Le géologue Michel Bouchard met en garde : «Les aquifères algériens sont en grande partie fossiles»
Dans une interview accordée à La Nouvelle République, le géologue canadien Michel André Bouchard, professeur à l’université de Montréal, estime que la décision prise par l’Algérie d’exploiter son gaz de schiste est une réponse aux demandes pressantes de l’Europe en matière d’énergie, suite aux développements récents en Ukraine, qui pourraient amener, selon lui, la plupart des pays européens à «chercher des voies alternatives d’approvisionnement de gaz naturel». Expliquant les effets dévastateurs de l’exploitation de cette ressource, le géologue rappelle qu’une étude américaine récente a démontré que «certains des produits en très fortes concentrations, bien au-delà des concentrations effectivement réalisées, pouvaient tout de même agir comme des perturbateurs endocriniens et, conséquemment, avoir des effets néfastes sur la santé humaine». «Tout cela, ajoute-t-il, souligne l’importance d’effectuer des évaluations environnementales approfondies avant l’exploitation, de caractériser complètement les conditions hydrogéologiques et de correctement évaluer les risques de contamination des nappes aquifères et, enfin, de se doter de techniques fiables et éprouvées de traitement des eaux de reflux». Plus en détail, il énumère les impacts potentiels de l’exploitation des gaz de schistes et au fracking qui, d’après lui, induit des effets directs sur la sismicité, la qualité et la disponibilité de l’eau, la qualité de l’air, la santé humaine et animale, l’esthétique, les conflits d’usage des terrains, les coûts d’opportunités, les émanations fugitives de méthane, etc. «Dans certains cas, précise-t-il, l’enjeu principal pourra être le conflit avec l’usage agricole des sols, avec la protection du terroir, avec l’urbanisation ou l’occupation humaine (santé, tranquillité), avec la protection de milieux naturels remarquables, avec la contamination potentielle de nappes aquifères stratégiques, ou avec l’usage ou la disponibilité de l’eau». Ce qui rend la chose plus complexe, c’est que la maîtrise de ces risques, selon A. Bouchard, «demande une excellente évaluation préalable, au cas par cas, une excellente compréhension et définition du ou des enjeux du développement, ainsi que, le cas échéant, une planification soignée de la gestion, de la surveillance et des suivis environnementaux». Concernant les risques qu’encourt l’Algérie, l’expert fait remarquer que «bien que l’eau soit abondante dans les aquifères sahariens profonds, il faudra tenir compte qu’il s’agit d’aquifères partagés, entre autres, avec la Tunisie, que ces aquifères sont en grande partie “fossiles” et que déjà, présentement, le rythme de leur exploitation excède le rythme de leur recharge contemporaine». Tout dépendra, selon lui, du niveau de disponibilité et de la qualité de traitement de cette eau. Il conclut en exhortant la société civile à en débattre afin de peser sur les décisions qui seront prises.
R. Mahmoudi