Le changement, de l’illusion à la réalité
Le changement ne peut se faire à partir du système de pouvoir despotique en vigueur en Algérie. Car cette forme de pouvoir est solidement établie et ne peut que se reproduire indéfiniment du seul fait de son propre élan qui est porté par des institutions faussement démocratiques. Cette forme de pouvoir est amenée, pour se préserver, à faire obstruction à toute émergence d’une nouvelle forme d’organisation du politique véritablement démocratique. Les appels insistants au changement émanant de la société butent indifféremment sur un cadre légal bien élaboré, les réduisant à de simples actes subversifs et illégaux, justifiant à coup sûr toutes sortes d’interdictions répressives. Pour s’accomplir, le changement doit se faire de manière extrinsèque au système de pouvoir despotique. Il doit au préalable défaire toutes les formes politiques existantes sur lesquelles ce système de pouvoir trouve ses appuis et son équilibre. Y compris celles de sa périphérie, par la dissolution des partis politiques dits d’opposition, ainsi que la disqualification de toutes les personnalités politiques qui en ont fait partie un moment ou un autre. Aujourd’hui, comme toujours, le pouvoir en manque de légitimité tente de clientéliser encore une fois ces partis d’opposition et ces personnalités en rupture apparente avec le système de pouvoir pour former un gouvernement consensuel, qui lui garantit une illusion de changement. Ne pas se leurrer sur les refus formulés par ces derniers dans la conjoncture présente, car ceux-ci ne sont que tactiques, afin de leur permettre d’être en position de force et de négocier une part conséquente du partage du pouvoir, dans une formule illusoire de changement dans la continuité. Le pouvoir de son côté n’aura qu’à procéder par des effets d’annonce de modification de la Constitution et de quelques aménagements structurels qui n’auront aucun impact sur la structure du système de pouvoir despotique lui-même. Ce «contre-pouvoir», s’autoproclamant coordination pour le changement, s’appuie lui-même sur un hiatus. Celui que représente la rupture béante entre le pouvoir et le peuple, dont ce dernier ne cesse de s’exacerber par l’empêchement de l’émergence de sa souveraineté législatrice en tant qu’inéluctable source de refondation d’un Etat de droit. D’autant que cette coordination fait sien le slogan du changement qu’exprime le peuple par son exacerbation en des dénigrements chroniques et des marques d’irrespect catégorique à l’égard du système de pouvoir despotique. L’appropriation du slogan du changement par la coordination des partis dits d’opposition et des personnalités politiques issues du système de pouvoir lui-même génèrent des intérêts qui ne coïncident pas forcément avec ceux du peuple. Les intérêts des membres de la coordination du changement sont des intérêts que protège généralement leur prédisposition au respect de la loi et de l’ordre établis propres au système de pouvoir lui-même, dont l’objectif visé est le partage du pouvoir dans une illusion de changement dans la continuité. Quant à l’intérêt du peuple, il ne peut résider dans la perpétuation d’un système de pouvoir despotique et prédateur qui le prive de souveraineté. Le peuple est amené à se libérer par lui-même en adoptant une posture de rupture radicale. Car ce système de pouvoir ne peut être réformé de l’intérieur. Même si l’ordre politique qu’il a fondé sur la légitimité révolutionnaire semble aujourd’hui désincarné de ses prérogatives, le pouvoir et l’appétit de prédation qui l’accompagne restent entre les mains de ceux qui ont fondé cet ordre politique. C’est pour cela qu’il est difficile, voire impossible d’instituer le changement à partir des formes de pouvoir établies par ce système lui-même. Toute tentative de changement sur ce modèle n’est que pure illusion et le peuple le sait trop bien. C’est pourquoi il manifeste une volonté de changement radical, qui fait de son slogan un impératif révolutionnaire, qui traduit une réalité historique inaliénable : le changement par l’action directe, en l’occurrence l’action révolutionnaire.
Youcef Benzatat