Abdelaziz Bouteflika «délègue» ses prérogatives à Abdelmalek Sellal : l’article 81 bis déjà appliqué ?
«Le Premier ministre peut recevoir du président de la République, dans les limites fixées par la Constitution, une délégation du pouvoir réglementaire.» Ce passage est extrait de la nouvelle mouture de la Constitution qui a été soumise au débat lors des concertations sur la révision de la Loi fondamentale conduites par Ahmed Ouyahia. Bien que la nouvelle Constitution n’ait pas encore été validée par le Parlement ou par voie référendaire, l’article 81 bis semble déjà être entré en vigueur. Du moins, c’est ce que suggère l’appel téléphonique du président français François Hollande au Premier ministre Abdelmalek Sellal , suite au crash de l’avion affrété par Air Algérie au Mali. L’absence prolongée du président Bouteflika, hormis quelques apparitions sporadiques durant lesquelles son rôle se limite à recevoir des émissaires étrangers à des fins de protocole et de communication, a été palliée par un Premier ministre omniprésent et physiquement inépuisable, qui sillonne le pays de long en large et est sur tous les fronts. Abdelmalek Sellal donne ainsi l’air de diriger le pays, bien que ses prérogatives s’arrêtent là où commencent celles d’autres institutions de l’Etat, en tête desquelles la présidence de la République. Le Premier ministre, qui obvie l’éclipse du chef de l’Etat, prend sur lui de rappeler à chaque fois, comme un leitmotiv, que toute action qu’il entreprend n’est que l’exécution d’un ordre venant du président de la République, comme pour lever les équivoques et éviter toute mauvaise interprétation qui serait induite par son ubiquité. La Constitution de 1996 prévoyait dans son article 81 qu’«en cas de non approbation de son plan d'action par l'Assemblée populaire nationale, le Premier ministre présente la démission du gouvernement au président de la République». Cet article a connu un premier amendement en 2002, puisqu’il y a été ajouté que le président de la République «nomme à nouveau un Premier ministre selon les mêmes modalités.» Un oubli qui eût pu conduire à une crise politique grave si un conflit avait dû opposer le chef de l’Exécutif au chef de l'Etat. L’erreur ayant été rectifiée, Abdelaziz Bouteflika a complété ce même article dans la nouvelle mouture en cours de discussion, en y annexant un passage «dicté» par un facteur extrinsèque qui est venu, contre tout attente, perturber son plan qui vise à garder le pouvoir jusqu’à la fin de ses jours. Sa première maladie, qui s’est déclenchée en 2005, soit au début de son troisième mandat, puis son accident vasculaire cérébral qui a failli l’écarter du pouvoir alors même qu’il se préparait à entamer un quatrième, l’a forcé à échafauder une nouvelle architecture constitutionnelle pour pourvoir se maintenir à son poste malgré sa diminution physique. C’est ainsi que l’article 81 bis a été adjoint à l’article 81 de sorte à permettre au chef de l’Etat de continuer à diriger de loin, en attribuant à son Premier ministre certaines de ses attributions, tout en ayant le doigt sur la seconde partie de ce même article qu’il a lui-même ajoutée en 2002, prêt à appuyer à tout moment.
M. Aït Amara