Interview – Le président de Shalom Akhshav(*) : «La situation à Gaza est absolument intolérable»
Algeriepatriotique : Le bilan de l’attaque israélienne contre Gaza a fait plus de 200 morts et plus de 1 500 blessés ? Quand, selon vous, cette agression prendra-t-elle fin ?
Algeriepatriotique : Le bilan de l’attaque israélienne contre Gaza a fait plus de 200 morts et plus de 1 500 blessés ? Quand, selon vous, cette agression prendra-t-elle fin ?
Ilan Rozenkier : J’espère que ça sera le plus tôt possible. Le plus tôt possible cela se fera, moins il y aura de victimes et plus la possibilité de trouver une solution politique à ce conflit sera possible, même si on peut porter un certain nombre de jugements concernant la façon dont Israël a réagi aux attaques du Hamas. Il ne faut pas oublier que le Hamas porte l’entière responsabilité de ces incidents, au-delà du meurtre des trois Israéliens par les tirs de roquettes, sans interruption, qui existaient déjà avant même cet assassinat et, donc, le terme d’agression n’est pas forcément, dans le cas présent, celui qui correspond le plus à la réalité.
La réalité est qu’il y a plus de morts du côté palestinien que du côté israélien et que toutes ces victimes sont des civils et des enfants…
Tout à fait. Effectivement. Et c’est le paradoxe dont la population civile porte le fardeau le plus lourd. C’est un paradoxe parce que le Hamas qui a dans ses orientations la suppression d’Israël et l’élimination du plus grand nombre de juifs possible, et qui a attaqué Israël pour essayer d’en tuer le maximum, n’y arrive pas et Israël est dans une situation actuelle de défense, même si on peut porter des jugements et des condamnations de la politique qui a été menée jusque-là – on aura peut-être l’occasion d’y revenir au cours de cet entretien –, mais dans l’état actuel des choses, Israël, qui est dans une situation de défense, finalement, a très peu de victimes. Cela étant, si les roquettes du Hamas ne font pas de victimes, c’est, d’une part, par chance et, d’autre part, parce qu’Israël a beaucoup investi pour protéger sa population civile, ce qui n’est pas le cas du Hamas. Vous savez très bien – et cela a été dénoncé –, les leaders du Hamas appellent les populations civiles à rester près des cibles de lancement des roquettes, au moment où ces mêmes leaders du Hamas se cachent pour essayer d’éviter d’être touchés par les frappes israéliennes. C’est la population civile, je le reconnais, qui en paie le prix le plus lourd et c’est la raison pour laquelle il faut, au plus vite, que cette guerre cesse. J’espère que le cessez-le-feu humanitaire de quelques heures qui, normalement, devrait intervenir au moment où nous parlons sera respecté de part et d’autre pour le plus grand bien des populations civiles qui sont, encore une fois, les principales victimes de ce conflit.
Avez-vous réagi à ce énième massacre par les Faucons de Tel-Aviv contre les populations civiles de Gaza ?
Nous avons réagi dans la mesure où les positions du camp de la paix en Israël sont claires. Il y a des critiques contre le gouvernement israélien concernant la politique d’expansion des colonisations dans les territoires occupés ; une politique que nous considérons comme étant contreproductive et qui est une entrave à une solution politique au conflit. Cela étant, toute population a le droit de se défendre. Le Hamas, qui n’a pas été de main morte quand il a mené sa guerre contre le Fatah pour prendre le contrôle de Gaza et qui s’est livré, lui-même, à des assassinats contre des militants du Fatah, porte actuellement l’entière responsabilité du déclenchement des opérations. Néanmoins, il est clair qu’il n’y a pas de solution militaire à ce conflit. On ne va pas et on ne pourra pas réoccuper la bande de Gaza. Donc, il faut trouver une solution politique. Il faut sortir par le haut de ces affrontements et – je le dirai jamais assez – le plus tôt sera le mieux, car c’est la population civile qui en paie le prix.
Quelles sont, selon vous, les véritables raisons de cette agression ? Est-ce vraiment les tirs de roquettes à partir de la bande de Gaza ou y a-t-il des causes inavouées ?
On peut toujours émettre des hypothèses. Il est possible qu’il y ait des arrière-pensées chez les uns et chez les autres. Toutefois, il est indiscutable – et aucun pays ne pourrait l’accepter – qu’on tire des roquettes sur une population civile. Vous parlez d’agression et de crimes israéliens, n’oublions pas que viser une population civile, c’est également considéré comme un crime de guerre. Donc, s’il y a des crimes qui sont commis, ils sont commis de part et d’autre. Sauf qu’il y en a un qui vise délibérément une population civile et l’autre qui essaie de toucher des rampes de lancement qui, au mépris des populations civiles, ont été installées au cœur des habitations civiles, ce qui correspond, là aussi, à un crime de guerre. Effectivement, si on met en avant le fait que s’il y a plus de victimes civiles que de militants du Hamas, cela veut dire que le Hamas a pris toutes les précautions nécessaires pour cacher et camoufler ses propres militants en mettant en avant la population civile qui – je le répète – paye le prix le plus lourd de cette guerre. C’est une situation absolument intolérable dont personne ne se réjouit en Israël. Que des femmes et des enfants soient tués n’est une satisfaction pour personne.
Le rapprochement entre le Hamas et le Fatah dérange l’Etat hébreu et Tel-Aviv l’a clairement fait savoir en mettant en demeure le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, de choisir «entre la paix et la réconciliation avec le Hamas». Ne pensez-vous pas que la décision d’attaquer Gaza a été prise il y a longtemps et que Netanyahu n’attendait que le moment opportun pour déclencher les hostilités ?
Non, je ne le pense pas. Nous pensons que la position du gouvernement israélien face à la création de ce gouvernement de réconciliation nationale est erronée. Il fallait laisser ce gouvernement, qui est un gouvernement de techniciens, faire un certain travail. L’initiative prise par le Hamas est, sans doute, davantage à expliquer à partir de son affaiblissement du fait de ce qui s’est passé en Egypte, de son isolement. Donc, le Hamas essaie de rouvrir des canaux pour pouvoir, à nouveau, acheminer des armes et trouver de l’argent pour payer ses fonctionnaires et lutter contre son affaiblissement de par la perte de soutien en Egypte et en Turquie. C’est probablement de ce côté-là qu’il faut chercher l’origine de l’initiative du Hamas plus que dans les arrière-pensées des principaux dirigeants israéliens.
Vous militez pour la paix au Proche-Orient depuis des décennies, mais votre combat semble vain. Pourquoi le conflit israélo-arabe ne trouve-t-il pas de solution à ce jour ?
Vaste question. Je pense que la raison est peut-être à rechercher – même si cela peut paraître paradoxal – du côté de la psychologie des uns et des autres, dans le manque de confiance absolue qui existe dans une très grande couche de la population aussi bien israélienne que palestinienne, à l’égard de l’autre, et d’avoir ce sentiment que chacun, finalement, au fond de lui-même, ne souhaite que la disparition ou l’asservissement de l’autre. Et, à partir de là, on n’arrive pas, effectivement, à faire les pas nécessaires et prendre les décisions douloureuses qui doivent amener à un compromis de part et d’autre et qui permettrait la résolution du conflit et la coopération entre un Etat israélien et un Etat palestinien. Effectivement, cela fait trop longtemps que ce conflit dure. Cependant, il faudra bien qu’une solution politique soit trouvée, parce que la force ne pourra aucunement permettre de dépasser ce conflit.
Pensez-vous que les deux parties refusent la paix ?
Je ne pense pas que les deux parties refusent la paix. Je pense – et tous les sondages le montrent – qu’aussi bien chez la population israélienne que chez la population palestinienne il y a une aspiration à la paix, il y a une aspiration à ce que, enfin, chaque population puisse mener une vie normale. Il y a eu des erreurs qui ont été commises de part et d’autre. Je ne pense pas qu’il y ait une symétrie parce que, effectivement, Israël est plus fort et plus puissant que la Palestine, donc il y a une responsabilité qui lui incombe justement du fait de sa force à pouvoir prendre le risque de la paix après avoir encouru, pendant très longtemps, les risques de la guerre. Le risque de la paix est plus difficile à prendre. Malheureusement, il y a un décalage dans les décisions qui ont été prises par les uns et les autres. Il est clair que si les signes de bonne volonté et la dénonciation des agressions, des assassinats ou des actes de terrorisme par l’Autorité palestinienne devant les ministres des Affaires étrangères des pays arabes avaient été entrepris plus tôt, peut-être qu’il y aurait eu une forte confiance en Israël dans le partenaire palestinien. On n’aurait pas entendu – ce qui, de notre point de vue, était une erreur – cette phrase : «Il n’y a pas de partenaire palestinien avec qui négocier. Nous, nous considérons qu’il y a un partenaire et que ce partenaire c’est Mahmoud Abbas.» Il est vrai que si des signes avaient été donnés plus tôt à la population israélienne, on aurait pu progresser. Et si le gouvernement israélien avait pris des décisions justes et raisonnables, en particulier en matière d’expansion des colonisations, il aurait créé, sans doute, un climat plus propice à la progression des négociations. Personne en la matière n’est blanc, même si, encore une fois, on ne peut pas établir une symétrie entre les uns et les autres.
Toute critique contre le sionisme est assimilée à de l’antisémitisme. Comment expliquez-vous cet amalgame ? Est-il entretenu ou est-ce dû à une confusion entre la religion juive et la doctrine sioniste belliciste et expansionniste ?
Sur le plan politique et intellectuel stricto sensu, on peut effectivement critiquer le sionisme qui est une doctrine politique sans verser pour autant dans l’antisémitisme. De même qu’on peut critiquer l’islam – vous m’excuserez la comparaison ! –, sans tomber dans l’islamophobie. Il y a, effectivement, un sentiment de défense des uns et des autres, dès lors qu’on critique certaines personnes qui ont du mal à accepter la critique, que ce soit chez les partisans du sionisme, dans le cadre du judaïsme, ou bien de l’islam et des musulmans. Mais il est vrai qu’un certain nombre de critiques glissent très facilement de l’un et de l’autre et dans certains cas, c’est parce qu’on ne veut pas s’en prendre directement à l’un qu’on essaie de l’attaquer par l’autre. Mais compte tenu des positions qui ont été prises par les uns et les autres avant, on sait ce qu’ils ont derrière la tête. Donc, il y a une confusion qui s’instaure. Une confusion qui devra être éclaircie et dépassée le plus rapidement possible.
Vous confondez entre religion et doctrine…
Il faut savoir que les juifs ne sont pas simplement les partisans d’une religion et c’est là où réside effectivement la complexité. Etre juif, ce n’est pas être adepte d’une religion. Il y a des juifs laïcs, des juifs qui croient en Dieu et d’autres non. Il y a des juifs qui respectent la religion et d’autres, au contraire, se font un malin plaisir à faire exactement le contraire de ce que les principes de la religion enseignent et qui, pourtant, se considèrent comme juifs et sont vus comme des juifs par les autres. Etre juif, c’est appartenir à un peuple, c’est une culture. C’est quelque chose de compliqué, mais l’équation juif = religion juive est une équation erronée et qui entraîne beaucoup de conséquences néfastes.
Comment percevez-vous le rôle de l’Egypte dans le conflit israélo-arabe à la lumière des derniers développements politiques dans ce pays ?
Malheureusement, il y a une situation un peu paradoxale. C’est que l’Egypte, actuellement, s’est trouvée confrontée à une très grave crise. Lorsque Morsi a été porté au pouvoir dans le cadre d’une élection relativement démocratique, il y a eu, par la suite, une dérive du pouvoir – les spécialistes de l’Egypte le disent également – qui a entraîné des réactions hostiles aux Frères musulmans, ce qui n’était pas le cas au départ. La répression qui frappe actuellement les Frères musulmans en Egypte est extrêmement dure. C’est le moins qu’on puisse dire. Ceci relève assez peu du principe de procédure démocratique. Bien entendu, cela a des répercussions sur la situation dans la région, puisque le Hamas était très proche des Frères musulmans. Pendant très longtemps, l’Egypte a contribué au renforcement du Hamas, par les tunnels, sur le plan financier et par la liberté de manœuvre qu’elle lui offrait. Actuellement, on assiste à une situation qui s’est renversée. Compte tenu des positions du Hamas qui, de mon point de vue, sont erronées, je pense, qu’effectivement, ils paient maintenant le prix des erreurs qui ont été commises dans le passé.
150 000 Américains de confession juive ont manifesté aux Etats-Unis contre Israël et aucune chaîne de télévision américaine n’en a fait cas, selon nos informations. Comment expliquez-vous cette inféodation des médias mainstream au lobby pro-israélien ? Pensez-vous que les journalistes sont (vraiment) libres dans les «démocraties» occidentales ?
Les journalistes semblent «libres» dans les démocraties occidentales, dans la mesure où ils le sont dans leur tête. Je ne sais pas d’où provient ce chiffre, mais on retrouve dans la presse, comme en France, le compte-rendu de manifestations pro-palestiniennes. Cette appellation ne me convient pas parce qu’on considère, moi-même et le camp de la paix, que ces pro-palestiniens qui s’indignent des morts et des massacres, selon leur appellation, à Gaza ou en Israël tolèrent parfaitement bien ce qui se passe en Egypte, en Irak, en Afghanistan et en Libye. Des gens qui ont l’indignation sélective, ça pose problème. En tout cas, en France, on a très largement rendu compte des manifestations qui ont eu lieu pour soutenir le peuple palestinien. Je ne sais pas si dans certains pays arabes on a aussi rendu compte des dérives qui, dans certains cas, ont accompagné ces manifestations.
Il y a eu des manifestations pro-israéliennes aussi…
Oui, il y a eu des manifestations pro-israéliennes. Mais je parlais des dérives qui ont eu lieu avec ces cris de «mort aux juifs !» et ces tentatives d’attaques de synagogues comme à Paris où deux synagogues ont fait l’objet d’attaques, non pas par l’ensemble des manifestants – j’insiste là-dessus –, mais par certains éléments. Heureusement, en France, on assiste depuis quelques jours à des condamnations de ces actes, y compris de la part des autorités musulmanes, ce dont on ne peut que se réjouir.
Les Occidentaux financent la rébellion islamiste armée en Syrie et la combattent ailleurs, dans le Sahel notamment. Comment expliquez-vous cette contradiction ?
Je ne pense pas que les pays occidentaux financent de façon massive cette rébellion telle que vous l’appelez en Syrie. Les spécialités de la question, qui sont loin d’être pro-israéliens, ont une vision différente des mouvements de rébellion et de révolte contre la tyrannie d’Al-Assad, des massacres de populations et de ceux, d’ailleurs, des Palestiniens – les grands oubliés de ces pro-palestiniens – et qui se sont réfugiés en Syrie. S’il y avait eu un soutien massif des Occidentaux à l’égard de la rébellion syrienne, je pense que cette rébellion serait dans une situation différente et ce n’est probablement pas les islamistes les plus extrémistes qui semblent en avoir pris le contrôle qui assurent aujourd’hui la direction de ce mouvement. Les forces laïques et la population civile qui, les premiers, se sont dressées contre Al-Assad, seraient probablement aujourd’hui dans une meilleure situation s’il y avait eu ce soutien massif des pays occidentaux. Sauf que les pays occidentaux, de ce point de vue, n’ont pas eu, sans doute, le courage de faire peut-être ce qu’il aurait fallu faire, compte tenu des erreurs qu’ils ont faites déjà en Irak et en Afghanistan. Cela a sans doute joué un grand rôle.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi et M. Aït Amara
(*) La paix maintenant.
L’organisation Shalom Akhshav milite pour la reconnaissance de l’Etat palestinien, le partage de la terre entre les deux Etats palestinien et israélien selon le tracé de la Ligne verte, le partage de souveraineté sur El-Qods, le démantèlement des colonies juives de Cisjordanie et de Gaza et le retour des réfugiés palestiniens sur le territoire de l’Etat palestinien.