Le Maroc ne cherche pas la neutralité du Conseil de sécurité, il cherche à le neutraliser
Le caractère très peu diplomatique et la virulence de la charge de l’inénarrable représentant permanent marocain à New York contre le secrétaire général de l'ONU et son envoyé personnel, l’ambassadeur Christopher Ross, illustrent aux yeux de tous les observateurs l'étendue du désarroi des autorités marocaines qui redoutent que le prochain rendez-vous du Conseil de sécurité, en avril 2015, ne soit fatal à la thèse fantasmatique de l'autonomie que le Makhzen veut imposer en violation de la légalité internationale et au mépris de la doctrine des Nations unies en matière de décolonisation. Le représentant permanent du Maroc, qui n'a de diplomate que le nom, s'est permis, en effet, de sommer, de façon effrontée, le système des Nations unies de se soumettre au diktat marocain («rejet de toute discussion en dehors de l'Initiative d'autonomie proposée par le Maroc, pas de règlement en dehors de la souveraineté territoriale et de l'unité nationale») et de s'aligner sur ses prétentions coloniales ou, à défaut, de s'attendre à des représailles, notamment en ce qui concerne le maintien de la Minurso. Ce discours irresponsable, qui alterne les conditionnalités rédhibitoires et les menaces à peine voilées, en dit long sur un régime aux abois qui se trouve contraint de recourir aux gesticulations pathétiques, aux attaques puériles et à la surenchère gratuite à l’encontre de l'Algérie. En fait, une lecture parallèle de la communication faite par Mezouar devant le Parlement marocain et de l'entretien accordé par son représentant, psychorigide et néanmoins permanent à la MAP, est éclairant sur les raisons de cette fébrilité extrême de la diplomatie marocaine : l'évaluation globale du processus politique en avril 2015 par le Conseil de sécurité sur la base du nouveau rapport du secrétaire général de l'ONU pourrait, en raison de l’impasse imputable au Maroc, amener le Conseil à reconsidérer toute son approche en sortant la question du Sahara Occidental du chapitre VI (règlement pacifique des différends) pour l'inscrire dans le cadre contraignant du Chapitre VII (actions en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix). Outre l'enterrement de première classe de la prétendue «prééminence» de la thèse de l'autonomie, ce repositionnement du Conseil imposerait au Maroc l'organisation d'un référendum comportant les trois choix (autonomie, intégration ou indépendance) et c'est là où réside le cauchemar d'une diplomatie marocaine, naguère triomphaliste, et qui reconnaît désormais avec amertume que l'année 2015 sera cruciale pour sa «cause nationale». Ni les manœuvres désespérées et outrageantes de Mezouar ni les complaintes larmoyantes et les mystifications grotesques de son envoyé peu distingué de New York ne suffiront à empêcher le Conseil de sécurité d’assumer, tôt ou tard, la plénitude de ses responsabilités. Parmi les mystifications et les impostures les plus criantes de l’ambassadeur du Maroc à New York, pour lesquelles il a franchi allègrement le mur du «çon», il faut relever sa singulière redéfinition du mandat de la Minurso (surveiller le cessez-le-feu, réduire les risques d'explosion de mines, soutenir les mesures de confiance) en occultant, avec une sacrée dose de malhonnêteté, le fait que le «r» de Minurso signifie référendum. Tout comme son faux démenti «formel» qu’il balbutie laborieusement en s’emmêlant les pinceaux : le Maroc ne s’oppose pas à la visite de Ross dans la région, mais il faut que ce dernier réponde au préalable à un questionnaire unilatéral concocté par les officines du palais pour préempter et avoir un droit de regard sur le contenu du rapport que l’envoyé personnel aura à produire à l’issue de sa tournée régionale. Cette manœuvre grossière pour bloquer le projet de visite de Ross a beau être drapée dans les oripeaux de la «transparence» et de la «prévisibilité» (sic), elle n’en constitue pas moins une insulte caractérisée et insoutenable à l’égard de l’intégrité du système des Nations unies, tout comme le sont d’ailleurs ces jérémiades au sujet de la désignation de la nouvelle représentante spéciale du secrétaire général de l'ONU, Kim Bolduc. Là aussi, les incohérences du représentant marocain atteignent le paroxysme de la consternation : il reconnaît que la désignation de la nouvelle représentante spéciale du secrétaire général de l'ONU, Kim Bolduc, est du ressort du secrétaire général de l’ONU, mais il pleurniche sur le fait que son pays n’ait pas été consulté, subodorant par là même, en tant que stratège de pacotille, un «fait accompli» avec des répercussions possibles sur l’élargissement de facto du mandat de la Minurso ! En vérité, c’est la personnalité et l’expérience de Mme Bolduc qui ajoutent à l’angoisse existentielle des responsables marocains. Elle aura certainement à cœur de s’acquitter de sa mission sans compromission et de saisir sa tutelle à New York de tous les dérapages et violations commis par les forces marocaines dans les territoires sahraouis occupés. Enfin, le diplomate de l’année s’épanche copieusement, en surexcitant ses glandes lacrymales, sur la conjoncture régionale qui est «tellement trouble et périlleuse» qu’il faut tordre le cou à la légalité internationale et au droit imprescriptible du peuple du Sahara Occidental sur l’autel du fait accompli colonial. Il s’agit là d’une argutie fallacieuse. L’épouvantail de la conjoncture régionale et du terrorisme dans le Sahel est mécaniquement – et vainement – agité par le ministre Mezouar et ses collègues pour en faire un effet d’aubaine, quitte à pousser la communauté internationale à commettre une forfaiture et un déni de justice ! En fait, comme une bête blessée, le Maroc s’enfonce dangereusement dans une névrose obsidionale. Ses relations avec l’ensemble de ses voisins sont tendues : Algérie, France, Mauritanie, RASD et Espagne. Cette dernière, qui a une responsabilité politique, morale et historique dans la question du Sahara Occidental, subit ouvertement de nouvelles formes de chantage odieux à travers «les dysfonctionnements» prémédités et les «défaillances sécuritaires passagères et soudaines» qui autorisent des centaines de pateras à aller à l’abordage de ses côtes ainsi qu’à travers l’épouvantail des 3 000 terroristes marocains qui massacrent des innocents en Syrie et en Irak, et dont certains pourraient être tentés d’aller, le sabre au clair, voir du côté des territoires espagnols.
Karim Bouali