Conjugaison
Par M. Aït Amara – Il n’y a pas que les politologues qui n’arrivent pas à déchiffrer le grimoire algérien. Les linguistes aussi en perdent leur latin. Voilà quinze ans que Bouteflika est aux commandes et on ne sait toujours pas à quel temps son bilan doit être conjugué. Dans ce système politique, les tenants du pouvoir utilisent les quatre modes à la fois, dans le désordre et sans considération aucune pour les règles grammaticales. Cette entorse à la langue et ce jonglage avec les temps, on a eu à les constater durant la campagne électorale où l’indicatif, censé exprimer des actions et des vérités générales, a cédé la place au subjonctif qui énonce un souhait, une volonté ou un conseil. Les animateurs de la campagne de Bouteflika, qui n’avaient pas intérêt à étaler la vérité au grand jour, ont opté pour des formules articulées sur des promesses et des mises en garde. Le tout mijoté à l’impératif et salé au conditionnel : «Si vous ne votez pas Bouteflika, il n’y aura pas de stabilité». Si dans les langues, en général, les modes sont subdivisés en temps et chaque temps comporte six personnes repérées par des pronoms personnels (je, tu, il…), dans le cas algérien, le verbe n’est conjugué qu’à la troisième personne du singulier – il a tout fait, mais il fera ce qu'il n'a pas encore fait – par des conjugueurs payés à la tâche. Hormis, donc, le Président et ses auxiliaires dont l’objet est d’«avoir» et d’«être», les autres, tous les autres, sont conjugables à la forme impersonnelle. Ces auxiliaires aujourd’hui utilisés comme conjonction de subordination ne désespèrent pas d’obtenir le titre de verbe à part entière et de pouvoir, alors, exister et posséder à leur tour et ne plus constituer qu’une forme de conjugaison pour le radical. Quant au peuple, il n’a plus droit qu’à la voix passive. Devenu spectateur de l’action, il la subit, lui, le mot, principal constituant de la parole et seul vrai moyen d’expression, réduit au rang de complément d’agent.
M. A.-A.
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