Populisme et démocratie

La trajectoire suivie par l’Algérie après l’indépendance nationale fut la conséquence des luttes internes au mouvement de libération nationale, qui furent elles-mêmes façonnées par les formes sociales anciennes. Elles aboutirent naturellement à la mise en place d’un système de pouvoir basé sur le clanisme, le tribalisme, le népotisme et le conservatisme, qui a fini par s’ériger en mode de domination despotique, en totale contradiction avec les objectifs fixés par la révolution. Ce décalage va empêcher l’Algérien de penser par et pour lui-même pour cultiver un désir fondamental de liberté qui aurait pu devenir une source de la morale et de la politique. Depuis, le pouvoir et l’opposition opèrent en fonction d’un temps court marqué par l’improvisation, les arrangements ponctuels et informels, les compromis et compromissions divers, les impératifs de conquête immédiate du pouvoir ou la nécessité de les conserver à tout prix. Les alliances se nouent et se dénouent constamment. Mais, surtout, se dotent automatiquement d’immunité. C’est ainsi que le 10 juin, la CLTD, tout en affirmant s'engager à rompre avec les méthodes du système, s’est réunie pour proposer une plateforme qui se veut une offre de dialogue avec les forces politiques qui se sont accaparé du pouvoir, en vue d'élaborer ensemble un pacte […] pour l'établissement d'institutions «démocratiques». Soit ! Mais, seulement, cette démarche semble s’apparenter avec la méthode principale sur laquelle le système s’appuie en pareilles circonstances pour se pérenniser. Notamment avec sa stratégie de compromis avec l’opposition en vue d’un partage du pouvoir à travers une nouvelle forme de rénovation de la façade démocratique. A ce propos, la CLTD s'accorde la vocation de définir et d'énoncer unilatéralement les règles qui doivent prévaloir pendant la période de transition, en excluant d’emblée les autres forces politiques et les personnalités qui ont refusé de rejoindre son initiative et qui ne partagent pas le bien-fondé de leur démarche. Particulièrement pour les voix qui militent pour la séparation de la religion et de l’Etat, les associations qui militent pour les droits et libertés de la femme, les voix qui revendiquent la criminalisation des délits économiques et de la mauvaise gestion des biens publics, celles qui revendiquent que justice soit rendue aux victimes de la décennie noire, etc. L’ambivalence de la démarche de la CLTD se précise encore plus dans cet autre énoncé par lequel elle affirme rejeter toute forme d'hégémonie ou de domination de toute partie, qu'elle soit militaire, financière, religieuse ou de tout autre groupe de pression interne et externe. Une position qu'elle remet en question immédiatement à l'occasion de l'ouverture de la conférence organisée ce 10 juin en obligeant les conférenciers à subir la diffusion de versets coraniques à l'inauguration de celle-ci ! Dont elle avait au préalable annoncé la couleur en invitant Ali Belhadj et d’autres islamistes radicaux a la conférence, alors que celui-ci est passé maître dans l'appel au meurtre des impies aux moments forts de l'enthousiasme triomphaliste du FIS dissous, qui a fait de lui un chantre de l'intolérance et un partisan de l'idéologie hégémonique islamiste. Toute la démarche de la CLTD semble être dénuée d’une authentique pensée de la démocratie. Elle apparaît principalement motivée par la construction d’un consensus dominant et hégémonique qui se fonde sur un discours de compromission avec le système et qui est basé sur un populisme nourri de conservatisme qui ne pourrait déboucher sur la construction d’un État républicain et véritablement démocratique. Les partis politiques de la CLTD, toutes tendances confondues, sans base populaire, qui sonnent depuis toujours le creux de la compromission avec le système, trouvent à cette occasion le moyen d’exister et de perdurer en tant que coquilles vides utiles au système et à eux-mêmes. L’absence d’une pensée de la démocratie qui aurait pu servir de base à une véritable alternative au modèle prédateur en vigueur, ne pourra surmonter dans ces conditions une nouvelle fois l’institutionnalisation des pratiques de la corruption, qui aura encore une fois pour conséquence la colonisation de l’appareil de l’Etat devenu un instrument d’enrichissement ou simplement une ressource privée, quitte à utiliser l’Etat pour détruire l’Etat, l’économie et les institutions authentiquement démocratiques, sans adjectifs, ni autre ostentation trompeuse. A ce stade de la perversion du politique, la classe dominante, pouvoir et opposition confondus, est prête à tout pour conserver le pouvoir. La politique ne devient dès lors pour eux qu’une manière de conduire la guerre civile ou la lutte ethnique et raciale par d’autres moyens. Pour que la démocratie s’enracine, il faudrait qu’elle soit portée par des forces sociales et culturelles organisées et des réseaux sortis tout droit du génie, de la créativité et surtout des luttes quotidiennes des gens eux-mêmes et de leurs traditions propres de solidarité. Mais, au préalable, il faut que la volonté générale de fuite, de défection et de désertion, chez des pans entiers de la société et principalement des élites, de vivre partout ailleurs qu’en Algérie soit dépassée. Encore, qu’il faudra inventer une idée dont elle serait la métaphore vivante. Ainsi, en articulant le politique et le pouvoir autour de la critique de tous les facteurs antidémocratiques et obscurantistes, tels que la religion, castratrice des libertés fondamentales, individuelles et des libertés de conscience, des libertés de la femme et de la justice sociale qui est garante des égalités de chance pour tous les citoyens et citoyennes.
Youcef Benzatat
 

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