L’avant-projet du Code du travail : ce qui changera en matière de droits collectifs (III)
Le 15 juillet 2014, le ministre du Travail a présenté aux partenaires sociaux (le secrétaire général de l'UGTA, huit organisations patronales et le DG de la Fonction publique) les grandes lignes de l’avant-projet sur la nouvelle mouture du Code du travail. Selon des sources patronales, les partenaires sociaux ont été appelés à examiner et enrichir le texte en formulant des propositions et des observations à soumettre à une commission technique qui sera composée de deux représentants de chaque organisation patronale, de la Centrale syndicale (vraisemblablement un ou deux membres) et du ministère du Travail. «Le patronat avait souhaité que les décisions de cette commission soient adoptées et appliquées avant la fin de l’année en cours» (Horizons, 16 juillet 2014). Soulignons qu'il s'agit d'une nouvelle mouture alors que rien n'a filtré sur la destinée de l'ancienne en gestation au sein de groupes de travail tripartites depuis 2005. Cette réunion est un avant-goût de ce que sera le dialogue social et la place qui sera réservée aux travailleurs et leurs syndicats dans cette nouvelle configuration des rapports collectifs si cet avant-projet passe dans sa mouture actuelle. Pour comprendre le changement contenu dans cette nouvelle mouture, il faut se référer aux «experts du libéralisme» qui nous apprennent que «la législation du travail en vigueur a, dans une grande mesure, été conçue et élaborée dans un contexte différent, à bien des égards, de celui d’aujourd’hui qui semble caractérisé par l’éclatement de la condition salariale», que la mondialisation a érodé le bien-fondé des politiques du travail et que «le déclin de la syndicalisation relativise du même coup le rôle de la négociation collective dans le système de relations professionnelles et l’apparition de la nature non syndiquée de la relation de travail» (El-Hachemi Ouzir : «Que faut-il réformer dans notre droit du travail» 2013). Aussi, il faut une nouvelle norme du travail qui s’appuie sur «l’ineffectivité relative du droit», c'est-à-dire la possibilité donnée aux entreprises de «ne pas appliquer ou d'appliquer mal certaines dispositions législatives… (et) qu'il ne faut pas combattre de façon systématique et indifférenciée (ces infractions)». En un mot, individualisation de la relation du travail, neutralisation de l'action syndicale et ses corollaires : la négociation collective et le droit de grève. Et enfin, une justice qui ne va pas combattre de façon systématique les violations de la législation. C'est ce qui explique l'assouplissement ou la suppression des sanctions prévues dans ce cas qui contrastent nettement avec l'aggravation des sanctions prévues contre les travailleurs et leurs représentants en cas de «grève illégale» ou de violation des dispositions du «droit syndical». La réforme de la législation du travail de 1990-1994 avait consacré le libre exercice du droit syndical et du droit de grève et institué la négociation collective et le droit de participation. Mais les limitations et autres imprécisions qui caractérisent ce dispositif légal associées à une pratique restrictive et répressive ont fait que les atteintes à ces droits sont monnaie courante que les travailleurs ne cessent de dénoncer et l'OIT de noter annuellement dans ses observations.
Davantage de restrictions aux libertés syndicales
Si la réforme de 1990 a consacré le pluralisme syndical, les limites à la liberté syndicale balisées par la loi et surtout la pratique des pouvoirs publics ont constitué, et continuent à le faire, un véritable frein à son libre exercice et à l’émancipation du mouvement syndical.
Ainsi, la loi 90-14 relative au droit syndical, en vigueur, impose des limites au droit des travailleurs de constituer, sans distinction de nationalité et sans autorisation préalable sans autorisation préalable, des organisations syndicales de leur choix et de s’y affilier. Le droit de créer un syndicat n’est pas accordé aux travailleurs étrangers et l’organisation syndicale n’est reconnue qu’après délivrance d'un récépissé d'enregistrement de la déclaration de constitution délivrée par l'autorité publique. Les mêmes obstacles sont opposés aux syndicats existants pour se constituer en unions, fédérations ou confédérations. Aux limites contenues dans le texte s’ajoute la pratique répressive et d’exclusion des pouvoirs publics. Les autorités ont plus d’une fois refusé le droit de fonder un syndicat indépendant de diverses manières, dont la plus usitée est le refus de délivrer ce fameux récépissé d’enregistrement qui équivaut à une autorisation. Elles ont également recours à diverses tactiques visant à retarder la délivrance de ce récépissé, en demandant aux syndicats de modifier telle ou telle disposition de leurs statuts ou à fournir des documents qui ne sont pas requis par la loi. A titre illustratif et non exhaustif, le Syndicat national des travailleurs de la formation professionnelle (SNTFP) avait déposé son dossier le 25 août 2002 et il lui a fallu attendre pas moins de dix ans pour obtenir le fameux récépissé «d’agrément». Le Syndicat national autonome des travailleurs du groupe Sonelgaz a attendu 18 mois pour être «agréé» par le ministère du Travail, mais même après «son agrément», ses membres font face à des poursuites disciplinaires et plusieurs ont été licenciés par la direction de la société. Le Syndicat national autonome des postiers (Snap) qui a déposé sa demande d’enregistrement le 02/07/2012 fait face aux mêmes mesures répressives. Toutes les procédures d’enregistrement de constitution d’une confédération syndicale n’ont pas abouti à ce jour. La représentation syndicale (élection de délégués syndicaux) n’est reconnue qu’aux collectifs qui réunissent au minimum 20 travailleurs. Cette disposition exclut des centaines de milliers de travailleurs de s’organiser en syndicat particulièrement dans le privé. Les critères de représentativité d’un syndicat retenus au niveau de l’organisme employeur sont basés sur le nombre d’adhérents (20% du collectif couvert par les statuts) ou le nombre d’élus au comité de participation. Ce dernier critère ne reflète pas la vraie représentativité syndicale. Un syndicat peut obtenir 60% des voix cumulées aux élections des délégués du personnel et ne compter que 40% du total des délégués élus et zéro (oui bien lire zéro) membre au comité de participation. La vraie représentativité est reflétée par le total des voix obtenues ou à la limite le nombre de délégués du personnel. Pour la fonction publique, la même logique aurait dû être retenue en prenant en considération les élections des membres des commissions des œuvres sociales (au lieu des DP qui n’existent pas dans la fonction publique). Le critère de représentativité d’un syndicat au niveau régional, fédéral ou national est basé sur le nombre (au moins 20%) des organisations syndicales représentatives couvertes par les statuts desdites unions, fédérations ou confédérations dans la circonscription territoriale concernée. Là aussi le critère de représentativité doit se référer aux suffrages obtenus et aux nombres d’adhérents. Par ailleurs, le taux de 20% est exagéré, limite le droit syndical et justifie aux yeux des autorités la non-association des organisations syndicales, autres que l’UGTA, aux tripartites et bipartites, aux conseils d’administration des caisses de sécurité sociale et du FNPOS, etc. A titre de comparaison, le taux en usage dans les pays qui ont adopté ce type de critères pour apprécier la représentativité varie entre 5% et 10%. L’appréciation de la représentativité d’un syndicat au niveau de l’organisme employeur (regroupement au minimum de 20% du collectif concerné ou 20% des élus du CP) est du ressort de l’employeur ou de l’administration au lieu et place de l’Inspection du travail ou de la justice. Ce qui est une aberration. Malgré l’engagement, maintes fois réaffirmé, du gouvernement de réexaminer le droit des travailleurs de constituer, sans distinction de nationalité et sans autorisation préalable, des organisations syndicales de leur choix et de s’y affilier (cf. rapports annuels OIT 2013&2014), toutes les dispositions citées ci-dessus qui portent atteinte au libre exercice du droit syndical ont été non seulement maintenues dans le nouvel avant-projet, mais renforcées par d’autres artifices qui limitent davantage le droit syndical par des conditions dissuasives. Dorénavant, un syndicat des travailleurs à vocation nationale, pour être constitué, doit regrouper au moins 25 membres fondateurs résidant dans un tiers du nombre des wilayas du pays (art. 509). L’exigence du récépissé d’enregistrement est maintenue (art. 510) avec en sus un allongement du délai, accordé à l’autorité publique pour le délivrer, qui est porté de 30 à 60 jours. Le procès-verbal de l'assemblée générale constitutive d’un syndicat doit être dûment constaté par un huissier de justice (art. 511). D’où une difficulté supplémentaire de taille en cas de refus de l’huissier, pour différentes raisons ou sur injonction, de se déplacer. Même l’'élection et le renouvellement des organes de direction de l'organisation syndicale sont constatés par huissier de justice (art. 515). Ce qui constitue une autre source de blocage. La menace permanente de dissolution qui pèse sur toutes les organisations syndicales en cas de financement ou d’acceptation d’un don d’un parti politique par exemple. Sachant que ces infractions, lorsqu’elles existent, sont souvent commises à l'insu des organes et adhérents, les sanctions auraient dû être pénales, personnalisées et proportionnées avec l'infraction. Le hic est qu’aucune disposition de sanction pénale n'est prévue contre le contrevenant. L’article 174 stipule que l’élection d'un délégué syndical au comité de participation suspend le mandat syndical de celui-ci. Cette disposition est une atteinte au droit syndical et de plus est en contradiction avec l’article 536 qui stipule qu’une organisation syndicale est considérée comme représentative lorsqu’elle a une représentation d'au moins 20% au sein du comité de participation. Les violations des dispositions relatives à la création d'une structure syndicale, à leur représentativité, aux facilités légales à leur accorder et à l’exercice de leurs attributions ne constituent plus, selon l’avant-projet, des infractions d’entraves au libre exercice du droit syndical sanctionnées par la loi. Alors que selon la loi 90-14 en vigueur ces sanctions pouvaient aller jusqu’à six mois de prison. Que vaut un droit si son déni n’est pas sanctionné ? Le principe d’ineffectivité de la future loi se vérifie surtout dans le domaine de la protection syndicale, puisque la loi consacre cette protection dans un texte qu’il sera très difficile d’appliquer. Les articles 555 et 556 stipulent que l'employeur n'a pas le droit d'infliger la sanction de licenciement, de mutation, ou toute autre sanction disciplinaire, en raison de ses activités syndicales à tout délégué syndical ou membre d'un organe exécutif de la structure syndicale au sein de l'organisme employeur. Mais seul le licenciement d’un délégué syndical, intervenu en violation de la loi, sera déclaré par le juge nul et de nul effet (le juge prononcera dans ce cas la réintégration). Ce qui ne sera pas le cas pour un membre d’un organe exécutif. Mais le hic est que même pour le délégué syndical le jugement annulant le licenciement et ordonnant sa réintégration ne pourra pas être appliqué en cas de refus de l'employeur puisqu’il n'est plus permis au juge de prononcer un jugement sous astreinte pour les réintégrations (art. 306). Ajoutant que cette protection des syndicalistes contre le licenciement n’existera plus dans le cas de l’organisation d’une grève jugée illégale (voir point suivant).
Une interdiction de facto du droit de grève
Il faut rappeler que la loi relative au droit de grève en vigueur contient plusieurs dispositions très restrictives de ce droit constitutionnel qui font l’objet régulièrement de dénonciation par les organisations syndicales et par l’OIT, car ces limitations sont contraires aux conventions internationales ratifiées par l’Algérie. Or, non seulement ces dispositions ont été maintenues, mais renforcées par d’autres obstacles dressés devant le droit de grève lors de toutes ses étapes allant de la conciliation au déroulement de la grève en passant par la médiation, le préavis de grève, l’arbitrage.
1- Les limitations du droit de grève
La loi en vigueur interdit le recours à la grève dans les domaines d'activité essentiels dont l’interruption est susceptible d'entraîner, par ses effets, une crise économique grave est maintenue (L90-02-art. 43). Cette disposition permet, sur la base d’interprétation restrictive de cette vague formule, à l’administration d’interdire les grèves et à la justice de statuer sur leur l’illégalité suite aux plaintes déposées par les employeurs. Cette disposition est maintenue dans l’avant-projet (art. 353). L’article 48 de la loi 90-02 en vigueur donne le droit à l’administration publique de déférer un conflit collectif de travail devant la commission nationale d'arbitrage (CNA). Ce droit d’imposer un arbitrage contre la volonté des travailleurs est une atteinte flagrante au droit de grève garanti par la Constitution. De plus, la commission nationale d'arbitrage est composée, en nombre égal, de représentants désignés par l'Etat (qui est l’employeur dans les administrations publiques il faut le préciser) et de représentants des travailleurs. Or, cette parité a été remise en cause par le décret n°90-418 du 22 décembre 1990 qui a élargi cette composition au patronat avec un nombre de représentants égal à celui des travailleurs et celui des représentants de l'état. Ce décret est anticonstitutionnel, car il remet en cause un droit (la parité) consacré par une loi (90-02) qui a une force juridique qui lui est supérieure. De plus la commission nationale d'arbitrage est compétente pour arbitrer les différends collectifs de travail en cas de persistance de la grève et après échec de la médiation dans la fonction publique ou lorsque le litige concerne les personnels auxquels le recours à la grève est interdit. Dans ces deux cas de figure, il s'agit du secteur public et la présence du patronat au sein de la commission nationale d'arbitrage n'est pas justifiée. Toutes ces dispositions restrictives ont été maintenues dans l’avant-projet (art. 358). Le service minimum obligatoire a été élargi aux banques commerciales (import-import oblige) et aux activités d'enseignement liées à la préparation des examens nationaux. Ce qui est une atteinte au droit de grève. Mais le plus grave et le plus scandaleux est le pouvoir donné à l'employeur de déterminer unilatéralement le service minimum en cas de désaccord avec le syndicat (art. 349 alinéas 2 et 3).
2- La conciliation
La période de conciliation a été portée de 12 à 23 jours. Cette prolongation du délai vise dans l’esprit de ses auteurs à parier sur un relâchement de la mobilisation dans le but d’éviter le recours effectif à la grève. Mais une longue période d’un climat de tension peut être plus nocive que la grève elle-même. Il faut souligner que ce délai qui était de 23 jours dans la loi 90-02 du 6 février 1990 avait été ramené à 12 jours par les amendements contenus dans la loi 91-27 du 21 décembre 1991 à la suite des protestations de l’UGTA. En cas de refus d’application des accords conclus lors de la conciliation, le président du tribunal saisi ordonne l'application de ces accords par une décision rendue en premier et dernier, c’est-à-dire exécutoire. Ce qui ne sera plus le cas, puisque l’avant-projet, en son article 287, stipule que «les jugements des sections sociales rendus en premier ressort sur toutes les matières, sont susceptibles d'appel», ce changement enlève à la conciliation toute sa signification.
3- La médiation
L’avant-projet du Code du travail PCT introduit la notion de procès-verbal de médiation à établir et à signer par les parties en cas d’accord sur les propositions du médiateur. Cet accord suspend de fait la procédure du recours à la grève ou met fin à la grève déclenchée, mais ne prévoit pas les suites judiciaires en cas de refus d’une partie de les appliquer.
4- Le vote et le préavis de grève
Pour qu’elle soit jugée légale, la grève doit être approuvée par un vote à bulletin secret à la majorité des travailleurs réunis en assemblée générale, constituée d'au moins la moitié des travailleurs composant le collectif concerné. Le calcul du quorum sur la base de la totalité du collectif concerné et non pas sur le nombre des membres de l’organisation syndicale est un autre obstacle majeur devant les travailleurs. Comment expliquer qu’un syndicat, qui est jugé représentatif au sein de l’organisme employeur dès lors qu'il regroupe 20% de l'effectif total des travailleurs salariés couverts par ses statuts (art. 536), doit pour exercer son droit de grève réunir plus de 50% de la totalité de l’effectif de l’organisme employeur ? Le recours à la grève ne peut avoir lieu qu'après expiration du délai de préavis déposé obligatoirement, le même jour, par le représentant des travailleurs auprès de l'employeur et de l'Inspection du travail territorialement compétente, contre récépissé. Comme pour la fondation d’un syndicat, le récépissé équivaut, dans ce cas, à une autorisation à obtenir de l’employeur ou de l’inspecteur du travail pour faire grève, ce qui est flagrant. Sous peine de nullité (c’est-à-dire illégalité de la grève), le préavis de grève doit obligatoirement comporter l'effectif concerné (art. 338). Une autre difficulté majeure dressée devant les syndicats qui ne peuvent établir la liste de l’effectif qui observera effectivement la grève. Les concernés eux-mêmes ne pourront pas se prononcer sans risque de changer d’avis avant le déclenchement effectif de la grève. La durée du préavis de grève fixée préalablement ne peut faire l'objet ni de gel, ni de reconduction ni de report (art. 339). Cette disposition ne favorise pas les négociations durant le déroulement de la grève que les parties en conflit sont obligées de poursuivre selon l’article 355. S’il survient, dans la négociation obligatoire «durant la période de préavis et après le déclenchement de la grève un élément nouveau essentiel en rapport avec le conflit, il doit être porté à la connaissance des travailleurs réunis en assemblée générale. Ces derniers doivent se prononcer conformément aux dispositions de la présente loi sur la reprise ou non du travail» (art. 355). Autrement dit, la grève pourrait être déclarée illégale à cause de cet élément nouveau essentiel, mais imprécis d’autant plus que le texte ne précise pas qui doit apprécier l’importance de l’élément nouveau et qui doit décider de convoquer doit convoquer l'assemblée des travailleurs.
5- Le déroulement de la grève
La relation de travail est suspendue durant la période de la grève déclenchée conformément à la loi. Les journées de grève ne donnent lieu à aucune rémunération (art. 341). En plus du fait que la rémunération des journées de grève devrait être laissée à la négociation collective (récupération des journées de grève, paiement partiel, etc.). Cet article voudrait dire qu’il appartiendra à l’employeur de juger si la grève est légale ou non, puisqu’il doit décider le premier jour si la relation de travail sera suspendue ou non, alors que l'appréciation de la légalité d'une grève ne doit relever que de la justice. L’article 367 relatif à l'interdiction de remplacer des travailleurs en grève lie cette interdiction à l’atteinte à «l'exercice du droit de grève exercé dans le respect des présentes dispositions» sans préciser qui doit juger de la légalité de la grève. Ce qui veut dire que si l’employeur juge que la grève est illégale, il pourra procéder à tout remplacement qu’il jugera nécessaire alors que l’actuelle loi ne l’autorise à le faire que dans le cas de refus d’assurer le service minimum ou les cas de réquisitions ordonnées par les autorités habilitées.
6- La répression de la grève
L'aggravation des sanctions prévues pour grève illégale ou entrave à la liberté du travail contraste nettement avec l’assouplissement des sanctions prévues en cas de violation par l'employeur des dispositions légales en matière du droit syndical, des droits fondamentaux des travailleurs relatifs à l’emploi, aux conditions du travail et à la participation. La loi en vigueur interdit l’entrave à la liberté du travail et expose les travailleurs grévistes à une double et sévère répression pénale disciplinaire. Cette disposition a été maintenue et renforcée, puisque l’appréciation de cette entrave est élargie à l’employeur qui peut licencier les travailleurs ayant commis cette «faute grave» (art ; 344 à 346). La nouvelle formulation de l’article 26 de la loi 90-02 autorisera dorénavant l’employeur de licencier tout syndicaliste qui aura contribué à l’organisation d’une grève jugée illégale (art. 343). L’article 341 stipule que les journées de grève ne donnent lieu à aucune rémunération, alors que ce point devrait être laissé à la négociation collective (possibilité de rémunération partielle, organisation de journées de récupération…).
La négociation collective
Selon une analyse de l'OIT publiée sur son site, «affaiblir la négociation collective nuit à la reprise… Certains gouvernements ont réformé de manière unilatérale les dispositions relatives à la négociation collective au plus fort de la crise économique alors (qu’il) serait utile pour favoriser la reprise de revenir sur ces décisions et d'apporter un soutien politique à la négociation collective » (OIT 12/09/2012. «La hausse brutale des disparités salariales aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ces dernières années peut être directement imputée au recul des effectifs syndicaux et de la couverture des conventions collectives.» Se basant sur des exemples de pays européens comme l'Autriche, l'Allemagne et la Belgique, et ailleurs comme en Afrique du Sud, au Brésil et en Argentine, l'OIT souligne que loin de tirer les entreprises vers le bas et de réduire la productivité, il apparaît clairement que les conventions collectives réduisent réellement les inégalités salariales et peuvent concourir à la productivité et la compétitivité. Quand les modifications de l'organisation du travail sont négociées avec les travailleurs et leurs représentants, on parvient souvent à améliorer les performances de l'entreprise. Or, l’examen du contenu de l’avant-projet fait ressortir une volonté de ses concepteurs de limiter les domaines de la négociation collective notamment ceux se rapportant à l’emploi et aux conditions de travail. Les dispositions contenues dans les articles 69 à 71 de la loi 90-11 en vigueur relatifs à l'obligation de la négociation collective et aux mesures préalables à toute compression des effectifs ont été supprimées dans l’avant-projet. L’employeur pourra, sans négociation collective préalable, arrêter unilatéralement la politique de l’emploi et l’organisation du travail, fixer les conditions de travail, déroger aux dispositions fixant la durée maximale hebdomadaire de travail, modifier la journée de repos hebdomadaire qui pourra même être fixée par roulement pour des considérations d’organisation. La négociation collective au niveau national n’est pas instituée. L’avant-projet n’a pas institué le droit d’extension, procédé par lequel le domaine d'application de la convention peut être étendu, par le ministre du Travail, à tous les employeurs et tous les travailleurs compris dans le champ d'application professionnel et territorial de la convention, qu'ils aient été parties ou non à la convention. Ce droit d’extension aurait permis la protection de millions de travailleurs non couverts par la négociation collective, notamment dans le secteur privé national et étranger. Il aurait aussi permis aux entreprises publiques de faire face à une concurrence déloyale que leur font les entreprises étrangères et privées qui ne respectent pas la législation et les droits fondamentaux des travailleurs. Si ce droit d’extension était institué, le Premier ministre n’aurait pas été obligé de prendre des décisions qui ne reposent sur aucun fondement légal pour obliger les entreprises sous-traitantes au sud de rémunérer leur personnel à hauteur de 80% du salaire des mêmes postes de travail des sociétés utilisatrice (publiques) et ces dernières de rémunérer la société sous-traitante en conséquence.
La participation
L'avènement de ce Code du travail aurait pu être une occasion pour apporter des solutions à tous les vides ou incohérences juridiques ainsi qu'aux différents dysfonctionnements constatés durant vingt-quatre ans. A titre d'exemple, donner les moyens juridiques (personnalité juridique) et matériels (budget de fonctionnement, facilités matérielles) pour permettre au comité de participation d'accomplir ses attributions de participation et de gestion. Mais force est de constater qu'il n'en est rien, puisque les seuls changements proposés n'ont pour seul but que de limiter les attributions du comité de participation en matière d'information, de consultation et de surveillance. Ces limitations se rapportent notamment à la politique de l’emploi, aux contrats de travail et à la participation au conseil d'administration (ou de surveillance) des sociétés, puisque les administrateurs de droit ne seront plus que des «représentants des travailleurs siégeant» audit conseil et n'auront plus qu'une voix consultative. Ce changement de statut est très important et se répercutera sur tous les pouvoirs découlant de l'actuel statut (droit d'information, droit d'alerte, participation aux assemblées générales de la société, etc.). Même leur invitation à la totalité des réunions du conseil d'administration ne sera plus garantie. Dans l'actuelle législation, l'obligation de constitution du comité de participation ainsi que l'obligation de moyens (autrement dit l'organisation des élections des délégués du personnel) reposent sur l'employeur et la non mise en place du comité de participation ou son renouvellement constitue un délit d'entrave. Curieusement, cette obligation a disparu dans le nouveau code, ce qui constitue un encouragement à l'employeur de ne pas mettre en place cet organe social obligatoire. Par contre, l'avant-projet a introduit une disposition habilitant l'employeur à organiser une assemblée générale pour retirer un mandat à un délégué du personnel, alors que ce cas aurait dû relever de l'Inspection du travail ou d'un juge du travail. Les litiges relatifs au droit de participation des travailleurs ne font pas partie des compétences de la section sociale. Seuls les différends liés aux élections des délégués du personnel sont cités par l'article 286 relatif à la compétence des sections sociales. N'y font même pas partie les conflits liés à l'élection du comité de participation qui est une institution différente de la délégation du personnel. Hormis les élections, les litiges peuvent concerner le fonctionnement, les moyens, les attributions, la gestion des œuvres sociale, etc. Aucune protection contre les sanctions, y compris le licenciement, ne sera plus assurée effectivement pour les délégués du personnel.
Les œuvres sociales
Le principe de la gestion des œuvres sociales par les travailleurs consacrée par la législation en vigueur n’est pas réaffirmé par l’avant-projet, notamment dans les administrations publiques et les entreprises du secteur économique où il n’existe pas de comité de participation. Le taux de financement obligatoire des œuvres sociales par l’employeur (3% de la masse salariale) n’est pas consacré par la loi et est renvoyé à la réglementation. Ce renvoi d’un droit fondamental à la réglementation pourra ouvrir la porte à une facile remise en cause de ce droit. Par ailleurs, sur ces 3%, 0,5 % sont destinés à contribuer au financement du FNPOS et 0,5% au financement de la retraite anticipée. Or, l’opacité qui caractérise la gestion du FNPOS, notamment en matière de coûts et de bénéfice de logement, et le nombre insignifiant des travailleurs partant en retraite anticipée militent pour annuler ces deux derniers financements et verser la totalité de la contribution (3 %) au fond des œuvres sociales de l’organisme employeur. Les familles des travailleurs actifs ou décédés et les familles des retraités ont été remplacées dans l’avant-projet par les «ayants droit». S’il est vrai, au vu des détournements constatés, qu’il est important d’affiner les critères et les procédures pour les arrêter et surtout pour obliger les décideurs à les respecter, ce changement pourra être injuste socialement. Par exemple, pourquoi éliminer un enfant qui a 22 ans et qui est en chômage de bénéficier d’une activité œuvre sociale.
Bouderba Nouredine, ancien membre du bureau de la FNTPGC-UGTA
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