Il n’y avait personne pour empêcher la marche des policiers d’arriver jusqu’au Palais du gouvernement

Mis sous pression depuis au moins trois ans, par les incessants déploiements pour le maintien de l’ordre face à des mouvements de contestation sociale et politique divers, les policiers ont fini par éclater et étaler au grand jour leur ras-le-bol, eux aussi. Ils l’ont fait d’une façon inédite et inattendue en manifestant dans la rue, et vêtus de leurs fameux uniformes bleu-noir, mais, significativement, sans la casquette, deux fois de suite, à Ghardaïa puis Alger. Ils l’ont fait aussi dans la retenue sans troubler l’ordre public qu’ils sont souvent chargés de rétablir face à des concitoyens en colère. Cette façon d’agir, responsable, a contribué à rassurer les gens sur les risques de dérapages et à leur donner confiance dans les capacités de ce corps à surmonter sa crise pour poursuivre sa mission essentielle de protection des personnes et des biens. On sait que pour n’importe quel frémissement qui part de la rue, beaucoup pensent à la manipulation, à fortiori pour ce cas exceptionnel où ce sont les forces de l’ordre qui expriment leur mécontentement par des marches et des sit-in, dans un contexte agité de rumeurs à propos de luttes au sommet. Mais aucun observateur sérieux ne peut nier le malaise perceptible dans les rangs de la police. Il est facile, par exemple, de deviner leur désarroi quand il leur est suggéré de ménager les délinquants qui imposent leur loi aux autres et de réprimer les catégories sociales qui revendiquent leurs droits. Les interventions de la police sont le plus souvent destinées à casser des actions de rue qui, certes, comportent le risque de troubler l’ordre public, mais tirent leur légitimité, reconnue par tous, de l’absence de réponse de la part des administrations concernées à des revendications maintes fois exprimées. En dehors des manifestations à contenu strictement politique qui ne réussissent pas à mobiliser beaucoup de monde (on disait : il y a plus de policiers que de manifestants), c’est surtout la protestation sociale et syndicale dirigée contre une administration paralysée par la bureaucratie, et animée par un personnel incompétent, qui a été à l’origine de la sortie des populations dans la rue, pour des augmentations de salaire, le relogement, l’emploi, les questions de salubrité, le service public… Les administrations ont pris l’habitude de compter sur la répression policière du mouvement social et syndical d’autant plus qu’il était contraint d’agir dans l’illégalité. Le problème maintenant est que les policiers eux-mêmes ne veulent plus taire leurs problèmes socioprofessionnels et ils l’ont fait savoir d’une manière retentissante en pleine capitale, la ville où se prennent les décisions, mais sans doute aussi pour signifier que Ghardaïa n’est que le prétexte de leur mouvement. Mardi après-midi, il n’y avait personne pour empêcher leur marche, partie d’El-Hamiz, d’arriver jusqu’au Palais du gouvernement où les policiers contestataires sont restés tard la nuit. De Ghardaïa, le ministre de l’Intérieur, Tayeb Belaïz, a promis que rien ne sera comme avant pour eux. Cela suffira-t-il à les convaincre ?
Kamel Moulfi
 

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