Abdeslam Abdenour à Benjamin Stora : «Vous entachez votre spécialité d’historien d’une grave atteinte à l’honnêteté intellectuelle»
Dans une longue lettre ouverte à Benjamin Stora, Abdeslam Abdenour, écrivain et militant bien connu de la cause amazighe, a contesté à l’historien sa vision du mouvement national algérien et, surtout, la paternité qu’il accorde à Messali Hadj sur ce dernier, tout en marginalisant dans le même temps le rôle, dit-il, premier et fondamental des militants originaires de Kabylie. Afin d’éviter toute polémique sur une possible interprétation de son message comme étant à relents régionalistes, Abdeslam Abdenour tient, d’emblée à lever toute équivoque : «Je voudrai lever tout de suite et par anticipation toute forme de catégorisation spéculative que vous serez tenté de faire sur mes remarques parce que je suis kabyle et vous dis d’emblée que si je suis justement profondément kabyle je ne suis pas moins et avant tout profondément algérien.» Abdeslam Abdenour, qui assure avoir lu l’ensemble des ouvrages de Benjamin Stora se rapportant à l’histoire du mouvement national et de la guerre d’Algérie, affirme avoir «noté une certaine frilosité» qu’a l’historien «à citer les acteurs politiques issus du pays kabyle ou même qu’il les nie tout simplement». L’écrivain assure avoir relevé «tout au long» des écrits de Stora «une prise de position constante et subjective en faveur ou au détriment des uns et des autres des acteurs politiques algériens selon qu’ils soient arabophones ou berbérophones». Pour l’écrivain, «le point qui apparaît le plus significatif dans votre prise de position volontariste, et qui est de la plus insupportable troncation de l’Histoire, est celle d’avoir qualifié de facto Messali Hadj comme étant le père du nationalisme algérien alors qu’il ne surviendra sur la scène nationaliste qu’une année après la création de l’Etoile nord-africaine». «Comment avez-vous éludé que déjà en 1924, et après la dissolution de l’Union inter-coloniale des ouvriers nord-africains, et pour s’affranchir et ne plus dépendre de l’emprise du Parti communiste français de l’époque, le nationaliste Imache Amar créa avec ses compagnons, le 7 décembre 1924, à Paris, après un regroupement de plus de 100 000 Algériens, une nouvelle organisation sociopolitique autonome sous le nom du Congrès des ouvriers nord-africains de la région parisienne, le Cona», rappelle, à ce propos, l’auteur de la lettre. Pour ce dernier, Messali Hadj, «en ces temps, était méconnu des milieux politiques». «Il était alors membre de la confrérie islamique la Darqaouia, affiliée à l’Association des oulémas qui, pour rappel, revendiquait purement et simplement l’assimilation des Algériens à la France coloniale.» Contestant donc la paternité de Messali Hadj sur le mouvement national algérien, Abdeslam Abdenour rappelle aussi le fait qu’à la création de l’Etoile nord-africaine en 1926, sur ses 22 fondateurs, 19 au moins étaient des Kabyles que sont, entre autres, Imache Amar, Hadj-Ali Abdelkader, Radjef Belkacem, Banouh, Si Djillani, Yahyaoui et Djeffal Mohamed qui a été élu comme premier président pour les deux premières années. Ce qui, d’après M. Abdeslam, fera dire à l’historien Roger Letoumeau qu’on aurait mieux fait de l’appeler «l’Etoile kabyle». «Il est bien entendu que le mérite revient à tous ses 22 membres fondateurs. Messali n’ayant rejoint l’Etoile qu’une année après sa création, il n’est donc même pas membre fondateur», précise, à ce sujet, Abdenour Abdeslam. «Ainsi, d’avoir attribué à Messali Hadj la paternité du mouvement national algérien, vous entachez votre spécialité d’historien d’une grave atteinte à l’honnêteté intellectuelle, à l’équité et à la déontologie du métier», assène Abdeslam Abdenour qui se pose la question de savoir «à quel titre, mais surtout à quel dessein vous êtes-vous permis de distribuer ce genre de qualificatifs trompeurs, fourbes et aussi surprenants que fantaisistes».
L’écrivain invite, à ce propos, Benjamin Stora à consulter l’ouvrage d’Omar Carlier sur Imache Amar intitulé Le cri du révolté et une thèse universitaire de Amar Ouerdane «aux références très poussées et publiée se rapportant toujours à Amar Imache, le véritable père spirituel du nationalisme algérien». Pour l’écrivain, c’est Amar Imache qui, dès la fin de la Première Guerre mondiale, «a intellectualisé politiquement la prise de conscience nationaliste algérienne». «Quelle amétrope recherche vous a-t-elle fait brouiller que déjà la création du PPA le 11 mars 1937 était destinée à enterrer définitivement l’Etoile nord-africaine crainte par ses patrons du Front populaire français, car elle reprenait dans sa plateforme issue du Congrès de Bruxelles, tenu du 10 au 15 février 1927, la principale revendication non négociable du Cona : à savoir l’indépendance de l’Algérie ?» M. Abdeslam en veut pour preuve les recherches faites à ce sujet par l’historien algérien Mahfoudh Kaddache, qui révèle dans Histoire du nationalisme algérien que «la position du PPA, lors de sa fondation paraît en retrait sur le programme de l’Etoile». L’écrivain se réfère à un autre historien, Fouad Soufi, qui écrit dans De l’Etoile nord-africaine au PPA continuité ou rupture cette interrogation «combien lourde de sens» : «N’assiste-t-on pas à la constitution d’un nouveau parti qui, parfois, s’oppose à l’ancien (c'est-à-dire l’Etoile) et souvent fonctionne par exclusions ou départs successifs ?» Abdeslam Abdenour n’a, par ailleurs, pas manqué de rappeler à son correspondant le rôle qu’il juge «criminel» de Messali qui a créé dès le déclenchement de la Révolution, le 1er novembre 1954, «un mouvement contre-révolutionnaire financé, équipé et lourdement armé par la France coloniale à savoir le MNA, auteur de nombreux assassinats de dignes militants et maquisards du FLN de 1954 à 1958 en Algérie, et particulièrement dans l’émigration». «Non, Monsieur Benjamin Stora ! Messali n’est pas le père du nationalisme algérien et ce n’est certainement pas la préface que vous avez signé dans l’ouvrage d’Imache Amar intitulé L’Algérie au carrefour, paru en 2012, où vous continuez même de cultiver l’amalgame sur le sujet, qui vous rachètera ou vous absoudra de votre mensonge grotesque dont les objectifs aujourd’hui en souterrains finiront certainement par être clarifiés un jour», conclut l’écrivain dans sa lettre à Benjamin Stora.
Amine Sadek
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