Entre un alarmisme entretenu et les risques d’un dérapage annoncé : trois scénarios pour un scrutin

A moins de quarante-huit heures d’un rendez-vous crucial, l’incertitude et la peur demeurent les maîtres mots dans toutes les déclarations des hommes politiques et des commentateurs, mais aussi dans toutes les discussions publiques où les cruelles réminiscences d’un pays ensanglanté se sont subitement substituées aux polémiques passionnées et passionnantes qui ont alimenté la campagne électorale durant trois semaines. Il faut dire que les appréhensions se sont amplifiées depuis la levée de boucliers lancée officiellement par le président-candidat qui a choisi les derniers jours de la campagne électorale pour surgir de sa léthargie et donner ses consignes face à la caméra. La première consiste à diaboliser à outrance le principal adversaire qui menace de remporter l’élection, si par malheur les leviers de la fraude n’arrivaient pas à fonctionner comme prévu. Les relais immédiats, politiques et médiatiques, n’ont pas tardé à s’exécuter avec un zèle toujours plus grand, et en usant de propagande, pour accuser Ali Benflis et ses partisans de préparer un mouvement insurrectionnel à l’annonce des résultats, dans l’hypothèse, bien comprise, d’une défaite qui serait mal digérée par ces derniers.
Scénario catastrophe
Certains médias à la solde du clan présidentiel, poussant l’outrecuidance à son paroxysme, n’hésitent pas à parler de milices armées qui attendraient des instructions pour semer le chaos. Cela dit, un scénario catastrophe n’est pas à écarter, mais pour d’autres motifs. Au cas où les résultats donnent Bouteflika vainqueur au premier tour, et c’est l’hypothèse la plus redoutée, on sait déjà que Benflis ne va pas se taire et qu’il aura certainement échafaudé un plan pour exprimer son rejet des résultats. Non pas qu’il se considère d’ores et déjà comme gagnant, mais tout simplement parce qu’il devait anticiper le risque de manipulation des urnes. C’est ce qu’il n’a pas cessé de marteler dans tous ses meetings de campagne et jusque dans sa dernière intervention dans les médias. Comment pourrait-il réagir dans ce cas ? Dans sa déclaration à RTL, lundi, il a, d’emblée, exclu tout appel à la révolte. Comment, dans ce cas, pourrait-il sauver la face devant ses ouailles, ces millions d’Algériens qui l’ont soutenu et cru en lui jusqu’à la dernière minute ? Va-t-il les laisser se déchaîner contre le pouvoir qui leur aura confisqué une victoire légitime ? Dans ce cas, le risque d’affrontement avec les forces de sécurité peut être l’élément déclencheur d’une spirale de violence, dont nul ne peut prévoir les conséquences, avec son lot d’arrestations, de victimes… Cela ne peut qu’arranger ses adversaires qui lui ont déjà collé l’étiquette de la violence. Aussi, dans un contexte pré-insurrectionnel pareil, des actes de violence plus ou moins graves peuvent être endossés au camp de Benflis pour justifier sa disqualification politique qui a, en fait, déjà commencé.
Scénario du 8 avril 2004 «bis» ?
Dans un autre cas, Benflis, déclaré vaincu, peut se résoudre à l’idée de capitaliser cet extraordinaire élan populaire qui l’a porté tout au long de la campagne pour annoncer la création d’un grand parti politique, et se poser ainsi en alternative sérieuse à l’avenir. Ce serait le seul moyen, dans pareille situation, de contenter les milliers de cadres et de militants, dont beaucoup sont issus du FLN, qui l’ont accompagné et qui, en retour, espéreraient trouver des ouvertures pour promouvoir leur carrière politique, pour beaucoup bloquée par le système actuel. C’est le scénario de la présidentielle de 2004 qui risque, en vérité, d’être réédité, mais avec de la maturation et un projet politique en plus. Même si une éventuelle défaite risque de faire, comme en 2004, des victimes au sein des sphères dirigeantes où il aurait des sympathisants actifs. Cela risque aussi d’être mal perçu par une partie de la population désabusée par tant d’expériences passées, et qui, par conséquent, peut être vite gagnée par un sentiment de défaitisme. C’est pourquoi Benflis et ses soutiens n’ont d’autres choix que de rester offensifs, quelle que soit l’issue du scrutin, et d’imaginer la forme idoine pour résister à ce qu’il conviendrait de qualifier de confiscation programmée de la volonté populaire, que l’ex-chef de gouvernement croit incarner. Dans ce cas de figure, l’attitude qu’adopteront l’armée et les services de sécurité, en général, sera déterminante pour la conduite qui sera choisie pour faire face à un passage en force de l’équipe installée au pouvoir.
Scénario à «l’ivoirienne»
Si le rapport des forces sur le terrain restent équilibrés grâce, en partie, à la neutralité de l’institution militaire qui aura réussi à «sécuriser avec force et détermination» le scrutin, comme vient de le rappeler le chef d’état-major de l’ANP, donc théoriquement sans parti pris, Ali Benflis serait tenté d’aller vers la solution radicale, en se déclarant lui-même vainqueur. Il y a déjà fait allusion, en disant qu’il annoncerait les résultats du vote avant le ministre de l’Intérieur. Cela signifie qu’il ne reconnaîtrait pas les chiffres officiels s’ils étaient différents des siens. Cela peut le mener à engager, pacifiquement, un ultime bras de fer avec le président sortant et son clan, qui ne lui laisseraient aucun autre choix que de se déclarer devant le peuple algérien, et devant le monde entier, comme nouveau président. Le pays risquerait alors de se retrouver avec deux chefs d’Etat, comme en Côte d’Ivoire, en 2010, où deux candidats à la présidentielle, Laurent Gbagbo et Hassane Ouattara, se disputèrent la victoire pendant plusieurs mois, avant qu’une intervention militaire étrangère, ne vînt, au nom de la «communauté internationale», débusquer le président sortant. Mais il est sûr que dans le cas algérien, l’armée n’accepterait pas que l’accès à la magistrature suprême soit «somalisé» de cette manière. Si elle reste dans ses attributions constitutionnelles, qui lui dictent d’observer une position neutre et saine dans le jeu politique, elle n’en est pas moins consciente du rôle qu’elle est appelée à jouer si l’unité et la souveraineté de la nation sont mises en danger. Pour cela, elle ne pourra se soustraire à son devoir d’arbitrage pour prévenir contre des scénarios qui plongeraient l’Algérie dans un nouveau cycle de régression.
R. Mahmoudi
 

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