Réorganisation gouvernementale : pour de grands ministères
Face à une éventuelle crise financière – la dépense publique ayant atteint un niveau intolérable qu’il s’agit de rationaliser et d’optimaliser, le pays dépensant deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultats par rapport à certains Etats de la région MENA, et devant éviter l’expérience du rééchelonnement de 1994 avec des ajustements sociaux douloureux intolérables –, l’Algérie a besoin d’un gouvernement resserré, composé de femmes et d’hommes compétents d’une haute moralité et non de courtisans. Il est entendu que la réforme institutionnelle doit être sous-tendue par des objectifs stratégiques clairement définis et datés dans le temps, à la fois politiques pour un Etat moderne tenant compte de notre anthropologie culturelle ( Etat de droit avec un consensus minimal qui ne saurait signifier unanimisme) et économiques (aller vers une économie de marché à vocation sociale qui doit être codifiée dans la nouvelle Constitution) comme facteur d’adaptation aux nouvelles réalités mondiales ; nous devrions assister entre 2015 et 2020 dans notre région à de profonds bouleversements géostratégiques.
1- Une situation difficile dans les années à venir
L’Algérie pourrait-elle continuer à fonctionner entre 2015 et 2020 sur la base d’un cours de 110/120 dollars, assistant à une dépense publique galopante avec la dominance des emplois rentes ? La population active du moment, au sens du BIT, a atteint, en 2013, 11 964 000 âmes, soit un accroissement relatif de 4,7% par rapport à septembre 2012. La population active féminine a dépassé deux millions de femmes (2 275 000), formant ainsi 19% de l’ensemble de la population active. Selon l’ONS, la structure de l'emploi par secteur d'activité est dominée par le secteur tertiaire (commerce et services) qui emploie en 2012/2013 plus de la moitié, soit 59,8% des actifs, suivi du BTP avec 16,6% (près de 2 millions dont plus de 50% sont des catégories inférieures), l'industrie (13%, donc 1,6 million avec la dominance du privé constitué en majorité de PMI-PME) et l'agriculture (10,6%). Entre 2005 et 2012, nous avons une croissance des effectifs s’élevant à 47% dans la fonction publique, presque 2 millions en 2012, plus de 2,1 millions en 2013 après les derniers recrutements, dont 86% bénéficiant d’un statut de permanent, selon la direction générale de la Fonction publique. Mais si on s’en tient aux statistiques de la Cnas, qui prend également en compte les recrutés dans le cadre du pré-emploi, la fonction publique algérienne totaliserait près de 3 millions d’agents en 2013. Il y a lieu de préciser l’impact de la création des nouvelles wilayas et ministères qui cumuleront les effets dépensiers, car le plus gros problème relève des effectifs dans la fonction publique avec un faible niveau de qualification avec comme effet direct l’accroissement du budget de fonctionnement la dépense publique avec la création d’emplois dans les secteurs administratifs et des emplois rentes au détriment de la création de la valeur ajoutée est intenable. Le budget de fonctionnement a connu une augmentation de 378,9 milliards de dinars, comparativement aux dotations allouées dans la loi de finances 2013. Aussi, les dépenses projetées par la loi de finances 2014 au cours officiel sont d’environ 100 milliards de dollars. La hausse des dépenses par rapport à 2013 est de 11,3%. Cette croissance du budget de fonctionnement est trois fois plus rapide que celle du PIB (annoncée à 4,5%, mais les prévisions dans ce domaine ne se sont jamais réalisées depuis 2005). Pour la Banque d’Algérie, le poids de la dépense publique a pris des proportions inquiétantes, passant de près de 45% en 2011 à 50% du PIB en 2012. Alors que ces ratios sont de l’ordre de 27% au Maroc et 26% en Tunisie en 2011. Selon les experts, avec la nouvelle croissance des dépenses de l’Etat prévue en 2014 avec l’abrogation de l’article 87 bis et les nouvelles structures administratives, le cap des 50% du PIB risque fort d’être franchi fin 2014. Le déficit budgétaire prévu pour 2014 est estimé à un niveau faramineux de 45 milliards de dollars, qui risque d’être dépassé sauf coupes budgétaires dans certaines rubriques. Dès lors, le prix du baril de pétrole, qui permet de financer les dépenses du budget de l’Etat qui était en 2013 marqué par une grande «prudence» de 105 dollars, pour 2014, devrait se situer à 110/115 dollars. Du fait de la rigidité de l'offre, 70% du pouvoir d'achat des Algériens dépendant des recettes d'hydrocarbures, il y a risque d'une hausse des prix internes, c'est-à-dire l'accélération du processus inflationniste, pénalisant les couches les plus défavorisées, compressé artificiellement par les subventions qui ne peuvent être que transitoires. Selon une étude du gouvernement, pour la période 2006-2011, les dépenses inhérentes aux rémunérations et aux transferts sociaux ont accaparé 84% de la dépense budgétaire. La hausse récente des importations, 55 milliards de biens et 12 milliards de dollars de services, soit au total 67 milliards de dollars de sorties de devises en 2013 (ajoutons environ 7/8 milliards de transferts des capitaux) est donc le fait à la fois des investissements massifs dans les infrastructures et au niveau du secteur énergie, mais de certaines surfacturations (pas de contrôle, cotation administrative du dinar avec un glissement, pour ne pas dire une dévaluation), mais également des augmentations de salaires, notamment dans la fonction publique. Qu’en sera-t-il en cas de chute du cours des hydrocarbures prévue entre 2015 et 2017, et pourra-t-on continuer dans ces dépenses improductives, emplois rentes sans contrepartie productive, et subventions quitte à épuiser le fonds de régulation des recettes et les réserves de change au bout de quatre années en retournant au FMI horizon 2018/2020 ? Car si la Libye, l’Irak et l’Iran produisaient en fonction de leur capacité réelle, le cours du Brent fluctuerait entre 90/95 dollars et le WIT entre 80/85 dollars accélérant les tensions budgétaires en Algérie.
2- Eviter les discours contradictoires par une cohérence gouvernementale
La majorité des observateurs nationaux et internationaux constatent malheureusement que même pour les affaires courantes, la majorité des membres du gouvernement prennent peu d’initiatives, des bureaucrates aux ordres, faisant remonter les problèmes même de gestion courante au niveau de la présidence de la République et surtout au niveau du Premier ministre dont d’ailleurs, selon la Constitution actuelle, les prérogatives sont extrêmement limitées. Tout cela renvoie à l’urgence d’institutions crédibles reposant sur la refondation de l’Etat au moyen de mécanismes plus décentralisés qui renforceraient globalement la cohésion globale. Dans la situation actuelle, plusieurs ministères se télescopent, ajoutant au manque de visibilité et de cohérence. Par ailleurs, la fonction de ministre est d’être, comme le montrent les expériences des pays développés et émergents, au contact tant de la sphère économique et sociale grâce à une communication active et cohérente. Or, la majorité des ministres ne savent pas communiquer, ne savent pas vendre ce qui a été pourtant positif, versant souvent dans l’euphorie et la démagogie alors qu’une bonne communication suppose d’être mesuré étant à l’ère d’internet. La fonction principale d’un ministre est d’avoir une vision stratégique, de prévoir et d’agir en conséquence, pouvant s’entourer de bons techniciens et experts, mais ne devant jamais fuir ses responsabilités. Il est avant tout responsable de la politique générale de son ministère, et selon la déontologie politique, il est responsable de toute action de ses collaborateurs, positive ou négative. Force est de constater une confusion des rôles, personne ne se sentant responsable, certains ignorant ou faisant semblant d’ignorer le fonctionnement de leur secteur. Et en cas de mauvaise gestion ou de scandales financiers relatés par la presse (renvoyant à une justice indépendante), ils font retomber toute la responsabilité sur leurs collaborateurs, expliquant d’ailleurs la démotivation de la majorité des cadres. Or, la responsabilité est collective. Combien d’expériences montent qu’un gouvernement n’est pas fait pour être obligatoirement populaire, mais doit avoir une vision stratégique d’optimalisation de la fonction objective stratégique, pour notre cas l’Algérie horizon 2020, afin de réaliser la transition d’une économie totalement rentière à une production et exportation hors hydrocarbures de segments productifs au sein des valeurs internationales en déclin. Certes, on doit concilier efficacité économique et une profonde justice sociale, mais sans populisme, une nation ne partageant en principe que ce qui a été préalablement produit, la rente des hydrocarbures donnant des taux de croissance, de chômage et d’inflation biaisés. Nous assistons à cette faiblesse de vision stratégique à travers des contradictions dans la communication gouvernementale. Récemment, et seulement pour l’année 2014, que n’avons-nous pas assisté à des contradictions de discours ! Pour m’en tenir au secteur économique, on nous avait promis l’éradication de la sphère informelle qui tend à s’étendre. Les contradictions sont perçues au niveau international quant à la politique énergétique, aux réserves entre le discours de l’ex-PDG de Sonatrach et son ministre de tutelle. Le ministre du Commerce avance que sa mission est l’accélération de l’adhésion de l’Algérie à l’OMC (du fait des incidences stratégiques, cela dépasse les prérogatives de son ministère, engageant tout le gouvernement) et, quelques jours après, il se rétracte. Le ministre de l’Industrie qui annonce l’assouplissement de la régule 49/51% devant le ministre des Affaires étrangères français et se rétracte quelques jours après, promettant la levée en 2020 et un code d’investissement attractif : or, combien de codes l’Algérie a élaborés depuis l’indépendance politique, et toujours 98% d’exportation d’hydrocarbures, vision juridique étroite loin des impératifs économiques soumis aux mutations mondiales. Une ministre courageuse qui annonce que l’école est sinistrée comme le montre le dernier rapport mondial sur l’innovation (2014) où l’Algérie est classée parmi les dix derniers et récemment le ministre de l’Enseignement supérieur qui va dans le sens contraire.
3- Pour de grands ministères
Privilégions les intérêts supérieurs de l’Algérie, l’efficacité et non la distribution de postes de ministres s’assimilant à des récompenses au moyen de la distribution de rente. Car au moment où dans la majorité des pays la rationalisation des choix budgétaires se généralise, l’Algérie continue à créer des emplois rentes administratifs en accroissant la dépense publique par la création de nouveaux ministères et de nouvelles wilayas. D’où l’urgence de rationaliser la dépense publique, notamment par un regroupement des ministères. Cette réorganisation devient urgente pour des raisons d’économies de gestion et d’efficience gouvernementale. L’Etat doit réduire son train de vie, donner l’exemple de rigueur, éviter en cette période de crise des dépenses inutiles de prestige sans impact véritable sur le devenir économique du pays et donc sur l’amélioration du pouvoir d’achat des citoyens. D’ailleurs, un regroupement des ambassades, excepté pour des pays avec qui l’Algérie entretient d’importantes relations commerciales, devrait rentrer dans cette réorganisation. A ce titre, je rappelle les pistes que j’ai suggérées en 2007 (voirsur Internet) où seront présents en Conseil des ministres pour plus d’efficacité que les ministres et non les secrétaires d’Etat ; au ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales (les services de sécurité après une large concertation des différents segments, du fait de la sensibilité de ce secteur devant être organisé à part) devrait s’adjoindre l’aménagement du territoire et l’environnement. Cela suppose une autre organisation locale, notamment du rôle des walis par la création de pôles socioéconomiques régionaux (régionalisation économique à ne pas confondre avec le régionalisme néfaste) impliquant tant l’administration, les élus, les entreprises, les banques, la société civile, les chambres de commerce et les universités, supervisés par un super-wali, poste politique avec des walis délégués avec le profil de manager (économistes, ingénieurs, juristes, évitant de puiser toujours dans l’Ecole nationale d’administration). Les directions de wilaya qui sont budgétivores devront être regroupées en adéquation avec ceux des ministères. C’est en accordant la priorité à la connaissance que les politiques publiques apporteront des réponses à la pauvreté, à la fois rurale et urbaine, et surtout à l’évolution du chômage par la création d’emplois et d’activités génératrices de revenus, en particulier pour les groupes vulnérables, notamment les femmes et les jeunes, et je préconise un grand ministère de l’Education nationale et de la Recherche scientifique (la revalorisation des compétences). Le ministère des Finances devrait être couplé avec le ministère du Commerce et le ministère des Investissements avec ceux du Tourisme et l’Artisanat, de l’Industrie, de la PMI-PME, tout en lui rattachant les mines, segment stratégique de la relance industrielle (deux secrétariats d’Etat techniques). Le défi majeur du XXIe siècle étant celui de l’eau, dont celui du dessalement de l’eau de mer (en espérant pour ces unités une intégration de certains de leurs composants, ce qui est possible) dont la base est le gaz, au ministère clé de l’Energie, pour aller vers un «mix» énergétique ne devant exclure aucune option, il y aurait lieu d’adjoindre celui des Ressources en eau tout en impulsant l’industrie pétrochimique, en partenariat avec les firmes internationales. Quant au ministère du Travail, logiquement, il devrait intégrer celui de la Formation professionnelle, de l’Emploi et de la Solidarité nationale. Pour celui de la Santé, il devrait inclure toutes les caisses de sécurité sociale. Devraient également être regroupés le ministère des Postes et des nouvelles technologies, et ceux de la Culture et de l’Information, pouvant exister un porte-parole au niveau du gouvernement pour l’information officielle. L’agriculture et la pêche formeraient un tout, ainsi que les transports, les travaux publics et l’habitat. Quant aux structures de la jeunesse et des sports, elles devraient être regroupées. La promotion de la condition féminine et la protection de l’enfance devront faire l’objet d’un traitement particulier. Il est entendu que les ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de la Justice devraient faire l’objet d’un large débat pour leur réorganisation. Les différentes agences chargées de l’investissement qui se télescopent et qui sont loin d’avoir répondu aux attentes des pouvoirs publics, malgré de nombreux avantages accordés, Andi-emploi des jeunes, etc., devront être rattachées à un seul ministère pour plus de cohérence. Concernant la privatisation-participation en panne, complémentaire à la démonopolisation (encouragement de l’investissement privé local et international productif qu’il s’agit de ne pas diaboliser et donc d’encourager, ce qui serait un signe fort pour la communauté internationale et les investisseurs potentiels, qui, actuellement, se livrent à des actes marchands et des investissements non porteurs à moyen et long termes misant pour leur paiement sur l’importance des réserves de change), je propose de créer à l’instar des pays qui ont connu une réussite, évitant qu’un ministre soit juge et partie (délits d’initiés), une grande agence des participations-privatisation relativement autonome, ayant une mission transitoire composée d’experts de haut niveau, sous l’égide du chef de gouvernement.
En résumé, la nouvelle Constitution doit trancher entre régime présidentiel, semi-présidentiel ou parlementaire ( prévoira-t-on un vice-président pour éviter toute vacance de pouvoir en cas d’imprévus ?), il serait souhaitable en outre de limiter le nombre de mandats, de redynamiser les institutions de contrôles politiques (parlementaires) et techniques, dont la Cour des comptes qui relève selon les textes en vigueur de la Présidence, car les effets de l’Inspection générale des finances relevant d’un ministère étant forcément limités. A cet effet, comme l’on s’orienterait vers un régime semi-présidentiel, l’actuel étant un régime super-présidentiel, il y a lieu impérativement de renforcer les prérogatives du chef du gouvernement ou du Premier ministre, notamment sur les ministères économiques, de prévoir la création de grands départements au niveau de la présidence de la République composés des meilleurs éléments, chargés de la conception et du suivi, les ministres étant chargés d’exécuter. Et surtout avec l’effritement du système d’information, avec des données contradictoires d’un ministère à un autre, la priorité devant être donnée à la création d’une structure stratégique, un département de la planification et de la prospective, structure indépendante afin d’éviter la manipulation des données à des fins politiques, relevant du chef du gouvernement ou du président de la République, les plus grands planificateurs – entendu management stratégique – étant les firmes internationales.
Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités, expert international
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