Hommage à la femme algérienne
Elles s’appellent Nefertiti, Cléopâtre, Meriem, Khadija, Fatima, Tin Hinan, Kahina, Elisabeth, Victoria, N’Soumer, Marie Curie, Djemila Bouhired, Djamila Boupacha, Zohra Drif, Fadila Saadane, Indira Gandhi, Bandaranaike, Benazir Bhutto, Corazon Aquino, Aung San Suu Kyi, Angela Merkel, Hillary Clinton, Royal, Louisa Hanoune ou tout simplement Nacera, Ratiba, Souad, Linda ou Hiba. Elles ont dirigé, dirigent ou vont diriger leurs pays respectifs ou rêvent de devenir ministres, ambassadrices, juges, pilotes, professeures ou championnes du monde, à l’instar de Hassiba Boulmerka, Melinda Merah et tant d’autres femmes, qui ont influé positivement sur le destin de leurs pays respectifs. «Eduquez bien vos filles et laissez les faire», dit un vieil adage de chez nous, car «aucune laisse, aucune ceinture de chasteté et aucun corset ne peuvent empêcher une femme de faire ce qu’elle a envie de faire, quand le Diable habite son esprit ou son corps». Ce sont souvent les éducations rigoureuses, humainement insupportables, qui ont été à l’origine des scandales qui ont défrayé les chroniques sociales et donné lieu aux monstruosités les plus incroyables. Des textes comme notre statut de la famille, malgré le léger toilettage qu’il a subi, inhibent considérablement nos filles et nos femmes, et privent le pays d’un potentiel formidable que la réussite incontestable de certaines de nos sœurs ne saurait éclipser. Jadis, parents pauvres des législations internes, les femmes sont aujourd’hui, au même titre que les enfants d’ailleurs, théoriquement bien protégées par des conventions internationales qui énumèrent et garantissent leurs droits fondamentaux, et les mettent à l’abri de fléaux comme la drogue et la prostitution, qui minent notre société profondément marquée par les méfaits du terrorisme, qui garde encore les séquelles physiques et psychologiques, et de toute exploitation avilissante de leurs corps, qui continuent à être utilisés comme appât par les agences publicitaires, touristiques et de loisirs et une gent sans foi ni loi. La «question» de la femme n’est donc pas seulement une affaire de «genre» ou de «discrimination positive», mais une affaire de culture et de développement, dans tous ses aspects. L’éducation et la justice, sociale et économique, permettent aux pays, qui en ont fait la clé de voûte de leurs institutions et des axes majeurs de leur développement, d’enregistrer des avancées indéniables dans tous les domaines et de bâtir une cohésion sociale et une stabilité politique durables qui réduisent sensiblement leur vulnérabilité face aux aléas de la vie. Au plus fort de la crise, qui a failli emporter l’Etat algérien, dans les années 1990, ce sont justement ces valeurs ancestrales, bien gardées par nos grands-mères, mères, épouses, sœurs ou filles, qui ont permis à notre société de transcender la tragédie qui a frappé le pays à cause des négligences coupables des uns, qui ont engendré la folie destructrice et nihiliste des autres, qui a considérablement fait reculer le pays dans tous les domaines. Aujourd'hui que l'Etat algérien, à cause de sa mauvaise gouvernance depuis 1999, est lourdement frappé d'immobilisme, de défaillance et de déliquescence dans son fonctionnement, qui l'ont fourvoyé dans une impasse dangereuse voire suicidaire, ce sont des femmes comme Djamila Bouhired, Madame Hadda Hazem, Dr Amira Bouraoui et leurs nombreux camarades du mouvement citoyen Barakat qui demandent au peuple algérien de se mobiliser contre le 4e mandat, gros de tous les risques pour la cohésion, la stabilité, la sécurité et l'unité nationales, du président sortant, Abdelaziz Bouteflika, qui est dans l'incapacité physique, mentale et morale d'assumer ses lourdes charges. C'est précisément cette mauvaise gouvernance du pays, qui a permis à Khalifa, un blanc-bec trentenaire, de se jouer de toutes les institutions politiques, administratives et financières du pays, en corrompant les uns, en amadouant les autres et en achetant le silence de certains avec, ironie du sort, des sacs à ordures pleins de billets de mille dinars. Quelle dépravation des mœurs politiques et sociales ! Hasard ou nécessité, c’est à une femme, dont les qualités morales et professionnelles font l’unanimité, qu’a incombé la lourde tâche de démêler ce méli-mélo indescriptible. Cette dépravation a aussi permis à Chakib Khelil, un membre influent du clan présidentiel et ses complices de la Sonatrach et d'ailleurs, de détourner des centaines de millions d'euros et de quitter le pays en toute impunité, et à d'autres prévaricateurs de continuer à sévir dans les plus hauts postes de responsabilité avec la bénédiction de leurs parrains, qui en ont fait des intouchables. En tout état de cause, des scandales comme ceux de Khalifa, BRC, BCIA, BNA, Sonatrach, GNL 16, autoroute Est-Ouest, etc. qui, comme les affaires du «Don chinois», d’«El Paso» et des «26 milliards», naguère, portent un préjudice considérable à l’image de l’Etat algérien et à sa crédibilité interne et extérieure, notamment vis-à-vis des investisseurs nationaux et étrangers désireux de s’implanter dans un pays qui offre pourtant des opportunités commerciales non négligeables. Un système, qui a commencé son long règne, au lendemain de l’indépendance, par le détournement, en 1962, du «Fonds de solidarité», constitué des bijoux de nos mères et des maigres économies de nos pères, ne pouvait que terminer par des affaires comme celles de Khalifa et Khelil, qui constituent respectivement une autre main basse organisée sur les dépôts de centaines de milliers de petits épargnants et de dizaines d’organismes publics et des scandales de corruption gravissimes. Sans aucun doute, nos partenaires étrangers vont nous juger sur notre manière de «régler» ces affaires. Paradoxalement, la femme algérienne qui a commencé à jouir de ses droits politiques bien avant ses congénères des pays arabes et de certains pays d’Europe, les a vus, à cause d’une conjonction de facteurs sociaux et bureaucratiques négatifs, se rétrécir comme peau de chagrin parce qu’ils n’ont pas été consolidés par d’autres acquis. Qui n’avance pas recule. S’ils ont permis de «secouer le palmier», les combats solitaires menés par des organisations ou des personnalités nationales pour accroître ces droits n’ont pas encore donné les résultats escomptés. Par ailleurs, pour pouvoir accompagner efficacement le processus de renaissance du pays, les organisations non gouvernementales (ONG) et médias nationaux doivent être encouragés et renforcés et non pas entravés et divisés. Les champs politique et médiatique doivent leur être ouverts et accessibles. Sinon, ce sont leurs consœurs et confrères étrangers, d’obédiences diverses, qui ne cachent pas leur hostilité à notre pays et qui se nourrissent de nos contradictions internes et de nos faux problèmes, qui exploiteront ces défaillances pour exercer sur nous toutes sortes de pressions, et nous obliger à accorder des concessions importantes de notre souveraineté et de nos ressources naturelles non renouvelables aux organisations internationales et aux multinationales majoritairement contrôlées par les pays occidentaux, qui financent également la plupart des ONG internationales. A l’heure de la mondialisation, ce que les ONG et médias nationaux ne pourront pas dire ou faire sera dit et fait, de manière amplifiée et avec tous les risques de manipulation possibles, par les ONG et médias internationaux, qui terrorisent les gouvernements qui ont «de la paille dans leur ventre». En effet, la ruse, la malice et les fourberies utilisées pour tromper et priver leurs propres peuples des libertés fondamentales prévues par la Déclaration universelle des droits de l’Homme frisent parfois le ridicule et prouvent que ces dirigeants se trompent dramatiquement d’ennemi.
Une société civile forte
L’Etat a la responsabilité et le devoir de créer l’environnement juridique, économique et social le mieux à même de favoriser l’émergence d’une société civile saine qui assumera les charges dont il s’encombre inutilement. En jouant pleinement son rôle de contre-pouvoir crédible, la société civile ne pourra que susciter l’intérêt et l’adhésion des citoyens déçus par les partis politiques, qui se sont avérés n’être, à une ou deux exceptions près, en fait, que des clans organisés autour de leurs indétrônables «zouama». Un Etat fort, qui assure la sécurité des personnes et de leurs biens, l’éducation et la justice sociale à ses citoyens et respecte les principes de base de la démocratie, c'est-à-dire l’alternance au pouvoir, a besoin d’une société civile forte qui assume sa part de bonne gouvernance politique, économique et sociale du pays. Si nous ne mettons pas de l’ordre dans notre maison commune, d’autres, qui convoitent nos territoires et les formidables ressources naturelles qu’ils renferment, se chargeront, sous un prétexte ou un autre, de le faire à notre place et nous imposeront leur ordre cruel, comme ils l’ont fait en Irak, en Tunisie, en Libye, en Egypte, au Yémen ou en Syrie, ruinés par la cupidité et l’esprit tribaliste de leurs dirigeants respectifs. Notre pays est immense et a besoin pour sa défense et sa bonne gouvernance durable d’hommes et de femmes aux qualités morales, physiques et intellectuelles élevées. Ce sont les défis majeurs auxquels il fait face qui l’exigent. A cause du terrorisme, de la pauvreté et de préjugés sociaux absurdes, beaucoup de nos filles en âge d’être scolarisées ou de travailler ne sont pas allées ou ne vont pas à l’école et trouvent d’énormes difficultés à se procurer un emploi conforme à leur profil alors que la Constitution leur reconnaît le droit d’étudier et de travailler pour vivre décemment. Tant qu’il aura des femmes de la trempe de celles qui ont été citées précédemment, notre pays réussira toujours à sortir des abysses dans lesquelles l'imprévoyance et la mentalité cupide et obstinée de ses hommes politiques l’ont plongé, à maintes reprises. Dignes héritières des héroïnes légendaires qui ont marqué d’une manière indélébile l’histoire contemporaine et ancienne de notre pays, nos femmes continueront à illuminer le ciel de l’Algérie et à constituer le socle de sa pérennité. Décidément, on ne leur rendra jamais assez hommage.
Pour honorer leur mémoire, le gouvernement algérien, qui représente, quelle que soit sa couleur politique, en ces temps de multipartisme édulcoré, un pays dont la noble Révolution du 1er novembre 1954 – l’une des plus importantes révolutions que le monde ait jamais connu – a permis à de nombreux pays d’Afrique et d’Asie d’acquérir leur indépendance et soutenu diplomatiquement, financièrement et militairement toutes les causes justes, à travers le monde, doit aider les associations et organisations non gouvernementales nationales crédibles dans leur combat pour une véritable émancipation de la femme algérienne. C’est le moins qu’il puisse faire pour celles dont les énormes sacrifices ont souvent été injustement ignorés ou niés. L’avènement d’une nouvelle République, débarrassée des tares et des pesanteurs de celle qui l’a précédée, où le facteur féminin jouera un rôle plus important, dans tous les secteurs d’activité et à tous les niveaux de responsabilité, devient impératif. Ce saut qualitatif est nécessaire et vital pour le pays, car notre machisme borné a, en quelques décennies, transformé un «Paradis» possible en un «Enfer» certain, pour tous.
Rabah Toubal