Visite de Jean-Yves Le Drian en Algérie ou la démarche antiterroriste incohérente de la France
La visite à Alger du ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, est intervenue dans un contexte régional pour le moins très perturbé, au Mali et encore plus en Libye, qui a mis en évidence les incohérences de la démarche antiterroriste de la France. Ces incohérences sont apparues avec plus de relief dans la déclaration qui a clôturé le séjour de Jean-Yves Le Drian dans notre capitale. Les contradictions d’une politique extérieure commencée sous Sarkozy et poursuivie par Hollande sont d’ailleurs souvent dénoncées, en France même, par des personnalités françaises bien placées pour en parler. Dernièrement, Algeriepatriotique (voir article du 13 mai 2014) a publié une contribution d’un ancien ambassadeur de France, Michel Raimbaud, qui est également professeur et conférencier au Centre d’études diplomatiques et stratégiques (CEDS), dans laquelle il mettait à nu ce qu’il a qualifié de «schizophrénie indécente». «La France, déjà partie prenante au démantèlement de la Libye, ne peut rester complice de la destruction de la Syrie en y soutenant les terroristes d’Al-Qaïda qu’elle prétend combattre en Afrique, traquer Boko Haram au Nigéria et fermer les yeux sur le martyre infligé à la ville d’Alep par ses amis djihadistes», écrit-il. Le jugement est sans appel. L’ancien ambassadeur français va même plus loin en citant les propos invraisemblables d’un ministre de son pays : «Les gars de Jabhat al Nosra» (succursale d’Al-Qaïda dans la région) «font du bon boulot.» La France semble peu disposée, d’ailleurs, à nettoyer chez elle les foyers de recrutement de djihadistes qu'elle encourage en continuant à soutenir et à armer les extrémistes en Syrie. Algeriepatriotique a fait état (voir article du 20 mai 2014) de l’existence, en France, d’un réseau de militants islamistes radicaux chargés de recruter des djihadistes pour faire la guerre en Syrie contre le gouvernement légitime. Dans sa déclaration faite à Alger, le ministre français a évoqué le Mali, où les groupes armés continuent à sévir, et la Libye, où la violence a atteint des pics et comporte le risque une nouvelle fois de faire tache d’huile. Le double jeu de la France a été souligné par nombre d’observateurs dans l’Hexagone même : prompte à déstabiliser la Libye et à travers ce pays toute la région, avec un impact très lourd surtout au Mali, et multiplication de professions de foi antiterroristes dans ses discours officiels. Cette attitude reste incompréhensible. Par le paiement des rançons aux groupes terroristes, comme cela a été révélé par les médias français, Paris n’ignore pas qu’il contribue à entretenir directement ce fléau, aux ramifications internationales, qu’il appelle à éradiquer par ailleurs. L’Algérie a une tout autre vision de la stratégie de lutte antiterroriste. Sa politique dans ce domaine est conséquente. On en voit la traduction dans les positions à l’égard des pays voisins. Rien n’est fait qui puisse constituer un encouragement et pire une aide au terrorisme : pas de paiement de rançon et coopération antiterroriste loyale, tout en veillant au strict respect des constantes qui structurent sa politique extérieure en particulier la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, encore moins à travers une intervention militaire hors frontières, et le refus d’installation de bases militaires étrangères sur son propre territoire. En fait, pour l’Algérie, la lutte antiterroriste est une affaire très sérieuse et non pas un prétexte pour d’autres buts.
Kamel Moulfi