L’avant-projet du Code du travail : une réforme injustifiée annonciatrice d’une régression sociale (I)
Les partisans du libéralisme économique, confortés par le triomphe du capitalisme international et le recul des syndicats, mènent depuis deux décennies une offensive bien orchestrée contre les acquis des travailleurs obtenus après de grands sacrifices depuis un siècle. Partout dans le monde, les travailleurs et leurs syndicats subissent les assauts répétés des libéraux appuyés par la finance internationale et ses instruments : le FMI, la banque mondiale, l'OCDE, l'Union européenne. Précarisation de l'emploi, mobilité du travailleur, plus de pénibilité et moins de protection en matière d'hygiène, de sécurité, de médecine du travail, fin de la sécurité sociale par répartition, individualisation des salaires et remise en cause de la négociation collective, des libertés syndicales et du droit de grève. Les pays en voie de développement comme l'Algérie sont mis en concurrence en matière de précarité et de baisse du coût du travail, ce qui se traduit par un nivellement par le bas des prétentions des travailleurs. Voilà résumés les axes d'attaque qui caractérisent cette offensive ultralibérale à l'échelle planétaire. C'est dans ce cadre que s'inscrit le «nouveau contrat social» pour reprendre des termes du FMI, que préfigure cet avant-projet du Code du travail. Mais que veut dire ce mot «flexibilité» qui raisonne si bien à l'oreille, nous faisant penser à la gymnastique ou à la danse et qui est usité si souvent tel un phénomène de mode. Pour le savoir, examinons comment Doing Business, un organisme spécialisé de la Banque mondiale, définit cette flexibilité et les critères de son évaluation. Pour cet organisme, la flexibilité de l'emploi est la liberté absolue donnée à l'entreprise d'ajuster en permanence le niveau de l'emploi à ses besoins du moment et à sa politique en lui permettant d'embaucher et de licencier au moindre coût et sans aucun obstacle réglementaire, administratif, d'ordre syndical ou judiciaire. Pour ce faire, il faut déréglementer en éliminant toute restriction aux recours aux CDD et déplafonner leur durée ainsi que leur nombre. Autrement dit, transformer le CDD en ce que je serais tenté d'appeler le CDDI (Contrat à durée déterminée illimitée). Les entreprises peuvent aussi, et sans indemniser les travailleurs concernés, licencier librement (avec ou sans raison valable) tout travailleur ou groupe de travailleurs en sureffectif, ne répondant plus au nouveau profil exigé ou tout simplement indésirables. Le tout en dehors de toute négociation collective ou consultation et sans aucune autorisation administrative. Même l'obligation d'informer le syndicat, le CP, l'Inspection du travail ou l'autorité administrative fera dégringoler le pays au classement établi par Doing Business. C'est ce qu'on appelle la flexibilité externe ou quantitative. Cette flexibilité se traduira par une précarisation féroce de l'emploi et un recul net du droit du travail protecteur du salarié au profit des employeurs. La justice du travail ne sera plus au côté de la partie faible du contrat, puisque les sections sociales des tribunaux, à l'exception des cas flagrants de violation de la législation, deviendront des chambres d'enregistrement des volontés des employeurs. A côté de cette flexibilité externe, il existe une deuxième flexibilité dite «flexibilité salariale» selon laquelle les entreprises peuvent ajuster les salaires à l'offre et à la demande du marché du travail. Cette flexibilité salariale se traduira par une individualisation du salaire et la fin de négociation collective salariale, avec pour conséquence un affaiblissement important du rôle et de la force des syndicats. Aussi, la notion de salaire minimum n'aura plus de droit de cité. Enfin, une troisième flexibilité dite «flexibilité interne» consiste à adapter les horaires de travail aux seuls besoins de l'entreprise (annualisation du temps du travail, travail de nuit sans limites, de même pour le travail de week-end et jours fériés, augmentation de la durée du travail, diminution des droits au congé, etc.). Ceci se répercutera sur la santé physique et morale des travailleurs qui ne pourront plus prétendre au repos et à la détente ni à une vie familiale au détriment de leur épanouissement et à la scolarité de leurs enfants. En Algérie, après la période dite socialiste (1971-1989), la législation du travail a été complètement réformée durant la période allant de 1990 à 1994 par l'introduction du travail à durée déterminée (CDD) et le travail partiel sur la base de critères liés aux seules exigences économiques. Le licenciement collectif pour sureffectif a été institué à un coût très réduit (trois mois de salaire mensuel) avec la mise en place de deux amortisseurs sociaux : la création de la Caisse d'assurance chômage (Cnac) et l'institution de la retraite anticipée. Le verrou de l'interdiction du licenciement individuel a été levé avec même la possibilité pour l'employeur de ne pas réintégrer un travailleur victime d'un licenciement abusif contre le paiement d'une compensation équivalente en général à six mois de salaire mensuel. Les interventions du gouvernement en matière salariale ont été éliminées à l'exception de la fixation du salaire minimum garanti et les salaires ont été soumis à la négociation collective qui a été instituée en tant que source du droit du travail. Enfin, le pluralisme syndical a été institué même si dans la pratique il a été étouffé à chaque fois que les syndicats «haussaient» un peu le ton ou échappaient au contrôle. De même le droit de grève a été reconnu de jure même s’il est souvent réprimé de facto. Cette réforme du marché du travail, en introduisant ce que les libéraux appellent la flexibilité de l’emploi, a redéfini les rapports de travail au détriment des travailleurs et ouvert la voie à la précarité de l’emploi à laquelle s’est trouvé confronté le travailleur depuis le début des années 2000 et qui s’est accentuée depuis 2010. Ainsi, selon une étude menée en 2007 par le FMI en collaboration avec la Banque mondiale (FMI n°07/61 février 2007), consacrée à la problématique du marché du travail et le chômage en Algérie «l’indicateur de rigidité du marché du travail utilisé par la Banque mondiale à des fins de comparaisons internationales qui tient compte des difficultés à l'embauche et des licenciements est de 44 pour l'Algérie (sur un index de 100). Cet indicateur est inférieur à ceux de la Tunisie (46), du Maroc (63) et de l'Égypte (53)». Le même rapport souligne en conclusion que «… la réglementation du marché du travail et la fiscalité du travail ne semblent pas poser de problèmes importants en Algérie comparativement à ce qu’on observe dans d’autres pays». Et d’ajouter : «… les estimations du coin fiscal pour une famille type, composée d’un couple marié avec deux enfants, donnent à penser que la fiscalité du travail tend à être moins lourde en Algérie que dans les anciens pays en transition, ce qui donne à conclure que le chômage ne serait pas un problème lié à la fiscalité en Algérie…» D’autres études d’organismes internationaux spécialisés ont confirmé ces conclusions. L’une d’elles, menée en 2008, par la fondation espagnole «Fundación Paz y Solidaridad Serafín Aliaga de Comisiones Obreras. Madrid 2008» intitulée «Emploi et droit du travail dans les pays méditerranéens et le partenariat européen, confirme que le marché du travail algérien comparé aux pays de la région et de l'OCDE est caractérisé par sa flexibilité en matière d'embauche et de licenciement ainsi que par les coûts bas de licenciement et des avantages extrasalariaux. Cette étude conclue je cite : «Selon la perception de la Banque Mondiale, l’ensemble des indicateurs paraissent comparables entre les pays OCDE et les pays du Moyen-Orient – Afrique du Nord (MENA), hors coût de licenciement plus élevé dans les MENA. Le Maroc est pointé du doigt en termes de difficultés d’embauches et rigidité d’emploi. L’Egypte l’est pour les coûts de licenciement ; la Tunisie pour la difficulté de licenciement et l’Algérie pour la rigidité des horaires. Aucune étude exhaustive n’est disponible analysant dans une optique inverse la précarité de l’emploi.» Par rigidité des horaires, il faut comprendre, selon la Banque mondiale, la limitation du recours au travail de nuit, des week-ends et jours fériés, des heures supplémentaires et de l'amplitude journalière et enfin l'octroi d'un congé annuel d’un mois calendaire.
Doing Business, qui est la référence internationale des libéraux en matière d'évaluation du climat des affaires et de la flexibilité de l'emploi, était arrivé aux mêmes conclusions dans son rapport 2004. Plus récemment le rapport de 2014 de ce même organisme confirme que :
– l’Algérie est le seul pays qui ne limite pas la durée maximale cumulée des CDD contrairement aux autres pays de la région et de l’OCDE à l’exemple du Maroc (12 mois), Tunisie (4 ans), France (18 mois), Italie (44 mois) Espagne (12 ou 36 mois) ;
– le salaire minimum en dollars est : 211 en Algérie contre 280 pour le Maroc et 198 pour la Tunisie. Ainsi, le SNMG en Algérie se trouve au bas de l'échelle maghrébine, mais une comparaison en termes de salaires moyens serait plus juste et plus objective, car le salaire moyen dans le secteur économique équivaut à deux fois le salaire minimum en Tunisie et au Maroc, mais ne représente que 1,6 et 1,7 fois le SNMG en Algérie. Une comparaison en termes de «salaire réel» creuserait davantage l’écart en défaveur du travailleur algérien ;
– en Algérie, aucune autorisation de l’autorité administrative n’est exigée avant de procéder à un licenciement collectif pour sureffectif, au contraire du Maroc, de la Tunisie, de l’Egypte ;
– le niveau des indemnités de licenciement pour sureffectif en Algérie est le plus bas. En matière de licenciement abusif, la différence est autrement plus importante toujours en défaveur du travailleur algérien ;
– les règles de priorité en cas de licenciement pour sureffectif s’appliquent aux reclassements et à la réembauche en Tunisie et au Maroc, mais pas en Algérie.
D’ailleurs, les conclusions de ces études se trouvent confortées par la structure de l’emploi en Algérie. Selon les chiffres de l’ONS, 52% des travailleurs salariés sont des permanents et 48% des non-permanents (2013). Parmi ces 48%, le nombre des CDD dépasserait les 40%, alors que ce taux est beaucoup plus bas au Maroc et en Tunisie. Par ailleurs, à quelques exceptions près (Espagne 25%, Portugal 22% et Nouvelle-Zélande 18,4 %), les CDD présentaient, en 2011, moins de 15% du total des travailleurs dans la quasi-totalité des autres pays (statistiques OCDE 2013).
Pourquoi alors réformer une nouvelle fois la législation du travail ?
Aucune note de motivation des auteurs de l’avant-projet n’a accompagné la diffusion (restreinte il faut le souligner) de l’avant-projet. Le principe de l’élaboration d’un Code du travail a été annoncé en 2005. Les rares déclarations des responsables du ministère du Travail se limitent à déclarer que le futur code rassemblera tous les textes de la législation du travail dans un seul document et qu’aucun droit acquis des travailleurs ne sera remis en cause. Parmi les acteurs économiques et sociaux concernés, seul le patronat a exprimé sa satisfaction. Un de ses représentants a déclaré que ce code est «conforme aux aspirations des entrepreneurs» et que «la nouvelle mouture répond parfaitement aux attentes des entrepreneurs» (APS 06/09/2014). L’UGTA a une position ambivalente. Si les fédérations et les unions horizontales ont rejeté à l’unanimité cet avant-projet et demandent son retrait, la direction (secrétariat national) ne s’est pas encore exprimée même si le ministre du Travail et la présidente du PT ont fait dire au secrétaire général une chose et son contraire sans aucun démenti de l’intéressé. Les syndicats autonomes ont rejeté dans leur totalité cet avant-projet dans sa mouture actuelle même si leurs démarches restent empreintes d’un certain corporatisme. Les arguments de ceux qui soutiennent cette nouvelle réforme qui ne veut pas dire son nom peuvent être résumés en 4 points :
1- La flexibilité du marché de travail relancera la croissance économique
Cet argument ne tient pas la route. Car malgré la flexibilité (précarité) du marché de l’emploi, comme on l’a vu plus haut, l’économie n’arrive pas à décoller avec des actifs qui tournent à 40% des capacités installées (25% dans le secteur des textiles selon l’UGTA) et une contribution de l’industrie au PIB avec moins de 5% (4,7% exactement) et ce, malgré toutes les facilités accordées par l’Etat et les ressources injectées. Le secteur privé, constitué à 98,5% de petites entreprises de moins de neuf travailleurs, est cantonné dans le commerce et les services et évolue à l’ombre des importations et de la rente. Avec une structure pareille, aucune (dé-) réglementation du marché du travail ne pourra faire décoller la croissance économique bien au contraire.
2- La flexibilité fait reculer le chômage
La flexibilité introduite par la réforme de la réglementation du travail (1990-1994) non seulement n’a eu aucun effet sur le chômage, mais a renforcé la précarité et l’informel. Le taux de chômage se stabilise depuis longtemps autour de 10% (9,8% en 2013 pour 10% en 2010), mais pour les jeunes de 16-24 ans, non seulement il est important (24,8 % en 2013), mais il ne cesse d’augmenter (il était de 21,3% en 2009 et 21,5% en 2010). Et encore ce niveau de chômage n’est pas plus important grâce aux ressources injectées par l’Etat, soit en recrutant directement dans des emplois non productifs, soit en finançant sur le budget du Trésor les différents dispositifs d’emploi dont très peu sont transformés en emplois permanents. Par ailleurs, une récente étude de l'OCDE consacrée à la flexibilité et au chômage infirme cette thèse (voir l'article sur Marianne du 16 août 2013 intitulé : «Flexibilité : ce rapport de l'OCDE qu'ils ne voulaient pas lire» et «Perspectives emplois OCDE 2013»). L'OCDE a établi quatre indicateurs avec notation pour évaluer la protection contre les licenciements individuels et collectifs et la réglementation des contrats temporaires.
Alors que la moyenne OCDE du chômage est de 8% en 2012, les résultats de cette étude ont montré que :
– sur les 5 pays au taux chômage le plus bas dans l'OCDE, l'Autriche (4,35% de chômage) est plus protectrice que la moyenne OCDE sur les 4 critères de protections établis pour les besoins du classement ; la Norvège (3,2%) est plus protectrice que la moyenne OCDE sur 3 des 4 critères; et la Corée du Sud (3,2%) est plus protectrice que la moyenne OCDE sur 2 des 4 critères (sur les licenciements individuels et le travail temporaire). Seuls la Suisse (4,2%) et le Japon (4,35%) sont plus souples que la moyenne ;
– la Norvège, qui est en situation de plein emploi, a l'un des niveaux les plus élevés de réglementation contre le travail temporaire (après la France, le Luxembourg et la Turquie) ;
– l'Allemagne figure parmi les pays les plus protecteurs de l'emploi avec un taux de chômage de 5,5% ;
– en matière de protection des travailleurs contre les licenciements individuels ou collectifs, les pays les plus «flexibles» sont anglo-saxons, avec pourtant des résultats en matière de chômage à peine meilleurs que la moyenne ! Nouvelle-Zélande (chômage à 6,9%) ; Etats-Unis (chômage à 8,1%); Canada (chômage à 7,2%); Royaume-Uni (chômage à 7,9%).
A noter aussi que l’Espagne malgré ses réformes répétées du Code du travail (deux indices sur quatre supérieurs aux moyennes OCDE) est en tête du classement de chômage avec un taux de 25,06%. Ces résultats infirment et s'inscrivent en porte à faux avec la thèse qui prétend que plus de flexibilité de l'emploi réduit le chômage.
3- Attraction investisseurs étrangers (IDE)
Le troisième argument est que le nouveau Code du travail et la flexibilité attendue permettront à l'Algérie de s’adapter à la réalité régionale et mondiale afin d’attirer les investissements étrangers (IDE). Cet argument nous est servi à chaque fois qu’on veut passer une réforme donnée. En août 2010, une note du ministère de l’Industrie, de la PME et de la Promotion de l’investissement affirmait que le nouveau code de l’investissement «a offert une série d’avantages fiscaux (exonérations de l’IBS et l’IRG et franchise de TVA)» et que «cet arsenal devra jouer un rôle majeur dans le retour des investisseurs étrangers et l’amélioration du climat des affaires». Ce code, ainsi que le soulignait Johannes Westerhoff, l’ambassadeur d’Allemagne à Alger, «est l’une des législations les plus favorables à l’essor de l’investissement en Afrique». Or, les IDE en Algérie sont passés de 2,746 milliards de dollars en 2009 à 1,484 milliard en 2012 (Cnuced 26 juin 2013). Les investisseurs étrangers ne se bousculeront pas aux portes de l’Algérie sur la base d’exonérations fiscales (selon Doing-2014, l’IBS en Algérie représente à peine moins de 6,6 % du chiffre d’affaires contre 25,2% pour le Maroc et 15,4 % pour la Tunisie), ni d’une réforme d’un marché du travail qui, depuis la réforme 1990-1994, ne constitue pas aux yeux des institutions internationales un obstacle au développement de l’entreprise. Pour ces dernières, ce qui compte c’est la protection du capital (facilités de faire des affaires, protection de l’investissement, rapatriement des bénéfices, etc.). Il faut d’abord rappeler que c’est une évidence que le «protectionnisme» de l’Algérie n’agrée pas Doing qui, il faut le rappeler, conçoit ses ratios en rapport avec l’intérêt des multinationales et non celui de l’économie du pays. Mais ce «protectionnisme» n’explique pas à lui seul le mauvais classement de notre pays (153e, soit un recul de deux rangs par rapport à 2012 (151e) et de cinq rangs par rapport à 2011(148e). Ce classement s’explique aussi par la bureaucratie qui ne facilite pas la création d’une entreprise (l’Algérie classée 164e), pour l’obtention d’un permis de construire (147e) ou même le raccordement à l’électricité (148e).
4- Le quatrième argument est que le nouveau Code du travail permettra à l'Algérie de respecter ses engagements internationaux
Rien de plus faux. Au contraire, l'adoption de cet avant-projet constituera pour l'Algérie une violation de ses engagements internationaux, notamment contenus dans les conventions internationales de l'OIT et régionales de l'Organisation arabe du travail ratifiées par l'Algérie. Citons en particulier :
a- la convention internationale C006 relative au travail de nuit des enfants dans l'industrie, élaborée en 1919 et ratifiée par l’Algérie le 19 octobre 1962 ;
b- la convention internationale C138 concernant l'âge minimum d'admission à l'emploi de 1973, ratifiée par l'Algérie le 30 avril 1984, qui est une des huit conventions fondamentales de l'OIT, stipule que l'âge minimum d'admission à l'emploi ou au travail ne devra pas être inférieur à l'âge auquel cesse la scolarité obligatoire ;
c- la convention internationale C82 sur les pires formes de travail des enfants, élaborée en 1999 et ratifiée par l'Algérie en 2001 ;
d- la Convention internationale C89 sur le travail de nuit (femmes) (révisée), élaborée en 1948 et ratifiée par l’Algérie le 19/10/1962 qui interdit le travail de nuit pour les femmes, sans distinction d'âge, dans toute entreprise industrielle, publique ou privée, et dans aucune dépendance d'une de ces entreprises sauf dans des cas particuliers ;
e- la convention internationale C155 relative à la sécurité et la santé des travailleurs, élaborée en 1981 et ratifiée par l’Algérie en 2006. Celle-ci prévoit la protection des travailleurs et de leurs représentants contre toutes mesures disciplinaires consécutives à des actions effectuées par eux à bon droit conformément à la politique de prévention des accidents et des atteintes à la santé qui résultent du travail, sont liés au travail ou surviennent au cours du travail (droit de retrait devant un danger imminent et protection des membres des commissions d'hygiène et de sécurité) ;
f- la convention internationale C167 sur la sécurité et la santé dans la construction, adoptée en 1988 et ratifiée par l'Algérie en 2006. Cette convention s'applique à toutes les activités de construction, c'est-à-dire aux travaux du bâtiment, au génie civil et aux travaux de montage et de démontage (le nouveau projet n'impose pas les commissions d'hygiène et de sécurité dans le secteur du BTPH même pour moins de 50 travailleurs comme le prévoit la législation actuelle) ;
g- enfin, la convention internationale C087 (fondamentale) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, élaborée en 1948 et ratifiée par l'Algérie en le 19/10/1962.
Le 87 bis, quel impact ?
L’article 130 de l’avant-projet confirme que l’article 87 bis ne sera pas abrogé comme annoncé à la clôture des tripartites de février et septembre 2014 ainsi que le jour du 1er mai 2014. Sa composante sera redéfinie et comprendra, outre le salaire de base, les primes liées à la productivité, au rendement et aux résultats du travail. Beaucoup d’estimations de l’impact sur la « masse salariale » ont été avancées, mais comportent beaucoup de contradiction ou d’imprécisions. Il faut souligner à ce propos :
– toute estimation d’impact doit se faire sur la base d’une hypothèse qui diffère selon qu’on est face d’une abrogation du 87 bis ou une redéfinition et dans ce dernier cas quelle est cette nouvelle définition ; et l’impact qui découlera d’un cas de figure à un autre diffère et peut aller du simple au double ou plus ;
– ni le nombre des bénéficiaires réel ni le niveau des augmentations qui en découleraient ne pourront être connus ou estimés tant que cette nouvelle définition du SNMG n’a pas été arrêtée ;
– les mêmes impacts sur la masse salariale qui ont été avancés par certains auteurs depuis deux ans calculés avec l’hypothèse d’une abrogation pure et simple du 87 bis nous sont resservis sur la base d’une redéfinition de cet article alors que l’impact (exprimé en pourcentage) ne peut en aucun cas être le même dans les deux cas de figure ;
– l’affirmation que huit millions de travailleurs vont bénéficier d’une augmentation (pour moitié en 2015, le reste en 2016) est de la pure spéculation pour la simple raison que primo, légalement aucune autorité ne pourra imposer au secteur économique et surtout au privé d’augmenter la totalité des travailleurs et secundo, les chiffres de la Cnas-2014 (5 millions de cotisants contre 7,4 millions salariés selon l’ONS ) contredisent ce chiffre de huit millions de salariés qui vont bénéficier d’augmentations. La différence (2,4 millions) s’explique pour moitié par les salariés non déclarés du secteur privé et pour l’autre moitié par les titulaires de contrats aidés et/ou exonérés du secteur public ;
– dans tous les cas de figure, l’impact qui sera supporté par le Trésor concernera, au maximum, 2,2 millions de fonctionnaires (Cnas-2014-chiffre à actualiser par les recrutements de 2014) et non huit millions. Les travailleurs du secteur économique n’émargent pas au budget de l’Etat. L’impact recalculé (sur la base des hypothèses retenues par certains experts) serait ainsi 3,5 moins important que les 11,85 milliards de dollars annoncés (exactement 3,175 milliards de dollars soit 1,44 % du PIB). Cette hypothèse est liée à une redéfinition du SNMG et non une abrogation ;
– en cas d’abrogation pure et simple, l’impact pour la fonction publique sera autrement plus important et dépendra de la solution mise en place. Autrement dit, il dépendra du rapport entre l’augmentation qui touchera les corps communs (cat 01 à 08 dont le salaire de base se situe entre 9 000 DA et 18 000 DA) et celle qui sera consentie aux catégories supérieures ;
– l’impact pour le secteur économique sera bien en deçà de ce qui est souvent avancé. Les grilles de salaire de la plupart des entreprises publiques qu’on dit incapables de supporter l’abrogation du 87 bis contiennent un salaire de base minimum d’activité qui varie entre 80% SNMG (cas Cosider) à 125 % (cas SNVI) ou le dépassant légèrement (cas du groupe Sonelgaz). En cas d’abrogation, l’impact pour ces trois entreprises ou groupes se situera entre 0% et 15% et non entre 15% et 38% comme avancé par certains experts, et l’UGTA (voir les accords collectifs salariaux de ces entreprises datant de plus de deux ans). En cas de redéfinition du 87 bis, l’impact variera en 0% et 10 % selon l’entreprise ;
– reste l’impact, en cas d’abrogation pour le secteur privé dont le salaire moyen des catégories d’exécution gravite autour du SNMG (1,18 fois le SNMG selon ONS-2012). Pour ce secteur, l’impact se situera vraisemblablement entre 15% et 25% voire 30% si l’augmentation touchera l’ensemble des travailleurs. En cas de redéfinition, cet impact se situera entre 7% et 15 %). Mais ce ne sera que justice (ou demi-justice dans le deuxième cas) pour un secteur où les salaires sont les bas du Bassin méditerranéen.
En matière de rémunération, il faut rappeler que la part des salaires dans l'affectation du revenu national qui était de l’ordre de 31,6% en 1994 (année d'application du 87 bis, n'est plus que de 26,1% en 2013 (et non 30,93% comme affirmé à tort). Elle est égale à 36% au Maroc, 37% en Tunisie et varie entre 40% et 75% pour les pays développés. Dans ma précédente contribution intitulée «Tripartite, 87 bis et IRG : l’éternelle offense aux travailleurs», le ratio de 2013 avait été calculé sur la base des prévisions de clôture 2013 données par l’ONS (masse salariale =54,72 milliards de dollars et PIB= 17 771,2 milliards de dinars. Ce qui donne, au taux de change 79 DA/dollar, un PIB= 225 milliards de dollars et un ratio de l’ordre de 24,3%). Le PIB final corrigé par l’ONS étant de 208,73 milliards de dollars (cf ONS-PIB 2013 publié par DGPI MF), ce ratio pour 2013 (PIB et masse salariale exprimés dans la même monnaie et au taux de change = 79.93 DA/dollar) est de 26,1%, soit un recul de 5,5 points par rapport à1994.
Le dialogue social
L’avant-projet du Code du travail introduit la notion de «dialogue social». L’art.219 reprend la définition de l’OIT à savoir que «le dialogue social inclut toutes formes de négociation, de consultation ou simplement d'échange d'informations entre représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs sur des questions d'intérêt commun liées à la politique économique et sociale», mais curieusement limite son champ au niveau national et son cadre aux tripartites et bipartites. Ceci en contradiction avec l’art.193 relatif à la négociation collective du même avant-projet ainsi qu’avec la définition elle-même citée plus haut. Le dialogue social doit intégrer toutes les formes de consultation et de négociation, le but étant de renforcer la cohésion sociale. Par ailleurs, les auteurs de l’avant-projet auraient été plus crédibles si ce dialogue avait caractérisé l’élaboration de l’avant-projet du Code du travail lui-même en associant l’ensemble des organisations syndicales, patronales et structures institutionnelles (Inspections du travail, universitaires, etc.) concernées. Cette exclusion est antinomique avec la notion de dialogue social. A titre illustratif, je citerais l’exclusion des syndicats autonomes des conseils d’administration des caisses de sécurité sociale et de la tripartite. Dans le même ordre d’idée, un conseil national de la fiscalité a été institutionnalisé en 2013. La composante de ce conseil qui est consulté et émet des propositions sur la politique fiscale du pays comprend pas moins de huit représentants du patronat privé, mais pas un représentant des travailleurs, même pas de l’UGTA. Ceci à un moment où l’IRG des salariés qui représentait 64% de l’IBS en 2008 en représente 190% en 2013 (756% si on excepte la contribution des entreprises étrangères effectuée par voie de retenues à la source). C’est pour cela qu’il ne faudra pas s’étonner si la loi des finances 2015 introduit d’autres exonérations d’IBS et des réductions de la TVA, mais pas de l’IRG des salariés.
Bouderba Nouredine, ancien membre du bureau de la FNTPGC-UGTA
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A suivre : «Ce qui changera en matière de droits individuels des travailleurs»