Les directives du président Bouteflika n’auront de sens qu’une fois que ses intentions seront connues
La multiplication des déclarations du président de la République, après un long silence, sont peut-être le signe que les tractations en vue de la prochaine présidentielle ont abouti à un accord sur un candidat consensuel pour succéder à Bouteflika. Pour autant, les directives du Président au gouvernement et aux différentes institutions enjointes d’assurer un scrutin «propre et honnête» sont pléonastiques. A qui le chef de l’Etat s’adresse-t-il, en définitive ? Au Premier ministre, aux ministres de l’Intérieur et de la Justice, au président du Conseil constitutionnel et au chef d’état-major de l’ANP. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, s’est déplacé d’est en ouest et du nord au sud, vantant, dans les quarante-huit wilayas qu’il aura visitées, les bienfaits des trois mandats du président Bouteflika, grâce à qui l’Algérie «a retrouvé sa stabilité» et a connu «un boom économique jamais égalé», pour résumer ses discours durant ses périples à travers le pays. Sans s’engager dans la voie risquée du quatrième mandat, Abdelmalek Sellal a néanmoins servi d’amplificateur à un président sans voix depuis plusieurs mois, tout en évitant de lui faire de l’ombre, le portrait de Bouteflika trônant toujours au-dessus de sa tête, où qu’il aille. Le ministre de l’Intérieur, Tayeb Belaïz, est un parmi les plus fidèles hommes de Bouteflika. Nommé à la tête du Conseil constitutionnel, il aurait crié à la face de ceux qui auraient évoqué l’article 88 que jamais il ne trahirait la confiance que le Président a placée en lui. Selon certaines indiscrétions, il aurait été jusqu’à l’en informer – ou informer ses proches –, provoquant ainsi sa colère, au point qu’il prît un certain nombre de décisions unilatérales diversement interprétées par l’opinion publique. Le ministre de la Justice, Tayeb Louh, sans envergure mais néanmoins ambitieux, doit sa longévité au sein du gouvernement, comme certains de ses collègues, à sa loyauté au clan présidentiel à qui il voue allégeance et discipline. Sa désignation à la tête du département de la Justice où il a succédé à Mohamed Charfi, avait été décryptée comme une volonté du président Bouteflika d’étouffer les affaires de corruption, notamment le lourd dossier Sonatrach, dans lequel est impliqué l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil. Les multiples démentis et assurances de Tayeb Louh n’ont pas convaincu quant à sa capacité et à sa disposition à continuer le travail de son prédécesseur, à cause duquel il (Mohamed Charfi) avait été remercié. Il faudra attendre l’après-Bouteflika pour espérer voir enfin la justice se saisir des cas dont l’écho est parvenu à la rue et qui impliquent le ministre actuel des Transports et le secrétaire général du FLN, entre autres. Le président du Conseil constitutionnel, Mourad Medelci, passe d’un poste à un autre, sans que les fonctions qu’il occupe aient quelque lien logique entre elles. C’est ainsi qu’il assumera, au tout début du premier mandat présidentiel, le portefeuille des finances au moment où éclata l’affaire Khalifa. Son aveu d’inexpérience – «J’ai été naïf», avait-il avoué – lui valut d’être nommé, plus tard, aux Affaires étrangères, où il marquera son passage par une diplomatie sans entrain. Il sera, d’ailleurs, vite effacé par son successeur, Ramtane Lamamra, qui redonnera vie à ce ministère de souveraineté, vitrine de l’Algérie. De la diplomatie, Mourad Medelci est propulsé au Conseil constitutionnel, devenant ainsi le personnage par qui devra passer la validation définitive du scrutin d’avril prochain. Quant au chef d’état-major, Ahmed Gaïd-Salah, nommé vice-ministre de la Défense nationale tout en ayant la haute main sur les troupes, il a prouvé, par ses tête-à-tête «exclusifs» avec le président de la République, qu’il était devenu l’homme le plus écouté par Bouteflika depuis l’audience du Val-de-Grâce. Des observateurs avertis lui prêtent des velléités hégémoniques, mais son sort est directement lié à la décision du président sortant de rempiler ou de se retirer du pouvoir ; son niveau intellectuel limité et son âge avancé ne le prédestinent pas à demeurer à ce poste sensible au-delà du règne de Bouteflika. Aussi, en adressant ses directives aux responsables concernés par la gestion de l’élection présidentielle d’avril, le chef de l'Etat prêche-t-il des convaincus qui n’attendant que son signal pour agir dans le sens qu’il voudra. Lesquelles directives n’auront, donc, un sens qu’une fois que ses intentions seront connues.
M. Aït Amara