Conventions et accords nuisibles à l’économie nationale : les cadeaux de Bouteflika à la France

Certaines dates de conclusion des traités liant l’Algérie aux pays occidentaux laissent bon nombre de spécialistes dubitatifs. C’est notamment le cas de la convention fiscale algéro-française qui a été signée le 17 octobre 1999, soit quelques mois à peine après l’élection d’Abdelaziz Bouteflika pour un premier mandat à la présidence de la République. Le but de la convention entre les gouvernements algérien et français est, notamment, «d’éviter les doubles impositions, de prévenir l'évasion et la fraude fiscales et d'établir des règles d'assistance réciproque en matière d'impôts sur le revenu, sur la fortune et sur les successions». Un texte qui a été suivi par d’autres accords et qui, au vu des déséquilibres des échanges commerciaux entre les deux pays, est sujet à critique de la part des économistes et des juristes, l’Algérie mono-exportatrice d’hydrocarbures étant largement perdante dans ses échanges commerciaux ainsi établis. Alors que les exportations hors hydrocarbures algériennes sont quasi nulles et que les entreprises nationales sont confinées dans l’espace local, les exportations françaises s’accumulent et les entreprises françaises sont nombreuses à lorgner sur le marché algérien. On compte actuellement plus de 450 sociétés françaises en Algérie. Des entreprises qui opèrent dans les secteurs bancaire, pharmaceutique, agroalimentaire, automobile, etc., dans le nord du pays et, bien entendu, dans le Sud algérien, où elles exploitent les gisements d'hydrocarbures, telles que Total, GDF-Suez, la Compagnie générale de géophysique, Technip ou encore Sodexo. Le déséquilibre se reflète aussi dans la balance commerciale puisque, au premier trimestre 2014, la France, même si elle a perdu sa place de leader, reste tout de même en seconde position en tant que fournisseur de notre pays avec 1,96 milliard de dollars d’exportations. La France a exporté pour 2,6 milliards de dollars de marchandises vers l’Algérie à la même période, alors que les investissements productifs restent insignifiants. Face à la perte de sa place de privilégiée, pour la première fois depuis 1962, la France a certes promis, par la voix de ses responsables politiques, une «transition d’un partenariat commercial vers l’investissement» afin de proposer à l’Algérie «un partenariat plus dense, plus pérenne et plus équilibré». Mais ces promesses sont loin d’être tenues. Le commerce dans le cadre de conventions de non double imposition par exemple est un cadeau qui n’encourage pas vraiment le passage vers le volet plus contraignant et financièrement coûteux, notamment en ces temps de crise, de l’investissement productif. D’autres aberrations économiques forcent tout observateur à se poser des questions sur l’intérêt de maintenir des accords économiques avec les Occidentaux. C’est notamment le cas de la convention de coopération économique avec l’Union européenne, ayant servi de fondement pour le démantèlement de nos barrières douanières et qui coûte, chaque année, plusieurs centaines de millions de dollars au Trésor public sans contreparties, du moins «économiques».
L’Algérie finance le déficit de la France
L’Algérie a également ratifié une trentaine de conventions fiscales permettant aux pays étrangers de faire valoir, seuls, le droit d’imposer les revenus de source algérienne. «En quelques mots et sans entrer dans des explications techniques, quand certaines entreprises étrangères exécutent en Algérie des prestations au profit de l’Etat algérien ou de sociétés publiques comme Sonatrach, elles ne sont plus taxées que dans leur pays d’origine, alors que le droit interne algérien impose au Trésor public de prélever des taxes sur ces mêmes revenus», nous dit un expert en fiscalité. Il ajoute que «l’existence de ces traités coûterait plusieurs points de PIB à l’Algérie et finance une partie des déficits de quelques Etats européens comme la France». Du côté des pouvoirs publics, qui peinent à créer une économie diversifiée, capable d’assurer un décollage des exportations qui permettrait au pays de bénéficier – sur le même pied d’égalité avec ses partenaires européens – de l’accord d’association, on tente de limiter les dégâts. Après avoir accepté un démantèlement tarifaire total en 2017, le gouvernement a fait machine arrière au vu des piètres résultats économiques, pour enfin arriver à obtenir un sursis, au bout de deux ans de négociations, à travers un report jusqu’en 2020 de la levée des barrières tarifaires pour une large gamme de produits industriels importés par notre pays. Dans son volet agricole, l’accord stipule également «un réaménagement de certains contingents préférentiels de l’UE pour les produits agricoles et les produits agricoles transformés». Il s’agit de 36 contingents agricoles à l’importation en Algérie qui bénéficient de franchise de douane, qui seront désormais supprimés ou réaménagés. Fin 2010, l’Algérie avait demandé de décaler de trois années le calendrier de démantèlement tarifaire des produits importés de l’Europe communautaire, motivant sa requête par le besoin d’accorder une période supplémentaire aux entreprises algériennes, afin de se préparer à la concurrence accrue qui leur sera imposée avec la création de la zone de libre-échange algéro-européenne. D’autre part, ce décalage de la date butoir aurait permis à l’Algérie d’éviter une perte de 8,5 milliards de dollars de recettes de Trésor d’ici à 2017, si elle avait maintenu en vigueur le démantèlement tarifaire des produits importés de l’UE, selon des estimations officielles basées sur une simulation avec une facture constante des importations en provenance de l’UE, sur la période allant de 2010 – date du gel par l’Algérie du processus de démantèlement – à 2017.
2,5 milliards de dollars perdus annuellement
Certains experts évaluent le manque à gagner de l’Algérie depuis l’entrée en vigueur de l’accord d’association avec l’UE en 2005 à quelque 2,5 milliards de dollars annuellement. Le démantèlement tarifaire avec l’UE a déjà eu pour conséquence une perte de recettes pour le Trésor équivalente à 3 milliards de dollars, avançait pour sa part, en avril 2013, Mohamed Benmeradi, alors ministre de l’Industrie, de la PME et de la Promotion de l’Investissement, cité par l’APS. Par ailleurs, depuis le gel du démantèlement, l’Algérie a pu réaliser un gain de 11,3 milliards de dinars soit 152 millions de dollars en droits de douane depuis septembre 2010, selon une estimation des Douanes algériennes. De 2005 à 2011, les pays de l’UE ont exporté vers l’Algérie près de 100 milliards de dollars de biens et services, avec une moyenne annuelle de 20 milliards de dollars, alors que les exportations algériennes hors hydrocarbures vers le marché européen n’ont même pas totalisé 5 milliards de dollars sur la même période, selon la même source. Pour mieux se rendre compte de ces aberrations, il suffit de comparer notre situation de dépendance vis-à-vis de nos partenaires commerciaux européens notamment, avec l’attitude des pays européens et leur prudence vis-à-vis de leur partenaire américain. Il est aisé, par exemple, de constater la réaction de l’Union européenne face au projet de traité d’investissement qui lui a été proposé par les Etats-Unis. La mise en place d’un tribunal supranational est ainsi considérée par les membres de l’UE comme une «renonciation à la souveraineté nationale» et à la «liberté de légiférer». Selon un article du journal français Les Echos, en date du 28 avril 2014, «un tel traité bilatéral pourrait menacer le droit de légiférer des Etats membres de l'Union européenne». «Les Etats-Unis et l'Union européenne doivent-ils signer un traité bilatéral d'investissement et mettre en place un tribunal d'arbitrage supranational pour les conflits qui surgiraient entre un investisseur et un Etat ? Les deux grands blocs commerciaux qui négocient un vaste partenariat transatlantique (TTIP) l'envisagent. Mais devant la levée de boucliers qu'il suscite en Europe, la Commission européenne a été contrainte de marquer une pause. La question est soumise à consultation publique», écrit, notamment, le journal qui souligne que «Bruxelles veut prévoir des garde-fous pour s'en prémunir». Or, l’Algérie a ratifié plus de 40 conventions d’investissements bilatéraux et notamment avec la France et les Etats-Unis. C’est, d’ailleurs, grâce à cet outil juridique que les compagnies Anadrako et Maersk ont contesté en 2009 la création de la taxe sur les profits exceptionnels dans le secteur des hydrocarbures. Ces deux compagnies ont obtenu, à peu de chose près, 4 milliards de dollars de compensation. De plus, plusieurs sources confirment que les autorités algériennes n’appliqueraient pas cette taxe à des compagnies pétrolières étrangères sous prétexte que lesdites conventions les protégeraient d’une telle imposition. Plus récemment, le russe Fridman, propriétaire d’Orascom Telecom Algérie, a utilisé la convention d’investissement algéro-égyptienne pour obtenir du gouvernement des concessions sur les redressements fiscaux imposés par les autorités algériennes à sa filiale. L’arbitrage de 15 milliards de dollars engagé par Fridman contre l’Algérie a été suspendu le 18 avril 2014. En résumé, l’enchaînement de cadeaux fiscaux, de libéralisation sans contrepartie et d’abandon de souveraineté consentis par l’Algérie à ses «partenaires internationaux» coïncide étrangement avec les échéances politiques internes.
Meriem Sassi

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