Quand un analyste boursier interpellait Bouteflika pour la création d’un fonds de souveraineté
«Durant toute l’année 2008, je n’avais pas cessé d’écrire dans les journaux algériens pour attirer l’attention du gouvernement algérien sur la création d’un fonds souverain. Mon acharnement sur ce sujet exprimait bien ma crainte de voir cette chance s’évaporer avec le temps, le monde traversait une crise financière qui entrera dans les manuels de l’Histoire. Il faut remonter le temps et atterrir en 1929 pour voir une crise pareille.
«Durant toute l’année 2008, je n’avais pas cessé d’écrire dans les journaux algériens pour attirer l’attention du gouvernement algérien sur la création d’un fonds souverain. Mon acharnement sur ce sujet exprimait bien ma crainte de voir cette chance s’évaporer avec le temps, le monde traversait une crise financière qui entrera dans les manuels de l’Histoire. Il faut remonter le temps et atterrir en 1929 pour voir une crise pareille.
A quatre reprises et dans trois journaux algériens, et avec toutes les connaissances que je possède dans le domaine de la Bourse, j’ai exprimé ma pensée sur cette opportunité qu’il ne fallait pas rater. Il faudra attendre 25 ou 30 ans pour qu’une occasion pareille se présente de nouveau. Si quelqu’un vient aujourd’hui me demander mon avis sur la création d’un fonds souverain je lui dirais prudence, prudence.
Le premier article a été publié par le journal El Khabar le 19 mai 2008, le deuxième par le journal Le Maghreb le 17 juillet, et le lundi 21 juillet, c’était au tour du supplément économique du jour El Watan de publier le troisième. Cette fameuse lettre que j’avais adressée au président de la République, Monsieur Abdelaziz Bouteflika, a été publiée par le journal El Khabar le 21 décembre 2008.
Si le gouvernement algérien avait à la fin de l’année 2008 créé un fonds souverain avec un portefeuille contenant des parts de fonds indiciels d’une valeur de 100 milliards de dollars (ce fonds serait devenu opérationnel à partir du 1er janvier 2009), la valeur de ce portefeuille serait aujourd’hui de 240 milliards de dollars avec un gain (avant impôt) de 140 milliards de dollars. A titre explicatif, voici la cotation en points des grands indices boursiers en Europe, aux USA et au Japon datant des mois de janvier et février 2009. Le DAX allemand était à 3 843 points en février 2009, il se retrouve à 9 946 points ce vendredi 30 mai 2014 (l’indice a presque triplé) ; le CAC 40 français était à 2 703 points et aujourd’hui il est à 4 529 points (une progression de 72%) ; le Nikkei japonais était à 7 995 points en janvier 2009, il est actuellement à 14 650 points (une hausse de 83%) ; le Dow Jones américain était à 7 023 points, il a atteint les 16 720 points ce vendredi (une progression de 138%) ; le Nasdaq américain a, quant à lui, triplé par rapport au mois de février 2008. Contemplez ces énormes gains que notre pays a ratés. Voici ci-dessous le contenu de la lettre que j’ai adressée au Président en décembre 2008.
Monsieur le Président,
L'intérêt du pays et l'élan patriotique m'incitent à vous écrire cette lettre afin de vous persuader de l'urgence et de la nécessité de créer un fonds souverain, avec une certitude absolue, je dirais que le moment est devenu opportun.
En effet, les cours des actions cotées dans les grandes places boursières ont considérablement chuté, la crise des liquidités empêche les investisseurs institutionnels de se jeter corps et âme sur le marché des actions, mais elle n'empêchera pas l'Algérie de profiter de cette aubaine.
Monsieur le Président, je tiens à vous présenter maintenant les sept arguments de base qui légitiment l'attractivité du marché des actions :
1- le taux des dividendes distribué aux actionnaires américains reste supérieur au taux des bons de Trésor américain ;
2- les fonds fermés américains, européens et japonais se négocient avec une décote allant jusqu'à 25% ;
3- plusieurs entreprises américaines, asiatiques et européennes voient leurs valeurs boursières se rapprocher de leurs valeurs comptables (une aubaine pour les adeptes de l’investissement en valeur) ;
4- le taux de croissance d'une grande majorité des compagnies cotées en Bourse dépasse actuellement le PER (Price per Earnings Ratio) de ces compagnies (une aubaine pour les investisseurs en croissance) ;
5- plus de la moitié des actions américaines, européennes et japonaises cotées en Bourse se traitent avec des PER au-dessous de 10 ;
6- avec les nouvelles politiques monétaires de la FED (la Banque centrale américaine) et celle de la BCE (la Banque centrale européenne) visant à abaisser leurs taux d'intérêt à un niveau proche de zéro pour relancer l'économie, de telles politiques rendent le marché des actions très attractif aux yeux des investisseurs des marchés financiers ;
7- sur une perspective purement économique, lorsque les taux d'intérêt se rapprochent de zéro, il n’y a pratiquement aucune chance de gagner de l'argent sur le marché obligataire. Ceci renforce l'idée du transfert des capitaux du marché obligataire vers le marché des actions.
Monsieur le Président, je tiens à vous exprimer ici mon opinion sur les avantages d'un fonds souverain.
1- L'avantage principal de l'investissement dans les actions se caractérise par le rendement élevé comparé au rendement des autres actifs financiers et cela a été prouvé par l'économiste américain de l’université de Yale, M. Roger Ibbotson, dont l'étude est une référence dans le monde de la finance. Ibbotson a étudié les performances annuelles de différentes classes d'actifs américains de 1926 à 2002, et il a constaté que le rendement annuel en moyenne des actions des grandes compagnies américaines était de 12,4%, celui des petites compagnies était de 17,5%, celui des obligations à long terme des grandes compagnies était de 5,7% et celui des bons du Trésor américain (ce dont la Banque d'Algérie dispose) était de 3,8%. A noter que durant cette période, il y a eu trois krachs boursiers : celui de 1929, celui d'octobre 1987 et le krach des valeurs technologiques de mars 2000, plus une dizaine de crises financières. Cette étude montre aussi qu'un dollar investi dans les actions en 1926 aurait une valeur nominale de 2 787$ en 2002, et qu'un dollar investi en 1926 dans les bons du Trésor américain aurait une valeur nominale de 16,60$ en 2002.
2- Un fonds souverain offre une transparence totale, tout citoyen algérien pourra suivre quotidiennement l'évolution du portefeuille du fond en hausse et en baisse (appréciation et dépréciation), ceci soignera certainement l'image ternie de l'Algérie dans ce domaine.
3- En créant un fonds souverain, l'Etat détiendra des parts du capital de plusieurs sociétés multinationales, ceci lui donnera le droit de faire siéger nos compatriotes au sein du conseil d’administration de ces multinationales et, par conséquent, avoir l'avantage de solliciter ou même d'exiger l'implantation de ces entreprises en Algérie, et en même temps avoir droit à d'autres avantages, par exemple des rabais dans les contrats pour les projets industriels que l'Algérie a l'habitude de signer avec ces multinationales, le transfert technologique et la formation des cadres algériens seraient également facilités.
Monsieur le Président, comme vous le savez, il y a eu pendant le printemps et l'été 2008 un débat sur la création d'un fonds souverain, quelques honorables ministres accompagnés d'éminents experts économiques algériens et un groupe de chefs d’institutions économiques et financières ont pris part à ce débat. Tout en respectant les opinions des acteurs de ce débat, mais en ayant pris connaissance du contenu et des déclarations de ces messieurs, je suis dans l'obligation de constater ce qui suit : le débat était pauvre en arguments, les points essentiels ainsi que les éléments de base du sujet ont été complètement ignorés, les débatteurs se sont lancés dans des généralités, faisant l'amalgame entre investir en Bourse et spéculer en Bourse. Quelques acteurs du débat, à leur tête M. Karim Djoudi, ministre des Finances, avaient mentionné la notion du risque d'un fonds souverain en présentant la crise financière comme un argument. Ce raisonnement est vraiment naïf, un économiste avisé sait pertinemment que la période des crises financières est un moment opportun pour l'investissement en Bourse, que les crises économiques et financières obéissent à des cycles qui se répètent tous les 8 à 12 ans, en plus, lorsqu’on aborde la notion du risque du portefeuille d'un fonds souverain, le langage financier nous incite à préciser de quel type de risque s'agit-il, car le risque ici se distingue par sa multiformité : il y a le risque systématique, le risque spécifique, le risque global et le risque non systématique. Les acteurs du débat ont aussi fait preuve d'une étonnante méconnaissance du sujet. A titre d'exemple, l'étude d'Ibbotson, les stratégies de la diversification du risque, le coefficient de corrélation, les trois grands modèles d'évaluation du portefeuille MPT, MEDAF, APT, tous ces éléments de base ont été ignorés.»
Noureddine Legheliel
Analyste boursier en Suède