Ni le pouvoir ni l’opposition ne sont indemnes de toute critique
La crise multiforme que vit l’Algérie depuis au moins une quinzaine d’années semble de plus en plus difficile à dénouer. En apparence, les choses semblent tout à fait normales. Mais le pays a-t-il, pour autant, échappé au «printemps arabe» ? Aujourd’hui, nul ne peut répondre de façon positive et catégorique à cette interrogation. On a beau dire que ce printemps-là, l’Algérie l’avait bien connu avant les autres, il ne faut pas oublier que les saisons, comme l’Histoire, se répètent. La dernière fronde de certains éléments d’une police pourtant bien disciplinée est là pour nous le rappeler encore et toujours. En effet, à partir du moment où un corps constitué tel celui de la police (sur lequel le pouvoir a toujours compté pour mater la plèbe) manifeste son mécontentement en allant squatter le gazon du palais d’El-Mouradia, le pouvoir est bien devant un dilemme : ou il se réforme dans le sens d’un véritable Etat de droit ou, s’il continue dans son entêtement à ignorer les initiatives et les mises en garde de l’opposition, il risque de s’écrouler à tout moment. Nous nous demandons d’ailleurs si ce pouvoir est conscient du danger qu’il encourt, du danger qui le guette aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur ou si c’est sciemment qu’il se rend complice d’une situation de pourrissement qui pourrait déboucher à plus ou moins court terme sur l’irréparable. Ce n’est point par pessimisme que notre analyse de la situation politique actuelle est si alarmante, mais ce sont les événements quotidiens avec leurs lots de mécontentement populaire qui se déroulent çà et là qui nous imposent cette lecture, j’allais dire apocalyptique. L’argent ne peut pas acheter indéfiniment la paix sociale. Voilà une vérité que le pouvoir doit comprendre et dont il doit tenir compte. Et de toutes les façons, avec la chute des prix des hydrocarbures, bientôt il n’y aura plus de sous pour amadouer les jeunes générations d’Algériens. Qu’on ne nous accuse surtout pas de dénigrer le pouvoir ou d’être à la solde d’une quelconque partie en disant ces quatre vérités. Le pouvoir agit comme si l’opposition, à qui, pourtant, il a délivré des agréments (pour qu’elle active légalement dans le cadre des lois de la République), n’existait pas. Pis encore, il l’empêche même de tenir des conférences ou des réunions publiques. Tout est verrouillé, tout est interdit, aucune manifestation de rue n’est tolérée. Même la presse privée qui ne lui est pas acquise est menacée de disparaître. D’une façon ou d’une autre. N’est-ce pas que c’est ce qui est arrivé dernièrement au président de Jil Jadid à Khemis-Miliana ? Pourtant ce jeune parti politique est loin, pour l’instant, de constituer une menace sérieuse pour le pouvoir. Il est vrai que ce parti commence à déranger, son leader ne s’encombrant nullement du politiquement correct pour dire tout haut ce que la plupart des Algériens pensent tout bas. Particulièrement depuis que Jil Jadid a pris l’initiative de réunir le camp de l’opposition quelques jours avant les élections présidentielles d’avril dernier. Rappelons-nous la fameuse manifestation qui a eu lieu à la salle Harcha, à Alger, et qui avait drainé pas mal de monde. Il y eut ensuite la rencontre du 10 juin à Zéralda, rencontre à laquelle ont participé également de nombreuses personnalités politiques indépendantes et de la société civile et qui a entériné la naissance de la CNLTD. Mais, honnêtement, je suis un peu déçu par la politique de la CNLTD qui n’a pas jugé utile de prendre langue avec le FFS. Elle a rejeté son idée de consensus national sans prendre la peine de l’étudier et de la discuter sérieusement. Pourtant, le FFS est connu pour être l’un des premiers partis politiques à s’opposer au pouvoir actuel. Il ne manque pas d’expérience dans ce domaine, contrairement à certains partis de la CNLTD qui, il n’y a pas si longtemps, étaient, quoique à des degrés différents, impliqués dans la gestion de la cité si j’ose dire sous la bannière de ce même pouvoir. Il est vrai qu’en politique, on ne peut pas être éternellement opposant ni éternellement partisan. C’est cette conception de la chose politique qui semble guider actuellement les nouveaux responsables du FFS. Ils tentent de se rapprocher du pouvoir non pas pour avoir une parcelle de pouvoir, mais, me semble-t-il, pour trouver une solution à cette crise multiforme qui fait que l’Algérie se trouve devant une impasse. Pourquoi ne peut-on pas leur faire confiance ? Pourquoi ne pas aller à cette conférence de consensus national pour savoir de quoi il retourne ? Les partis composant cette CNLTD devraient, à mon humble avis, faire un petit effort et aller à la rencontre de ce parti politique. Ils devraient, ne serait-ce que par politesse politique, écouter ce que celui-ci a à leur proposer. Il ne s’agit nullement d’une question de leadership, comme veulent le faire croire certains analystes politiques en mal d’inspiration, que le FFS voudrait leur ravir. Il n’y a pas actuellement de «parti-moteur», si je puis utiliser cette expression, au sein de cette CNLTD et il ne saurait en être autrement si cette CNLTD acceptait de se joindre à l’initiative du FFS. Par ailleurs, voulant imiter les aînés qui avaient lancé un appel au peuple algérien un certain premier novembre, la CNLTD a fait de même sans savoir que son initiative était d’emblée vouée à l’échec. Elle est même contre-productive dans la mesure où le contexte historique d’aujourd’hui est complètement différent de celui de 1954. En 1954, le peuple algérien vivait sous l’emprise du colonialisme français. Sa situation sociale d’indigène d’alors était tellement dramatique qu’il ne pouvait, de facto, qu’être réceptif à tout appel qui émanait de ses congénères. Est-ce le cas aujourd’hui ? Assurément non. Le pouvoir algérien est certes blâmable à maints égards, il n’a pas su ou voulu conduire le peuple algérien vers plus de prospérité économique, plus de libertés politiques, plus d’équité sociale, vers plus de tout ce que l’on veut, mais toujours est-il que le peuple algérien est souverain et ne dépend, théoriquement, d’aucune puissance étrangère. Ni de l’Empire ottoman, ni de l’empire français, ni de qui que ce soit. Et il l’entend à le rester définitivement et pour toujours. En ce sens, l’appel au peuple algérien lancé ce 1er novembre 2014 par la CNLTD ne l’intéresse pas du tout. Bien au contraire, cela risque d’être assimilé à un appel à la sédition, à la désobéissance civile, en un mot à un appel à «un printemps arabe» à la libyenne.
Abdelaziz Ghedia