Mohamed Charfi : «Saïdani a voulu me pousser à abandonner les poursuites contre Chakib Khelil»
L’ancien ministre de la Justice, Mohamed Charfi, a répondu énergiquement aux allégations d’Amar Saïdani sur la justice. Dans une tribune publiée aujourd’hui sur les colonnes du quotidien El-Watan, M. Charfi a tout d’abord parlé d’une proposition indécente de Saïdani pour qu’il soit maintenu au gouvernement, avant le remaniement de septembre dernier. «Si Amar, vous êtes venu, le jour même de votre installation à la tête du FLN, me proposer amicalement de préserver mon poste de ministre de la Justice en m’engageant à extirper M. Chakib Khelil de l’affaire Sonatrach 2, comme on extirpe un cheveu d’une pâte, selon votre expression. Ma réponse, vous le savez, fut de fermer mon portable jusqu’à après la fête de l’Aïd El-Adha, c’est-à-dire bien longtemps après le remaniement ministériel», écrit-il. Mohamed Charfi est longuement revenu sur les jugements de valeur de Saïdani portés à l’égard de la justice, en l’accusant d’être instrumentalisée et de fabriquer de «faux dossiers» de corruption pour affaiblir le président Bouteflika, en écartant ses fidèles soutiens. Charfi dit avoir été interpellé par les déclarations de Saïdani car il a été le ministre de la Justice au moment du lancement des procédures notamment de Sonatrach 2 et de l’extradition d’Abdelmoumen Khalifa. «En donnant, en filigrane, un mobile politique à cette prétendue instrumentalisation de la justice, à savoir contrarier une éventuelle aspiration du président de la République à un nouveau mandat, c’est le ministre de la Justice en charge du secteur, au moment des procédures citées, qui est ainsi interpellé», relève-t-il, tout en expliquant au SG du FLN la gravité de ses propos. «Alors, à mon tour de vous demander, si Amar, si vous êtes conscient que toutes vos déclarations sur la justice comportent implicitement une contradiction au discours et à l’action du président de la République dans la lutte contre la corruption», note-t-il, rappelant l’engagement du Président à lutter contre la corruption qui gangrène le pays.
«Les services secrets luttent contre la corruption»
«Ainsi, lorsque vous affirmez dans d’autres occasions médiatiques qu’Interpol a refusé d’exécuter les mandats de justice décernés dans l’affaire Sonatrach 2 à cause des erreurs de procédure, vous portez atteinte à la crédibilité du président de la République», précise encore l’ancien garde des Sceaux, tout en expliquant que la procédure judiciaire a été respectée à la lettre dans tous les mandats d’arrêt internationaux lancés contre les personnes impliquées dans ces affaires de corruption. «En effet, d’abord, il s’agit là d’une contrevérité puisque, par courrier du 3 août 2013, le DGSN avait informé officiellement le ministre de la Justice de l’exécution de tous les mandats sans exception transmis par la justice, ensuite et, surtout, il s’agit d’une ignorance car tous les juristes du monde savent qu’Interpol, sous réserve de s’assurer de la qualité de l’autorité émettrice du mandat, n’a pas prérogative de censurer les décisions de justice des pays membres, sauf si les autorités du pays émetteur des mandats refusent de donner la garantie que l’extradition sera bien demandée en cas d’arrestation de la personne objet du mandat». M. Charfi revient également sur les insinuations de Saïdani quant à l’extradition de Khalifa à la veille de la présidentielle. «De même, si Amar, lorsque vous vous interrogez sur le timing de l’extradition de Khalifa par l’Angleterre, vous insinuez bizarrement que cela peut gêner le président de la République, alors que, je l’affirme ici de façon responsable, en connaissance de cause et sans violer la réserve qui s’impose dans ce cas, l’extradition de Khalifa n’aurait pas été obtenue sans l’investissement personnel du président Bouteflika», souligne encore l’ancien ministre, artisan de la loi sur la concorde civile et la réforme de la justice. «Si Amar, vous êtes en train de tirer au jugé au risque de toucher des cibles amies. Alors, de grâce, arrêtez vos dégâts !» poursuit-il. «Le président Bouteflika mérite une solidarité d’une autre dimension.» Mohamed Charfi se demande si Saïdani soutient vraiment Bouteflika : «D’ailleurs, il est légitime, dans ce cas, de s’interroger si réellement votre but est de servir Bouteflika ou même l’Algérie.» L’ancien ministre estime que «la réponse ne peut être au moins ambiguë si l’on se réfère à vos attaques contre ceux qui sont en charge de la lutte contre la corruption étrangère, qui est traitée par les Etats de plus en plus comme véritable menace pour leur sécurité nationale, au même titre que le crime transnational organisé dont elle est devenue un des segments les plus dangereux et contre lequel la lutte ne peut être menée que par des services secrets qui ont, seuls, vocation et aptitude à enquêter à l’étranger. L’intérêt de tout Etat est donc de renforcer les capacités de ses services secrets dans la lutte contre la corruption, particulièrement étrangère».
«Forçage de mandat»
«Si Amar, Bouteflika n’appartient à personne et à aucun parti ; il appartient au peuple qui l’a élu et lui seul à la responsabilité historique de décider de son avenir. Nul ne peut douter de son intelligence et de son patriotisme, et M. Bouteflika saura, lui seul, en son âme et conscience, le moment venu, fixer les paramètres de sa trajectoire politique», lui rappelle-t-il. «En me mettant ici du côté de Bouteflika contre les effets néfastes de vos sorties, ce n’est pas seulement par devoir citoyen envers le président de mon pays, mais parce que je suis convaincu qu’une agrégation d’autant de bévues chez un seul homme en un laps de temps si court, s’apparente à un forçage de mandat, si mandat il y a», soutient-il encore dans sa réponse au secrétaire général du FLN adressée au journal El-Watan, considérant que «ceci autoriserait alors de supposer l’existence d’un mobile caché qui dépasse celui du soutien à un autre mandat pour le Président et laisse place à toute interrogation quant aux véritables motivations».
Synthèse Sonia B.