Monsieur Finkielkraut, vous êtes sur le bon chemin pour être le Goebbels du XXIe siècle
Monsieur,
Monsieur,
Je me présente : je suis un jeune ingénieur tunisien, qui n’a ni votre position à l’Académie française, ni votre facilité d’accès aux médias, ni votre hypocrisie d’ailleurs, et c’est tant mieux. Je suis tombé sur votre article publié dans les colonnes du Figaro en date du 26 juillet et je n’ai pu m’empêcher de vous répondre par la présente. Selon votre lanterne éclairée et concernant le génocide qui se passe à Ghaza, le tort reviendrait donc à la maudite civilisation de l’image qui montre les crimes contre femmes et enfants perpétrés par un Etat voyou, et non pas à l’Etat voyou qui bombarde les civils ! Vous avez certainement raison ! Nous aurions dû le laisser massacrer en silence, sans images, sans témoins ! Maudite soit la civilisation ! Maudit soit le journalisme, heureusement qu’il y a dans ce monde quelqu’un comme vous, qui nous protège de la civilisation, et nous fausse l’image. Je suis plus qu’émerveillé par votre logique, je me permets donc de l’utiliser dans un autre contexte qui, j’en suis certain, vous permettra de mesurer l’étendue de votre ingéniosité. Revenons quelques décennies en arrière, lors de la terrible Seconde Guerre mondiale, période où les nazis ont fait preuve d’une violence particulièrement ignoble et perpétré des crimes de guerre. Si je suis votre raisonnement, et si à l’époque vous aviez été l’académicien et la personnalité médiatique que vous êtes aujourd’hui, je suis persuadé que vous auriez alors justifié le nazisme, et trouvé des circonstances atténuantes aux exactions perpétrées par les SS ! C’est cette ignominie de civilisation de l’image alors naissante, qui a diffusé largement les preuves abjectes d’Auschwitz, qu’il fallait bien évidemment blâmer, pas les criminels ! Est-ce donc le message que vous souhaitez véhiculer, cher Monsieur ? Je suis d’ailleurs ravi que vous parliez du bombardement de Dresde, que vous tentiez de justifier un crime de guerre par un autre, une démagogie digne de l’intellectuel que vous êtes ! Puisque les alliés ont, durant la Seconde Guerre mondiale, tué entre 25 000 et 300 000 civils en bombardant la ville de Dresde, où il n’y avait par ailleurs aucune installation militaire, une ville «hôpital» en quelque sorte, Israël peut donc se permettre de faire pareil, et c’est un intellectuel qui le dit ! Suivant votre raisonnement, pourquoi en vouloir à Hitler dès lors ? Il n’a commis que des crimes de guerre, lui aussi ! C’est peut-être alors le nombre de victimes qui compte, qui permet de faire la différence entre des crimes de guerre condamnables et des crimes de guerre qu’on utilise pour en justifier d’autres ? Pour un intellectuel comme vous, peut-être ! Je ne suis pas un imminent intellectuel de votre acabit, je suis juste un être humain qui se respecte, et pour moi, une seule victime civile c’est déjà trop. Mais comme c’est vous l’intellectuel, je dois certainement avoir tort, tout comme la civilisation et l’image. Ou peut-être qu’Hitler est plus considéré comme un criminel que les Alliés ou qu’Israël, car lui s’est attaqué au «peuple élu», après tout, Israël ne tue que… des Arabes ! Etrangement, cette idée de supériorité d’une race sur les autres me rappelle encore quelqu’un Pas vous ? Monsieur, en lisant votre magnifique texte, une expression m’a vraiment convaincu, je cite : «L’aviation prévient les habitants de Ghaza.» Les nazis aussi en 38 et 39, si les livres d’histoire disent vrai, demandaient aussi aux juifs de partir de chez eux, de leurs commerces… avant de les détruire. Je vois que la grandeur, la miséricorde et l’humanisme de l’armée israélienne n’ont d’égal dans les manuels d’histoire que celles de la Gestapo ! Le parallèle est de plus en plus intéressant, d’autant plus que votre argumentation qui justifie le massacre rappelle celle d’un certain Goebbels.
Monsieur, toujours en parcourant votre merveilleux texte, j’apprends qu’il y a toujours des pièces bétonnées en Israël pour protéger les civils, et que les Palestiniens auraient dû en faire autant ! Tout d’abord, quelle utilité d’avoir de telles pièces en Israël puisque, jusqu’à aujourd’hui, la résistance ne tue et ne cible que les militaires, contrairement à l’Etat voyou. D’autre part, Monsieur, Israël a interdit l’importation du béton à Ghaza, vous ne le saviez peut-être pas ? Tout comme les médicaments ainsi que les vivres. Vous ne savez probablement rien non plus du blocus mis en place par Israël contre la bande de Ghaza. Tout ce que vous savez, c’est que l’armée «la plus morale du monde» a la gentillesse et la courtoisie d’avertir les civils avant de les bombarder chez eux ainsi que les mosquées, les écoles de l’ONU, les hôpitaux et même les souterrains de Ghaza. En somme, cette armée bombarde tout endroit où ils peuvent se réfugier, elle les bombarde et les tue, sans distinction et peu importe où ils se trouvent ! Mais ce ne sont que des détails ! Pour Monsieur l’intellectuel, les enfants et bébés arabes ne sont que des ingrats, l’armée israélienne les informe qu’ils vont mourir et ils trouvent le moyen de ne pas être reconnaissants ! Je me permets également d’attirer votre attention sur un détail : la résistance ne veut pas faire apparaître Israël comme un état criminel. Inutile, puisque les bombes aveugles et le nombre d’enfants déchiquetés dans les écoles de l’ONU s’en chargent.
Monsieur, ravi d’apprendre que selon vous le Hamas expose les civils, c’est donc de sa faute ! Très perspicace et sans appel ! C’est d’autant plus convaincant qu’un autre sombre personnage de l’Histoire a utilisé ce même argument pour justifier un massacre… en avril 1943. Eh oui ! bien deviné… c’est Goebbels ! Ce dernier a reproché aux combattants du ghetto de Varsovie d’exposer les civils. Ces juifs sous blocus, selon lui, n’auraient pas dû se battre et auraient dû continuer à mourir de faim, sous les bombes, et ne pas exposer les civils que les SS ont massacrés. Si j’applique votre logique évidemment bien fondée, Goebbels avait raison, puisque 71 ans plus tard, vous utilisez le même argument, n’est-ce pas, Monsieur, le Hamas expose les civils ? L’Histoire est cruelle quand elle le veut non ? Monsieur, toujours dans votre texte, lorsque vous parlez de comptabilité des morts, de ceux qui exposent leurs morts, puis-je me permettre de vous rappeler qu’à une autre époque, un autre peuple, en comptabilisant ses morts et ses souffrances, a fait chanter le monde en utilisant la civilisation de l'image, pour avoir le plaisir d’infliger les mêmes souffrances à un autre 70 ans plus tard. Ça ne vous dit rien, non ?
Ironie de l’histoire, il le fait avec les mêmes arguments et la même démagogie ! Chaque époque a son Goebbels, vous êtes sur le bon chemin pour être celui du XXIe siècle. Tout compte fait, et sauf votre respect, je me permets de penser que Goebbels mérite plus de respect. En effet, avant Goebbels, le monde ne savait pas où peut mener le fait de justifier et de donner une couverture démagogique «à deux balles» aux génocides. Après lui, si, et pourtant !
Monsieur, loin de votre merveilleux et bien-fondé texte, je vais essayer de vous expliquer ce qui se passe à Ghaza. Procédons par analogie avec le second conflit mondial : les Allemands mettent l’armée française en déroute et entrent à Paris, la France est sous occupation. Vichy n’est autre que Mahmoud Abbas. Le Hamas n’est autre que la résistance – appelée aussi par les Allemands terroriste –, Tsahal n’est autre que la SS. Les souterrains de Ghaza ne sont autres que les catacombes de Paris. La seule différence, c’est qu’en 1945, il y avait les Etats-Unis, les tirailleurs sénégalais, marocains et tunisiens pour libérer Paris, les Ghazaouis, eux, n’ont personne. J’espère que c’est plus clair pour vous. Je vous laisse deviner, dans cette analogie, et avec votre article du Figaro qui rend responsables les résistants des crimes des SS, quel rôle vous jouez !
Monsieur, toutes mes excuses pour avoir utilisé l’expression «à deux balles». Je ne sais pas si elle est acceptée par l’Académie française, mais je présume que oui, puisque l’Académie française a accepté quelqu’un qui justifie un génocide, qui blâme les victimes, ceux qui résistent, la civilisation et l’image, alors qu’une puissance nucléaire bombarde des enfants. Elle accepte donc, n’importe quoi. Avec tout le respect que je dois à un peuple qui résiste à l’occupation, je ne vous salue pas.
Ayari Yassine
Ingénieur tunisien qui soutient la résistance contre l’armée qui bombarde les enfants