Benatallah répond à Sellal : «Comment faire face à une guerre sans le chef suprême des armées ?»
«Le Maghreb est une des régions où les incertitudes politiques et sécuritaires sont plus lourdes que par le passé. Aujourd’hui, le voisinage de l’Algérie est globalement en situation d’instabilité politique et sécuritaire. C’est une donne nouvelle qui s’ajoute aux tensions régionales récurrentes. Les signes d’un renversement de tendance ne sont pas présents, loin de là. C’est plutôt la théorie dite des dominos qui domine en ce moment. Dans ce contexte de prévalence de germes de tensions et de menaces, l’Algérie pourrait être confrontée à une crise régionale majeure ou devoir gérer un conflit armé, fût-il limité dans le temps et en intensité. Si tous les pays s’y préparent en temps de paix en étudiant toutes les gammes possibles de prévention et de gestion de conflit, la question clé qui se poserait à notre pays se rapporterait à la réaction rapide de la chaîne de commandement à son plus haut niveau politique. La Constitution dispose, en effet, que le président de la République, ministre de la Défense nationale, «est le chef suprême de toutes les forces armées». Il est le seul à pouvoir décréter l’état d’exception lorsque le pays est menacé dans son intégrité territoriale. En outre, lorsque le pays est en péril, il est prévu que le Président informe la nation par message. C’est une situation d’exception qui exige du Président qu’il soit personnellement à la manœuvre, politique, militaire et diplomatique. Il ne s’agirait plus d’une campagne électorale, mais d’une campagne militaire. La Constitution ne prévoit pas une délégation de pouvoirs en cas de conflit armé. S’il arrive que le Président soit momentanément indisponible pour raison de santé au moment où éclate un conflit, ou absent du pays pour une raison médicale, comment fonctionnerait la chaîne de commandement politique ? Comment fonctionnerait-elle en temps réel ? Dans notre cas, il faudrait s’interroger si la nouvelle d’un conflit armé ou d’une crise majeure affectant la stabilité et la sécurité du pays, n’aurait pas un impact sur la santé du Président ? Est-ce que cet impact n’influerait pas sur la conduite des opérations par le chef suprême de toutes les forces armées ? Si le Président est hospitalisé à l’étranger à ce moment-là, devrait-il rentrer d’urgence au pays sans risque pour sa personne et pour le pays ? Pourrait-il, sous une pression énorme, mener les consultations politiques et tenir les réunions du Haut conseil de sécurité requises par la Constitution ? Devrait-il, momentanément, prendre des décisions opérationnelles, depuis l’étranger, y signer dans l’urgence des ordres stratégiques, mener les premières consultations avec les intervenants nationaux concernés, tout en n’ignorant pas que toutes les puissances, et l’ennemi ou les ennemis en premier lieu, ont déployé tous leurs moyens d’écoute ? Quel serait le temps de réaction si l’ennemi a pris position sur le territoire national en un temps éclair ? Si, par nécessité tactique, s’imposerait la décision de passer par le territoire d’un pays voisin ou entrer dans son espace aérien, une décision se prendrait-elle à temps ? Si le Président est indisponible à ce moment précis, qui prendrait la décision politique de rompre avec la doctrine défensive classique et de «déroger» à la Constitution, la nation étant en péril ? Du reste, n’a-t-il pas été dérogé à la doctrine de non-alignement avec l’accord donné à la chasse française de survoler l’espace aérien pour faciliter l’intervention de la France au Mali ? Au plan diplomatique, la pression ne serait pas moins insoutenable : entretiens intenses avec les chefs d’Etat, mobilisation de pays amis, convocations du Conseil de sécurité… Il faudrait aussi ne pas exclure la pression résultant de l’imposition d’un embargo éventuel, qui amoindrirait les capacités de notre pays et affecterait ses ressources, étant donné sa grande dépendance économique. Pour l’heure, retenons que le chef de l’Etat n’a pu se rendre sur les lieux où récemment s’est écrasé un avion militaire faisant d’innombrables victimes civiles et militaires, ni sur le site de Tiguentourine après la fin des opérations militaires. C’est pourquoi l’élection d’un président assumant pleinement, en toute légitimité et en toutes circonstances, ses missions de chef suprême de toutes les forces armées, serait une mesure de prévention de conflit et non une source potentielle d’incertitude institutionnelle, sinon d’instabilité politique durable.»
Halim Benatallah
Ancien secrétaire d’Etat, ancien ambassadeur