Le brusque limogeage de Belkhadem est un avertissement à tous les collaborateurs de Bouteflika
En se perdant dans la recherche des causes qui ont conduit le président Bouteflika à se séparer de l’un de ses plus fidèles lieutenants d’une manière aussi violente, les observateurs de la scène politique nationale et les médias se sont détournés involontairement de l’analyse de cette brusquerie inusuelle. Quelle que soit la raison qui a concouru à l’éjection peu honorable d’Abdelaziz Belkhadem, qui a occupé les postes les plus prestigieux et les plus influents de la République depuis l’avènement de Bouteflika en 1999, la décision du Président résonne comme une sévère mise en garde à l'adresse de tout responsable, quel que soit son rang, qui provoquerait l’ire du «grand chef». Physiquement diminué, le président Bouteflika, méfiant, redouble de vigilance depuis que sa maladie handicapante l’empêche de suivre les dossiers et de surveiller ses hommes d’aussi près qu’il lui fut loisible avant son accident vasculaire cérébral. La désignation du général de corps d’armée Ahmed Gaïd-Salah au poste de vice-ministre de la Défense nationale, tout en gardant la mainmise sur les forces armées en tant que chef d’état-major de l’ANP – une situation inédite – a, depuis le début, été décryptée comme un message que les détracteurs de Bouteflika devaient saisir au vol. Le chef de l’Etat, dont l’absence pour des raisons médicales l’avaient contraint à s’éloigner du pays pendant plusieurs mois, s’était empressé de convoquer le chef d’état-major à Paris, flanqué des cameramen de l’ENTV, pour signifier aux décideurs restés à Alger que l’armée était pleinement à ses côtés et qu’il demeurait le président de la République tant qu’il est encore en vie. Bouteflika a eu vent des craintes que sa maladie et sa longue absence avaient soulevées, et sait qu’il a frôlé le recours à l’article 88 de la Constitution qui dispose que «lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d'empêchement». Le recours à cette disposition de la loi fondamentale l’aurait définitivement écarté du pouvoir au milieu de son troisième mandat, alors qu’il s’inscrivait déjà dans le quatrième. Le limogeage tintamarresque et rabaissant d’Abdelaziz Belkhadem est une épée de Damoclès que Bouteflika vient de suspendre au-dessus de tout prétendant à sa succession et qui n’est retenue que par un fil très mince, susceptible de rompre au moindre murmure.
M. Aït Amara