation.
L’héritage laissé par les libéraux/démocrates
Ayant écrasé l’opposition en 1993, les libéraux russes obtinrent une liberté totale pour écrire une nouvelle Constitution qui conviendrait parfaitement à leurs objectifs, et avec leur courte vue caractéristique, ils adoptèrent une nouvelle Constitution qui donnait des pouvoirs immenses au Président et très peu au nouveau Parlement, la Douma russe. Ils allèrent même jusqu’à l’abolition du poste de Vice-président (ils ne voulaient pas d’un autre Routskoï pour saboter leurs plans). Et pourtant, aux élections présidentielles de 1996, les libéraux faillirent tout perdre. A leur horreur, le candidat communiste Guennadi Ziouganov remporta la majorité des votes au premier tour, ce qui força les libéraux à faire deux choses : premièrement, bien sûr, ils falsifièrent les résultats officiels, et deuxièmement, ils firent alliance avec un Général plutôt populaire de l’armée russe, Alexandre Lebed. Ces deux actions leur permirent de déclarer qu’ils avaient gagné le second tour (bien qu’en réalité, c’est Ziouganov qui l’emporta). Encore une fois, l’Occident soutint Eltsine à 100%. Et pourquoi pas ? Ayant donné à Eltsine un soutien total pour la répression sanglante des partisans du Soviet suprême, pourquoi ne pas également soutenir Eltsine dans des élections volées, hein ? Ils n’étaient plus à une infamie près. Eltsine lui-même, cependant, passa la plupart de son temps à boire comme un trou et il devint bientôt assez clair qu’il ne tiendrait pas très longtemps. La panique s’empara du camp libéral qui finit par commettre une énorme erreur : ils permirent à un petit bureaucrate de Saint-Pétersbourg peu connu et sans charisme de remplacer Eltsine en tant que président intérimaire : Vladimir Poutine. Poutine était un bureaucrate calme, compétent et discret, dont la qualité principale semblait être son manque de personnalité, ou plutôt, c’est ce que croyaient les libéraux. Et quelle erreur de jugement colossale ils ont faite là ! Dès qu’il fut nommé, Poutine agit avec une vitesse foudroyante. Il surprit immédiatement tout le monde en s’impliquant personnellement dans la seconde guerre de Tchétchénie. A la différence de son prédécesseur, Poutine donna à ses commandants militaires toute liberté pour mener cette guerre comme ils le souhaitaient. Il surprit de nouveau tout le monde en passant un accord vraiment historique avecAkhmad Hadji Kadyrov pour apporter la paix en Tchétchénie, bien que ce dernier ait été un des leaders de l’insurrection lors de la première guerre de Tchétchénie. La popularité de Poutine monta en flèche et il l’utilisa immédiatement à son avantage. Dans un formidable tournant de l’histoire, Poutine utilisa la Constitution développée et adoptée par les libéraux russes pour mettre en œuvre une série très rapide de réformes cruciales et pour éliminer les bases du pouvoir des libéraux : les oligarques juifs (Berezovsky, Khodorkovski, Fridman, Goussinski, etc.). Il fit également voter plusieurs lois destinées à «renforcer le pouvoir vertical», qui donnèrent au Pouvoir fédéral un contrôle direct sur les administrations locales. Cela, en retour, permit non seulement d’écraser bon nombre des Mafias locales qui étaient parvenues à infiltrer et corrompre les autorités locales, mais aussi de mettre fin très rapidement à tous les différents mouvements sécessionnistes au sein de la Fédération de Russie. Enfin, il utilisa ce qu’on appelle la «ressource administrative« pour créer son parti Russie Unie et pour lui apporter le soutien total de l’Etat. L’ironie de tout ça, c’est que Poutine n’aurait jamais réussi à mener ces efforts à bien si les libéraux russes n’avaient pas créé une Constitution «hyper-présidentielle» qui donna à Poutine les moyens de réaliser ses objectifs. Pour paraphraser Lénine, je dirais que les libéraux russes ont donné à Poutine la corde pour les pendre. L’Occident, bien sûr, comprit rapidement ce qui était en train de se passer, mais il était déjà trop tard : les libéraux avaient perdu leur pouvoir pour toujours (avec la Grâce de Dieu !) et le pays était fermement pris en main par une troisième force, jamais vue auparavant.
Qui a réellement mis Poutine au pouvoir ?
C’est la question à 10 000 dollars. Formellement, la réponse officielle est simple : c’est l’entourage d’Eltsine. Cependant, il est assez évident qu’un autre groupe non identifié a brillamment réussi à duper les libéraux en les amenant à laisser le renard entrer dans le poulailler. Ayez bien à l’esprit le fait que les forces prosoviétiques furent entièrement vaincues en 1993. Ce coup de maître n’était donc pas le fait de quelques revanchards nostalgiques qui voulaient ressusciter l’ancienne Union soviétique. Il est donc inutile de s’attarder sur ce camp qui, en réalité, est resté majoritairement opposé à Poutine jusqu’à ce jour. Qui d’autre alors ? En réalité, c’était l’alliance de deux forces : des éléments de l’ancien «PGU KGB SSSR« et un certain nombre de dirigeants-clés de l’industrie et de la finance. Considérons-les l’un après l’autre :
La première force était le «PGU KGB SSSR«, la branche des renseignements extérieurs du KGB soviétique. Son nom officiel était «Première Direction générale du Comité de Sécurité d’Etat de l’URSS». Ce serait plus ou moins l’équivalent du MI6 britannique. C’était sans aucun doute la composante la plus élitiste du KGB, et aussi la plus autonome (elle possédait même ses propres quartiers généraux dans le sud de Moscou). Bien que le PGU s’occupe d’un grand nombre de problèmes, il était aussi très lié avec le monde des affaires (et très intéressé par celui-ci), en URSS et à l’étranger. Puisque le PGU n’avait rien à voir avec les activités les plus sordides du KGB comme la persécution des dissidents (c’était le rôle de la Cinquième Direction générale du KGB) et puisqu’il n’était que peu concerné par la sécurité intérieure (c’était la prérogative de la Seconde Direction générale), il ne figurait pas en bonne place sur la liste des institutions à réformer, tout simplement parce qu’il n’était pas autant détesté que les parties plus visibles du KGB. La seconde force qui plaça Poutine au pouvoir était constituée de jeunes personnes venant de ministères clés de l’ex-URSS qui traitaient des questions industrielles et financières et qui détestaient les oligarques juifs d’Eltsine. A la différence de ces derniers, ces jeunes leaders ne voulaient pas simplement piller toutes les ressources de la Russie pour se retirer ensuite aux Etats-Unis ou en Israël, mais ils souhaitaient que la Russie devienne une puissante économie de marché intégrée au système financier international. Plus tard, le premier groupe se transforma en ce que j’appelle les «Souverainistes eurasiens» tandis que le deuxième devenait ce que j’appelle les «Intégrationnistes atlantistes» (référez-vous à cet article et à celui-ci pour une explication détaillée). On pourrait les désigner comme les «Hommes de Poutine» (Souverainistes eurasiens) et les «Hommes de Medvedev» (intégrationnistes atlantistes). Enfin, on ne devrait pas négliger le fait qu’il y a, bien évidemment, une troisième force qui apporta son soutien total à ce tandem Poutine-Medvedev : le peuple russe, qui a jusque-là toujours voté pour les maintenir au pouvoir.
Une formule absolument brillante dont la durée de vie a expiré
Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’idée de créer ce tandem a été tout simplement brillante : Poutine répond aux attentes des nationalistes, et Medvedev à ceux qui sont plus orientés vers le libéralisme. Poutine reçoit le soutien des «ministres du pouvoir» (défense, sécurité, services de renseignements) tandis que Medvedev obtient le soutien du monde des affaires. Poutine peut amener les autorités locales à l’obéissance en les intimidant avec des ordres émanant du Pouvoir fédéral, tandis que Medvedev met à l’aise les Etats-Unis et l’Union européenne à Davos. Ou exprimons-le ainsi : qui pourrait être contre le duo Medvedev-Poutine ? Les partisans irréductibles de l’Union soviétique, les nationalistes xénophobes enragés, les libéraux fanatiques proaméricains et les exilés juifs. C’est à peu près tout, et ce n’est pas grand-chose. Et soit dit en passant, qu’est-ce qu’on peut voir dans l’opposition d’aujourd’hui ? Un Parti communiste satisfaisant les nostalgiques de l’ère soviétique, un parti libéral-démocrate satisfaisant les nationalistes, et un parti assez réduit, «Russie Juste» dont le seul but semble être de prendre des voix aux deux autres partis et de coopter certains libéraux enragés. En d’autres mots, Medvedev et Poutine ont éliminé tout type d’opposition crédible.
Comme je l’ai mentionné dans des articles précédents, il y a maintenant des signes clairs de tensions sérieuses entre les «Souverainistes eurasiens» et les «Intégrationnistes atlantistes», au point que Poutine a maintenant créé son propre mouvement, le «Front populaire de toute la Russie » créé par Poutine en 2011 (cf. ici et ici). Ayant analysé les processus complexes qui ont amené Poutine à la Présidence en Russie, nous devons maintenant regarder ce qui s’est passé durant cette même période aux Etats-Unis.
Au même moment, les Etats-Unis dupés par les néoconservateurs
A la différence de l’Union Soviétique qui disparut littéralement de la carte du monde, les Etats-Unis «gagnèrent» la Guerre froide (ce n’est pas tout à fait vrai dans les faits, mais c’est comme ça que beaucoup d’Américains le perçoivent) et étant devenus la dernière et seule réelle superpuissance, les Etats-Unis s’embarquèrent dans une série de guerres extérieures dans le but d’établir «le spectre de leur domination totale» sur la planète, surtout après les évènements du 11 Septembre qui transformèrent profondément la nature de la société américaine elle-même. Pourtant, la société post-11 septembre prend ses racines dans un passé plus lointain : les années Reagan. Durant la présidence de Ronald Reagan, un groupe d’individus qui plus tard se fera appeler les néoconservateurs prit la décision stratégique de prendre le contrôle du Parti républicain, de ses institutions affiliées et de ses think tanks (groupes de réflexion). Alors que dans le passé, les ex-trotskystes étaient plus enclins à soutenir le Parti démocrate, présumé plus à gauche, sous Reagan, le GOP (Grand Old Party, le Parti républicain) «nouveau et amélioré» offrit aux néoconservateurs des aspects extrêmement attrayants :
1) L’argent : Reagan était un partisan inconditionnel des grandes entreprises et du milieu des affaires. Son leitmotiv «le gouvernement est le problème» [«Le gouvernement n’est pas la solution à nos problèmes : le gouvernement est le problème»] allait parfaitement dans le sens de la proximité historique des néoconservateurs avec les requins de la finance, les patrons de la Mafia et les gros banquiers. Pour eux, la dérégulation signifiait une pleine liberté d’action, qui rendrait les spéculateurs et les fins renards de Wall Street immensément riches.
2) La violence : Reagan a également fermement soutenu le complexe militaro-industriel américain et une politique d’intervention dans n’importe quel pays du monde. Cette fascination pour la force brute et, soyons honnêtes, pour le terrorisme, convenait parfaitement à la mentalité des néoconservateurs trotskystes.
3) L’illégalité : Reagan se fichait royalement de la loi, que ce soit les lois internationales ou nationales. Bien sûr, tant que la loi servait les intérêts des Etats-Unis et du Parti républicain, elle était appliquée très cérémonieusement. Mais quand elle s’opposait à ses intérêts, Reagan la transgressait sans le moindre scrupule.
4) L’arrogance : sous Reagan, le patriotisme et l’orgueil impérial revigorant atteignirent une nouvelle dimension. Plus que jamais, les Etats-Unis se considérèrent non seulement comme les «Leaders du Monde libre» protégeant la planète contre «l’Empire du Mal», mais aussi comme uniques et supérieurs au reste de l’humanité (à l’instar du slogan commercial de Ford dans les années 1980 : «nous sommes les numéros un, sans aucun égal»).
5) Une duperie systématique : sous Reagan, le mensonge passa de l’état de tactique politicienne occasionnelle ou régulière à la forme clé de la communication publique : Reagan et son administration pouvaient dire quelque chose et le démentir dans la foulée. Ils pouvaient faire des promesses qui étaient complètement impossibles à tenir (se souvient-on du projet «Guerre des étoiles » ?). Ils pouvaient prêter un serment solennel et ensuite le briser (cf. l’affaire Iran-Contra). Et lorsqu’on le confrontait aux preuves flagrantes de ses mensonges, tout ce que Reagan avait à dire était : «Eh bien non, je ne m’en souviens pas».
6) Le messianisme : Reagan obtint non seulement un énorme soutien de la part des diverses confessions religieuses forcenées des Etats-Unis (incluant toute la «Bible Belt» – ceinture de la Bible), mais il promut encore une étrange mixture de messianisme laïque faite d’un mélange toxique de xénophobie confinant au racisme, avec une fascination narcissique pour tout ce qui est patriotique, aussi stupide que ce soit, avoisinant l’adulation de soi.
Résumons donc tout ceci :
Argent + violence + illégalité + arrogance + duperie + messianisme = quoi donc ?
Tout cela ne semble-t-il pas familier, vraiment très familier ? N’est-ce pas là une description parfaite du sionisme et d’Israël ? Pas étonnant que les néoconservateurs aient afflué en masse vers ce nouveau GOP («Grand Old Party», Parti républicain) ! Le GOP de Reagan était la boite de Pétri idéale pour la croissance de la bactérie sioniste, et elle grandit considérablement pour devenir énorme. Je pense qu’il serait raisonnable de dire que les Etats-Unis subirent un long processus de «Sionisation» qui dura deux décennies et qui culmina par la grande opération (sous faux drapeau) du 11 septembre dans laquelle les hommes du PNAC (Projet pour le Nouveau Siècle Américain) firent usage de leurs accès aux centres de pouvoirs des Etats-Unis, d’Israël et de l’Arabie Saoudite pour inventer un nouvel ennemi – la «Terreur islamofasciste» – qui non seulement justifierait une guerre planétaire contre le «terrorisme» (la GWOT : Global War On Terror), mais aussi un soutien inconditionnel à Israël. Il y eut aussi des perdants dans cette évolution, principalement ce que j’appelle le «vieux camp anglo-saxon» qui perdit le contrôle de presque tout son pouvoir politique intérieur et de la totalité de son pouvoir en matière de politique étrangère : pour la première fois, une nouvelle orientation en politique étrangère commença graduellement à prendre forme sous la direction d’un groupe de personnes qui avec le temps allaient être identifiées comme les «Israeli firsters» [personnes qui placent les intérêts d’Israël avant ceux de leur propre pays]. Durant un court laps de temps, le «vieux camp anglo-saxon» [qui place les intérêts américains avant tout] sembla reprendre les rênes du pouvoir (sous Georges Bush Senior), seulement pour le reperdre immédiatement avec l’élection de Bill Clinton. Mais l’apogée du pouvoir «Sio-conservateur» ne fut atteint que sous la présidence de Georges W. Bush qui procéda à une éviction massive des «Anglos» de leurs positions clés dans le gouvernement (surtout au Pentagone et à la CIA). D’une manière prévisible, l’arrivée au pouvoir des individus que Bush Senior appelait «les dingues du sous-sol« amena les Etats-Unis au bord d’un effondrement global : à l’extérieur, la sympathie mondiale pour les Etats-Unis suscitée par le 11 Septembre se transforma en un tsunami de condamnation et de ressentiment, alors qu’au niveau intérieur le pays dut faire face à une énorme crise bancaire qui faillit aboutir à l’imposition de la loi martiale dans le pays.
Arrive Barack Obama : «Le changement auquel on peut croire»
L’élection de Barack Obama à la Maison-Blanche fut véritablement un évènement historique majeur. Pas seulement parce qu’une population majoritairement blanche avait élu un Noir au poste le plus important du pays (ce qui était surtout une expression de désespoir et d’un désir ardent pour le changement), mais parce qu’après une des campagnes de relations publiques les plus efficaces de l’histoire, une vaste majorité d’Américains et beaucoup, voire la plupart des gens à l’extérieur, crurent véritablement qu’Obama ferait des changements significatifs et profonds. La désillusion pour Obama fut à la hauteur de l’espoir placé en lui par des millions de personnes. Personnellement, je pense que l’Histoire se rappellera d’Obama non seulement comme de l’un des pires Présidents de l’Histoire, mais aussi, et ceci est beaucoup plus important, comme de la dernière chance pour le «système» de se réformer. Cette chance a été manquée. Et alors que certains, absolument écœurés, décrivirent Obama comme un «Bush light», je pense que sa présidence peut être mieux décrite par l’expression «plus de continuité, mais en pire» (more of the same, only worse). Cela dit, quelque chose a effectivement été réalisé avec l’élection d’Obama, à ma grande surprise : l’éloignement de la plupart des néoconservateurs (mais pas tous) de la plupart des positions clés du pouvoir (mais pas toutes) et la réorientation de l’essentiel de la politique étrangère américaine (mais pas toute) sur une ligne plus traditionnelle «Etats-Unis d’abord», habituellement soutenue par les intérêts des «vieux Anglo-saxons». Pour sûr, les néoconservateurs ont toujours le contrôle absolu du Congrès et des médias américains, mais la branche exécutive reste aux mains des «Anglos», du moins pour le moment (ceci, bien sûr, est une généralisation : Dick Cheney n’était ni sioniste ni juif, alors que Henry Kissinger ne peut guère être décrit comme un «Anglo»). Et bien que Bibi Netanyahu ait reçu plus d’ovations (29) au Congrès qu’aucun Président américain, l’attaque contre l’Iran qu’il désirait si ardemment n’a pas eu lieu. A la place de cela, Hilary [Clinton] et [David] Petraeus furent éjectés tandis que Chuck Hagel et John Kerry prirent leur place. On est loin du «changement auquel on peut croire», mais au moins, cela montre que le Likoud ne contrôle plus la Maison-Blanche. Bien sûr, tout ça est loin d’être fini. Actuellement, par exemple, le jeu de chassé-croisé entre la Maison-Blanche et le Congrès au sujet du Budget avec ses risques inhérents d’un défaut de paiement des Etats-Unis montre bien que ce conflit est loin d’être résolu.
La véritable matrice actuelle du pouvoir aux Etats-Unis et en Russie
Nous avons montré qu’il y a deux partis non officiels en Russie qui sont enfermés dans un conflit à mort pour le pouvoir, les «Souverainistes eurasiens» (Poutine) et les «Intégrationnistes atlantistes» (Medvedev). Il y a également deux partis non officiels aux Etats-Unis qui sont eux aussi engagés dans une lutte à mort pour le pouvoir : les néoconservateurs et les «vieux impérialistes anglo-saxons». Je dirais que, au moins pour le moment, les «Souverainistes eurasiens» et les «vieux Anglo-saxons» ont prévalu sur leur concurrent interne, mais que les «Souverainistes eurasiens» russes sont dans une position bien plus forte que les «vieux Anglo-saxons» américains. Il y a deux raisons principales à cela :
1) La Russie a déjà connu son effondrement économique et son défaut de paiement
2) Une majorité de Russes soutiennent pleinement le président Poutine et ses politiques «souverainistes eurasiennes»
A l’opposé, les Etats-Unis sont au bord d’un effondrement économique et la clique des 1% qui dirige actuellement le pays est absolument détestée et méprisée par la plupart des Américains. Après la désillusion immense et véritablement déchirante vis-à-vis d’Obama, de plus en plus d’Américains sont convaincus que changer la marionnette à la Maison-Blanche ne sert à rien et que ce dont les Etats-Unis ont réellement besoin est un changement de régime.
L’URSS et les Etats-Unis : retour vers le futur ?
Il est assez extraordinaire de voir, pour ceux qui se souviennent de l’Union soviétique de la fin des années 1980, combien les Etats-Unis sous Obama ressemblent à l’URRS sous Brejnev : au niveau intérieur, les Etats-Unis sont caractérisés par un sens général de dégoût et d’aliénation de la population provoquées par la stagnation indéniable d’un système pourri jusqu’à la moelle. Une armée et un Etat policier démesurés avec des uniformes partout, alors que de plus en plus de gens vivent dans un état de pauvreté abject. Une machine de propagande publique qui, à l’image de 1984 d’Orwell, se vante constamment de nombreux succès à travers le monde, alors que tout le monde sait que ce sont des mensonges. Au niveau extérieur, les Etats-Unis sont désespérément débordés, et haïs ou moqués par le reste du monde. Tout comme à l’époque soviétique, les dirigeants américains sont manifestement effrayés par leur propre peuple et se protègent donc à l’aide d’un réseau immense et coûteux d’espions et de propagandistes qui sont terrifiés par la dissidence et qui voient le principal ennemi dans leur propre peuple. Ajoutez à cela, un système politique qui, loin de coopter les meilleurs de ses citoyens, les aliène en élevant les plus immoraux et les plus corrompus d’entre eux aux positions de pouvoir. Un complexe carcéro-industriel et un complexe militaro-industriel en pleine expansion que le pays n’a tout simplement pas les moyens de maintenir. Des infrastructures publiques qui tombent en ruines, combinées à un système de santé totalement dysfonctionnel dans lequel seuls les riches et ceux qui ont des relations peuvent recevoir des soins de qualité. Et par-dessus tout, un discours public sclérotique en phase terminale, rempli de clichés idéologiques et complètement déconnecté de la réalité. Je n’oublierai jamais les mots de l’ambassadeur pakistanais à la conférence des Nations unies de Genève sur le désarmement en 1992, qui, s’adressant à une assemblée de diplomates occidentaux suffisants, tint les propos suivants : «Vous avez l’air de croire que vous avez gagné la Guerre froide, mais est-ce que vous avez déjà envisagé la possibilité que ce qui s’est réellement produit, c’est que le communisme a été rattrapé par ses contradictions internes avant que le capitalisme ne soit rattrapé par ses propres contradictions ?!» Inutile de dire que ces mots prophétiques furent accueillis dans un silence indigné et rapidement oubliés. Pourtant, cet homme avait d’après moi absolument raison : le capitalisme a maintenant atteint une crise aussi profonde que celle qui toucha l’Union soviétique à la fin des années 1980 et il n’y a aucune chance de le réformer ni de le changer. Le changement de régime est la seule issue possible.
Les origines historiques de la russophobie des élites américaines
Tout cela dit, il est en fait très simple de comprendre pourquoi la Russie en général, et Poutine en particulier suscitent tant de haine chez la ploutocratie occidentale : s’étant convaincus d’avoir gagné la Guerre froide, ils font maintenant face à la double déception du rétablissement rapide de la Russie et du déclin économique et politique de l’Occident, qui sombre dans ce qui semble être une profonde et douloureuse agonie. Dans leur amertume et leur dépit, les dirigeants occidentaux ont négligé le fait que la Russie n’a rien à voir avec les problèmes actuels de l’Occident. En fait, bien au contraire, l’impact principal de la chute de l’Union Soviétique sur le système économique international dirigé par les Etats-Unis fut de prolonger son existence en créant une nouvelle demande de dollars américains en Europe de l’Est et en Russie (certains économistes comme Nikolai Starikov estiment que l’effondrement de l’Union Soviétique a rallongé la durée de vie du dollar de 10 ans ou plus). Dans le passé, la Russie a été l’ennemie jurée de l’Empire britannique. Quant aux juifs, ils ont toujours nourri de nombreux griefs contre la Russie tsariste prérévolutionnaire. La révolution de 1917 apporta beaucoup d’espoir aux juifs de l’Europe de l’Est, mais elle ne dura que peu de temps, car Staline vainquit Trotski et le Parti communiste fut épuré de nombre de ses membres juifs. A plusieurs reprises, la Russie a joué un rôle tragique dans l’histoire des juifs ashkénazes et ceci a bien évidemment laissé une marque profonde dans la vision du monde des Néoconservateurs qui sont tous profondément russophobes, même aujourd’hui. Certains pourraient objecter que beaucoup de juifs sont profondément reconnaissants envers l’armée soviétique pour la libération des juifs des camps de concentration nazis ou pour le fait que l’Union soviétique fut le premier pays à reconnaître l’Etat d’Israël. Mais dans les deux cas, le pays qui est considéré comme l’auteur de ces actions est l’Union Soviétique et non pas la Russie, que la plupart des juifs ashkénazes associent toujours typiquement à des politiques et des valeurs anti-juives. Il n’est donc pas surprenant qu’à la fois les élites «Anglos» et juives aux Etats-Unis aient une aversion et une peur instinctives de la Russie, surtout d’une Russie perçue comme résurgente et antiaméricaine. Et il est vrai qu’ils n’ont pas tort dans cette perception : la Russie est définitivement résurgente, et la grande majorité de l’opinion publique russe est virulemment antiaméricaine, du moins si nous entendons par «Américain» un modèle de civilisation ou un système économique.
Le sentiment antiaméricain en Russie
Les sentiments envers les Etats-Unis ont subi un changement radical depuis la chute de l’Union Soviétique. Durant les années 1980, les Etats-Unis étaient non seulement plutôt populaires, mais encore profondément à la mode : la jeunesse russe créa de nombreux groupes de rock (certains d’entre eux devinrent immensément populaires et le demeurent jusqu’à aujourd’hui, comme le groupe DDT de Saint-Pétersbourg), la mode américaine et les fast foods étaient le rêve de tous les adolescents russes, alors que la plupart des intellectuels considéraient sincèrement les Etats-Unis comme les «Leaders du monde libre». Bien sûr, la propagande d’Etat de l’URSS présentait toujours les Etats-Unis comme un pays impérialiste agressif, mais ses efforts échouèrent : la plupart des Russes aimaient beaucoup les Etats-Unis. Un des groupes de pop des plus populaires des années 1990 (Nautilus Pompilius) avait une chanson avec les paroles suivantes :
Au revoir l’Amérique, oh
Où je ne suis jamais allé
Adieu pour toujours !
Prend ton banjo
Et joue pour mon départ
La-la-la-la-la-la, la-la-la-la-la-la
Ton blue-jean trop usé
Est devenu trop serré pour moi
On nous a appris depuis trop longtemps
A aimer tes fruits défendus.
Bien qu’il y ait des exceptions à cette règle, je dirais qu’au début des années 1990, la plupart des Russes, surtout la jeunesse, avait gobé toute la propagande américaine : la Russie était désespérément proaméricaine. L’effondrement catastrophique de l’Union Soviétique en 1991 et le soutien inconditionnel apporté à Eltsine et ses oligarques par l’Occident changèrent la donne. Au lieu d’essayer d’aider la Russie, les Etats-Unis et l’Occident exploitèrent toutes les opportunités pour affaiblir la Russie (en intégrant toute l’Europe de l’Est à l’OTAN bien qu’ils avaient promis de ne jamais le faire). Au niveau intérieur, l’Occident soutenait les oligarques juifs qui pompaient littéralement toute la richesse de la Russie, à l’instar de vampires suçant du sang, et soutenaient toute forme imaginable de séparatisme. A la fin des années 1990, les mots «démocrate» et «libéral» devinrent des injures. Cette blague de la fin des années 1990 est un bon exemple pour refléter ces sentiments :
Un nouveau professeur arrive dans la classe :
– Je m’appelle Abram Davidovich, je suis un libéral. Et maintenant levez-vous tous et présentez-vous comme je viens de le faire.
– Je m’appelle Masha, je suis libérale.
– Je m’appelle Pétia, je suis libéral…
– Je m’appelle Little Johnny, je suis staliniste.
– Johny, pourquoi es-tu staliniste ?
– Ma mère est staliniste, mon père est staliniste, mes amis sont stalinistes et moi aussi je suis staliniste.
– Johny, et si ta mère était une pute, ton père, un drogué, tes amis, des pédés, qu’est-ce que tu serais dans ce cas ?
– Eh bien, je serais un libéral.
Remarquez l’association entre être un libéral et les juifs (Abram Davidovich est un nom juif typique), remarquez aussi l’inclusion de la catégorie «homosexuel» entre la prostituée et le drogué et ayez-la à l’esprit pour évaluer la réaction russe typique face aux actuelles campagnes antirusses lancées par les organisations homosexuelles occidentales. La conséquence politique de ces sentiments est plutôt évidente : durant les dernières élections, pas un seul parti politique pro-occidental n’a réussi à obtenir assez de votes pour entrer au Parlement. Et non, ce n’est pas parce que Poutine les a rendus hors-la-loi (comme l’imaginent certains propagandistes occidentaux). Il y a actuellement 57 partis en Russie et il y en a plusieurs qui sont pro-occidentaux. Et pourtant, il est indéniable que le pourcentage de Russes qui penchent en faveur des Etats-Unis, de l’OTAN et de l’UE est dans les 5%. Je peux aussi le dire ainsi : absolument tous les partis politiques représentés à la Douma sont profondément antiaméricains, même le très modéré «Russie Juste».
Des sentiments antirusses aux Etats-Unis ?
Etant donné le barrage incessant de propagande antirusse dans les médias occidentaux, on pourrait essayer d’évaluer la force du sentiment antirusse en Occident. Cela est très dur à mesurer objectivement, mais étant moi-même né en Europe occidentale et ayant vécu 15 ans aux Etats-Unis, je dirais que le sentiment antirusse en Occident est assez rare, presque inexistant. Aux Etats-Unis, il y a toujours eu de forts sentiments anticommunistes (et il y en a encore aujourd’hui), mais d’une certaine manière, la plupart des Américains font la différence entre une idéologie politique qu’ils ne comprennent pas vraiment, mais qu’ils rejettent de toute façon, et le peuple qui dans le passé y était associé (les Russes). Les *politiciens* américains, bien sûr, haïssent la Russie pour la plupart, mais la plupart des Américains semblent éprouver très peu d’animosité et d’appréhension à l’égard de la Russie et du peuple russe. J’explique cela par une combinaison de plusieurs facteurs. Premièrement, puisque de plus en plus de gens en Occident réalisent qu’ils ne vivent pas dans une démocratie, mais dans une ploutocratie des 1%, ils ont tendance à considérer la ligne officielle de propagande avec beaucoup plus de méfiance (ce qui est d’ailleurs exactement ce qui se passait pour la plupart des Soviétiques dans les années 1980). Par ailleurs, de plus en plus de gens en Occident qui, s’opposant à l’ordre impérial ploutocratique qui les appauvrit et les réduit à l’état de serfs pour les entreprises, sont assez favorables à la Russie et à Poutine, car ils «tiennent tête aux salopards de Washington». Mais plus fondamentalement encore, il y a le fait que dans un étrange revers de l’histoire, la Russie d’aujourd’hui défend les valeurs de l’Occident d’hier : la loi internationale, le pluralisme, la liberté d’expression, les droits sociaux, l’anti-impérialisme, l’opposition à l’intervention contre des Etats souverains, le rejet de la guerre comme moyen de régler des différends, etc. Dans le cas de la guerre en Syrie, la position absolument cohérente de la Russie en défense de la loi internationale a impressionné beaucoup de personnes aux Etats-Unis et en Europe et on peut entendre de plus en plus d’éloges de Poutine de la part d’individus qui avaient de grandes suspicions à son égard par le passé. La Russie, bien sûr, n’est en aucun cas une utopie ou une sorte de société parfaite, loin de là, mais elle a pris la décision fondamentale de devenir un pays *normal* plutôt que d’être un Empire mondial, et n’importe quel pays «normal» serait d’accord pour soutenir les valeurs de «l’Occident d’hier», pas seulement la Russie. En fait, la Russie n’est vraiment pas exceptionnelle dans sa prise de conscience pragmatique du fait que faire respecter ces principes n’est pas une question d’idéalisme naïf, mais un but politique réaliste et sain. Les peuples occidentaux entendent leurs dirigeants et les médias leur déclarer que Poutine est un dictateur malfaisant, ex-agent du KGB, représentant un danger pour les Etats-Unis et leurs alliés, mais dès que les gens lisent ou écoutent ce que Poutine dit vraiment, ils réalisent qu’ils sont en fait plutôt d’accord avec lui. Dans un autre revers cocasse de l’histoire, alors que la population soviétique avait l’habitude d’écouter la BBC, Voice of America ou Radio Liberty, de plus en plus de gens en Occident se tournent vers Russia Today, Press TV ou Telesur pour obtenir des informations. D’où la réaction paniquée de Walter Isaacson, président du BBG (Broadcasting Board of Governors), l’agence américaine chargée du contrôle des radios et télévisions internationales financées par le gouvernement américain, qui déclara : «Nous ne pouvons pas nous permettre de nous faire détrôner par nos ennemis. On a maintenant Russia Today, la chaîne iranienne Press TV, la chaîne vénézuélienne Télésur, et bien sûr la Chine qui est en train de lancer une chaîne d’informations TV 24h/24 avec des correspondants dans le monde entier.» Des gens comme Isaacson savent qu’ils sont en train de perdre lentement mais sûrement la bataille de l’information pour le contrôle des esprits du grand public. Et maintenant, avec l’affaire Snowden, la Russie est devenue un port d’attache sûr pour ces activistes politiques qui fuient la colère de l’Oncle Sam. Une recherche rapide sur internet vous montrera que de plus en plus de personnes font référence à Poutine en tant que «Leader du monde libre» alors que d’autres collectent des signatures pour qu’Obama remette son prix Nobel de la paix à Poutine. Pour ceux qui comme moi ont lutté contre le système soviétique, il est absolument incroyable de voir le virage à 180 degrés qui s’est opéré dans le monde depuis les années 1980.
Les élites occidentales : toujours bloquées dans la Guerre froide
Si le monde a radicalement changé durant ces 20 dernières années, les élites occidentales sont restées les mêmes. Confrontées à une réalité très frustrante, elles essaient désespérément de mener à nouveau la bataille de la Guerre froide avec l’espoir de la gagner encore une fois. D’où le cycle sans fin de campagnes de dénigrement contre la Russie que j’ai mentionné au début de cet article. Ils essaient de présenter la Russie comme une nouvelle Union Soviétique, avec des minorités opprimées, des dissidents emprisonnés et assassinés, peu ou pas de liberté d’expression, des médias monolithiques contrôlés par l’Etat et un appareil de sécurité omnipotent surveillant le tout. Le problème, bien sûr, est qu’ils ont 20 ans de retard et que ces accusations ne collent pas bien avec l’opinion publique occidentale et ont une influence égale à *zéro* à l’intérieur de la Russie. En fait, toutes les tentatives d’interférence dans la politique nationale russe ont été tellement stupides et maladroites qu’elles ont eu à chaque fois l’effet inverse. Depuis les tentatives occidentales absolument futiles d’organiser des révolutions colorées dans les rues de Moscou, aux tentatives complètement contre-productives de créer une crise autour des droit des homosexuels en Russie, chaque initiative menée par la machine de propagande occidentale n’a fait que renforcer Vladimir Poutine et ses «Souverainistes Eurasiens» au sein du Kremlin, au détriment des «Intégrationnistes atlantistes». Il y eut un symbole profond et poignant lors de la dernière réunion des 21 pays de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique) à Bali. Obama dut annuler son voyage à cause de la crise budgétaire américaine alors que Poutine fut accueilli par une interprétation, musicalement horrible, mais politiquement lourde de sens de «Happy Birthday to you», chantée par un chœur spontané composé de dirigeants de pays du Pacifique. Je peux seulement imaginer la rage de la Maison-Blanche quand ils virent «leurs» alliés du Pacifique chantant la sérénade à Poutine pour son anniversaire.
Conclusion : «Nous sommes partout»
Dans une de ses plus belles chansons, David Rovics chante les paroles suivantes que je veux citer intégralement, car chaque ligne s’applique tout à fait à la situation actuelle (vous pouvez écouter la chanson ici : http://www.youtube.com/watch?v=n8j8BmgeYLA) :
Quand je dis que les affamés devraient avoir à manger
Je parle au nom de beaucoup
Quand je dis que personne ne devrait avoir sept maisons
Quand certains n’en ont aucune
Bien que je puisse me retrouver enfermé dans un endroit étrange
Avec rien d’autre qu’un regard insipide
Je me souviens du monde et je sais
Que nous sommes partout
Quand je dis que le temps viendra pour les riches
Laissez-moi compter les différents chemins
Les victoires ou les indications pour le futur
La Havane, Caracas, Chiapas, Buenos Aires
Combien de gens attendent et espèrent
En se battant pour leur part
Ils se cachent dans leurs tours d’ivoire
Mais nous sommes partout
Les religions, les prisons et les races
Les frontières et les nations
Les agents du FBI et les membres du Congrès
Et les chaînes de radio privées
Ils essaient de nous isoler, mais nous nous retrouvons pourtant
Et les dirigeants sont toujours conscients
Qu’ils ne sont qu’une infime minorité
Et nous sommes partout
Avec chaque bombe qu’ils larguent, chaque maison qu’ils détruisent
Chaque terre qu’ils envahissent
Se lève une nouvelle génération de sous les décombres
Clamant «nous n’avons pas peur»
Ils prétendront que nous ne sommes que quelques-uns
Mais avec chaque enfant qu’un milliard de mères portent
Vient une nouvelle preuve
Que nous sommes partout
Ces mots représentent une belle expression de l’espoir qui devrait inspirer tous ceux qui s’opposent aujourd’hui à l’empire américano-sioniste : nous sommes partout, littéralement. D’un côté, nous avons les 1%, les impérialistes anglo-saxons et les Sio-conservateurs sionistes, pendant que de l’autre côté, nous avons le reste de la planète, incluant potentiellement 99 % du peuple américain. S’il est vrai qu’en ce moment précis, Poutine et ses Souverainistes eurasiens représentent la faction résistante à l’Empire la plus puissante et la mieux organisée au monde, ils sont loin d’être centraux, ni même cruciaux pour ce mouvement. Oui, la Russie peut jouer un rôle (et elle le jouera), mais seulement en tant que «pays normal» parmi tant d’autres, certains plus petits et plus faibles économiquement comme l’Equateur, et d’autres plus grands et plus puissants comme la Chine. Mais même un petit pays comme l’Equateur était «assez grand» pour donner refuge à Julian Assange alors que la Chine semble avoir demandé à Snowden de quitter le pays gentiment. L’Equateur n’est donc pas si petit après tout. Il serait naïf d’espérer que ce processus de «désimpérialisation» des Etats-Unis se fasse sans violence. Les Empires français et britanniques s’effondrèrent contre la toile de fond sanglante de la Seconde Guerre mondiale, tandis que les Empires nazi et japonais furent écrasés sous un tapis de bombes. L’Empire soviétique s’effondra avec comparativement moins de victimes, et l’essentiel de la violence causée par cet évènement se concentra dans la périphérie soviétique. En Russie même, le nombre de morts de la mini-guerre civile de 1993 peut se compter en milliers et non pas en millions. Et par la grâce de Dieu, aucune arme nucléaire ne fut utilisée nulle part. Que peut-il donc vraisemblablement se produire lorsque l’Empire américano-sioniste s’effondrera sous son propre poids ? Personne ne peut le dire avec certitude, mais nous espérons au moins que de même qu’aucune force majeure n’est venue secourir l’Union soviétique en 1991-1993, aucune force majeure ne viendra au secours de l’Empire américain. Comme David Rovics le souligne si bien, la faiblesse principale des 1 % qui dirigent l’Empire américano-sioniste demeure dans le fait «qu’ils ne sont qu’une infime minorité et nous sommes partout». Durant ces dernières 20 années, les Etats-Unis et la Russie ont suivi des chemins diamétralement opposés et leurs rôles respectifs semblent s’être inversés. Ce «Pas de deux» touche maintenant à sa fin. Des circonstances objectives opposent encore une fois ces deux pays l’un à l’autre, mais cela est seulement dû à la nature du régime en place à Washington D.C. Les leaders russes pourraient répéter les mots du rappeur britannique Lowkey et déclarer «Je ne suis pas antiaméricain, l’Amérique est anti-moi !» et ils pourraient potentiellement être rejoints par 99 % des Américains qui, qu’ils en soient déjà conscients ou pas, sont aussi les victimes de l’empire américano-sioniste. En attendant, le barrage de propagande anti-russe continuera sans relâche, tout simplement parce que cela semble être devenu une sorte de psychothérapie pour une ploutocratie occidentale paniquée et à court d’idées. Et comme dans les cas précédents, cette campagne de propagande n’aura aucun effet. J’ai espoir que la prochaine fois que nous entendrons parler de je ne sais quelle affaire après la campagne actuelle de «Greenpeace», vous garderez tout cela en tête.
Le Saqr (The Saker)
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