Interview – Le syndicaliste Ahmed Badaoui : «Sidi-Saïd n’est plus l’homme de la situation»
Algeriepatriotique : Agissez-vous dans le cadre du comité de réappropriation de l’UGTA en tant que membres de cette organisation syndicale ?
Algeriepatriotique : Agissez-vous dans le cadre du comité de réappropriation de l’UGTA en tant que membres de cette organisation syndicale ?
Ahmed Badaoui : Oui, nous agissons en tant que militants de base. Je suis moi-même employé au niveau de la direction générale des Douanes et je suis toujours cadre de cette institution. Et du fait qu’il n’existe pas d’autre organisation syndicale au niveau de ce secteur, la seule étant l’UGTA, je suis donc adhérent à cette organisation syndicale, mais sans aucune responsabilité.
Pourquoi ?
Une décision a été prise à mon encontre en 2005. J’étais passé devant une commission de discipline de l’UGTA qui avait ordonné mon exclusion de l’organisation suite à la création du Comité national de réappropriation et de sauvegarde de l’UGTA (CNRS-UGTA) qui, selon elle, était illégal. Ce comité a été créé par les syndicats des secteurs de la Cnan, de l’ENTMV, de l’Epal, des Douanes, etc. Comme j’étais le porte-parole de cette coordination, j’ai subi les foudres et les affres de l’UGTA et de l’administration des Douanes qui en a profité pour me suspendre à son tour. Mais en tant que travailleur, cela ne m’empêche pas d’être un militant de base.
Pourquoi avez-vous décidé de créer ce comité ? Pourquoi ne pas avoir fondé un syndicat ?
Les raisons de la création du Comité national de réappropriation et de sauvegarde de l’UGTA sont multiples. Mais nous en voulons surtout à cette direction et en particulier au secrétaire général…
Pourquoi spécialement le secrétaire général ?
Les statuts de l’organisation stipulent que le secrétaire général, de par sa fonction et ses responsabilités, est garant du respect des statuts et de la réglementation. Nous avons considéré, suite à la réunion du 5 août, que les statuts ont été violés et que le règlement intérieur n’a pas été respecté. Dès lors, nous ne pouvions plus accepter cette situation, et il était devenu nécessaire de dénoncer cette grave dérive et cette violation manifeste des statuts de l’organisation.
Qu’entendez-vous par «violation manifeste des statuts de l’organisation» ?
Aujourd’hui, l’UGTA est gérée de la manière la plus illégale qui soit, c’est-à-dire en violation de l’ensemble des dispositions contenues dans le statut et le règlement intérieur de l’organisation, et en porte-à-faux avec ceux-ci. Par ailleurs, l’organisation est administrée de manière antidémocratique, dans la mesure où ce ne sont pas les travailleurs qui choisissent leurs responsables, et ce, à tous les niveaux des structures de cette organisation : les responsables ne sont donc pas élus, mais cooptés. Sur le plan du fonctionnement, cette gestion est totalement contraire à la légalité et aux statuts bafoués par les responsables de l’UGTA.
L’UGTA 2014 est-elle encore capable de mobiliser les travailleurs ?
Impossible ! Elle n’en est pas capable du fait de la situation où elle se trouve et de sa perte totale de crédibilité ; du fait, aussi, de l’hémorragie des militants qui, par pans entiers et dans tous les secteurs d’activité, quittent cette organisation pour créer des syndicats autonomes ou y adhérer. L’UGTA est dans l’incapacité aujourd’hui de mobiliser qui que ce soit. Elle donne l’impression de pouvoir mobiliser par le biais de deux ou trois secteurs bien connus, comme celui des transports, mais, en vérité, l’ensemble des travailleurs à l’échelle nationale échappe totalement à son encadrement et à sa mobilisation.
Bien que plus mobilisateurs que l’UGTA, les syndicats autonomes n’arrivent pas à se développer réellement. Pensez-vous qu’une alliance entre tous ces syndicats pour créer une grande organisation syndicale unie est envisageable ?
Si, aujourd’hui, les syndicats autonomes s’assoient autour d’une table et dépassent un peu leur égoïsme et leur vision étroite – chacun voulant être le chef –, ils pourront, en effet, aboutir à la construction d’une grande confédération qui pourrait réunir l’ensemble des secteurs. Aujourd’hui, ce sont des syndicats corporatifs qui ont de l’influence dans leurs secteurs respectifs, mais uniquement dans leurs secteurs. Ils sont dans l’incapacité de rassembler et de mobiliser le plus largement possible.
Envisagez-vous une alliance avec ces syndicats autonomes ?
Nous avons dit, en 2005, lors de la création de notre coordination, que toutes ces organisations formaient des syndicats, qu’il s’agisse de l’UGTA, du Snapap, du Cnapest, ou autre. Nous partageons beaucoup de points communs et divergeons sur d’autres, ce qui est normal. Mais je dis que, pour l’intérêt des travailleurs, il est possible d’ériger des passerelles de communication avec ces organisations syndicales. Sauf que, pour le moment, elles reprochent à l’UGTA sa «dépendance du pouvoir» ; c’est essentiellement ce grief que ces syndicats mettent en avant. Si nous réussissons à remédier à cette situation, sachant que nous sommes à la veille du 12e congrès, et à élire une direction crédible qui œuvrera dans le sens des intérêts des travailleurs, et de ceux du mouvement syndical et de l’UGTA, il sera alors possible de tisser des liens avec les autres organisations syndicales.
Pensez-vous qu’une direction «crédible» pour reprendre votre terme émergera de ce congrès ?
Nous sommes en train d’agir dans le cadre de ce comité national pour créer les conditions et faire en sorte qu’une direction compétente puisse être élue lors des travaux de ce 12e congrès. Une direction crédible dont le seul souci sera l’intérêt des travailleurs.
Comment expliquez-vous la longévité de Sidi-Saïd à la tête de l’UGTA ?
Il est à la tête de l’organisation depuis dix-sept ans. En plus des deux mandats de secrétaire national chargé des conflits sociaux puis des relations extérieures. Cela fait donc trente ans qu’il est à la tête de l’UGTA. Je pense que cette organisation n’est pas coupée de la réalité nationale. Nous considérons l’UGTA comme un maillon d’une chaîne et, forcément, elle subit les influences de tout ce qui se passe à l’échelle nationale, tant sur les plans social et économique que politique.
Qu’entendez-vous par «influences» ?
Je parle des influences [des événements] politiques. Sidi-Saïd a pris les commandes de l’UGTA après la mort d’Abdelhak Benhamouda. Dans les années 90, tout le monde travaillait pour la stabilité de l’Algérie. Nous avons cru, à tort ou à raison, qu’il ne fallait pas chambouler l’organisation dans ces circonstances-là, car elle avait besoin de plus d’unité, de plus de cohésion pour la sauvegarde de notre pays. Ce qui a permis à Sidi-Saïd de perdurer, en bénéficiant de quelques préjugés favorables selon lesquels il était l’homme de la situation. Aujourd’hui, nous constatons qu’il n’est plus l’homme de la situation. Il est temps qu’il parte et qu’il laisse l’organisation aux travailleurs qui décideront de la personne à mettre à la tête de leur syndicat.
Sidi-Saïd a-t-il émis le vœu de partir ?
Je ne pense pas qu’il veuille partir un jour, sauf s’il y a une grande et large mobilisation. C’est à cette seule condition qu’il sera obligé de se retirer. Dans le cadre de notre comité, nous travaillons dans ce sens. Si on arrive à sensibiliser les travailleurs et les syndicalistes sur cette question, eh bien, tant mieux !
Les acquis obtenus par les travailleurs sont-ils une conséquence des efforts de l’UGTA, ou est-ce plutôt le pouvoir qui lâche du lest et fait croire que c’est la Centrale syndicale qui a réussi à les arracher ?
Je dis que ce n’est ni le pouvoir qui lâche du lest ni l’UGTA qui obtient ces acquis. C’est le combat des travailleurs à la base, avec leurs sections syndicales. Ce sont ces deux entités qui influent sur les grands rapports de force qui existent dans notre société et qui obligent le pouvoir à faire des concessions sur les plans social et économique. Il est déjà arrivé, par le passé, que l’UGTA s’inscrive en porte-à-faux avec les objectifs, les luttes et les revendications des travailleurs. Si, aujourd’hui, quelques acquis ont été préservés, c’est grâce à la lutte des travailleurs aux côtés de leurs syndicalistes.
Propos recueillis par Houneïda Acil