Faut-il avoir un ennemi extérieur ?
Faudrait-il s’étonner que les pays occidentaux, plus particulièrement, pensent que leurs ennemis se trouvent à l’extérieur, hors de leurs frontières, dans l’étranger proche pour l’Europe et partout dans le monde, mais dans les pays musulmans plus précisément pour les Américains ? Les pays arabes, par contre, n’identifient pas publiquement leurs ennemis, ou plutôt chaque pays arabe a une idée précise de qui est son ennemi ; il prépare et structure sa défense contre cet ennemi stratégique qu’il ne nomme pas en public. Les pays européens cultivent beaucoup le concept de projection de force, de puissance, de masse et il est évident qu’ainsi, avec une telle formulation de leur doctrine militaire, ce qui leur permet de justifier et d’engager des dépenses d’équipement, ils conçoivent que le théâtre des opérations militaires qu’ils sont appelés à développer se situe bien évidemment hors du territoire de l’Union. Leurs intérêts peuvent être mis en péril très loin de l’Europe. Des intérêts planétaires ? Peut-être bien que oui s’ils arrivaient à se fédérer selon l’exemple américain. Les Européens affirment avec conviction que depuis la fin de la guerre froide, ils n’ont plus d’ennemi à leurs frontières. C’est évidemment une chance que de ne plus avoir d’ennemi à ses frontières. Mais parlent-ils uniquement des frontières terrestres ? Quel pays arabe peut avancer avec certitude qu’il considère ne pas avoir d’ennemi à ses frontières ? Les armées de nos pays n’intègrent pas le concept de projection très loin de leurs frontières. Un tel concept d’emploi des forces ne structure pas les équipements et les formats des forces, et il ne constitue pas l’ossature de la doctrine militaire. Pas donc de capacité à projeter des forces. Cela pourrait se faire dans le cadre des alliances, mais alors la notion de partenariat stratégique intègre des accords de défense, ce qui ne semble pas être le cas pour ce qui nous concerne, selon ce qui est rendu public et selon les fondements apparents de notre politique extérieure. Et pourtant, des experts israéliens avaient dit à propos de l’envoi des supporters algériens à Khartoum qu’un Etat capable de transporter 12 000 hommes sur des milliers de kilomètres en deux jours devrait attirer l’attention. Aucun pays, en tout cas, ne peut se permettre de désigner son ennemi, car d’abord cela équivaudrait à une déclaration de guerre, et donc fatalement à s’engager dans une économie de guerre. Cependant, il ne peut se concevoir une politique de défense sans simulation d’un ennemi et aucune simulation ne pourra être correcte sans l’identification de son ennemi stratégique. Se préparer à une guerre contre un voisin ou contre l’hyperpuissance américaine n’implique pas la même formulation des besoins et de la préparation. Occuper un territoire étranger, voisin ou lointain et préparer nos forces en conséquence ? Cela apparaît inconcevable au regard des principes qui fondent notre politique extérieure, car s’y préparer militairement reste peu conforme au discours officiel. Le simple fait que les politiques maghrébines de défense ne sont pas intégrées fait l’économie de l’échange des mesures de confiance. Chez nous, c’est le président de la République qui s’exprime sur le plan des relations internationales et on sait cependant que celles-ci ne sont pas à séparer des questions et politiques de défense. Une mise en hors-jeu de l’armée sur cette question particulière ? Certainement pas, car c’est pratiquement seulement au niveau de l’institution de la défense que s’évaluent les risques et les menaces et fatalement les parades. Il serait intéressant de multiplier les centres d’études stratégiques principalement pour ce qui concerne les aspects stratégiques des relations internationales et de défense, et même des implications des questions économiques sur la sécurité intérieure et extérieure, plus particulièrement depuis qu’il est démontré que les problèmes se mondialisent. Vouloir intervenir forcément à l’extérieur traduit une volonté de puissance, une volonté à jouer un rôle mondial ou même régional en faisant appuyer sa diplomatie par l’instrument militaire. Il est de toute façon rare que des interventions extérieures ne se fassent pas dans un cadre multinational.
Bachir Medjahed