Rapport de Transparency International sur la corruption : une note très mitigée pour l’Algérie
Le 20e rapport annuel de l'ONG allemande Transparency International(TI) vient d’établir un classement sur 175 pays s’appuyant sur les enquêtes d’experts, d’organisations de la société civile, de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement et la Fondation allemande Bertelsmann. L’échelle est de 0 pour un secteur public perçu comme extrêmement corrompu et à 10 pour un secteur public perçu comme extrêmement intègre. Qu’en est-il pour l’Algérie ?
1- Le Danemark est arrivé en tête du classement 2014 avec une note de 9, 2 sur 10 devançant la Nouvelle-Zélande, la Finlande, la Suède et la Norvège qui ont eu un bon classement. Les Etats-Unis d’Amérique arrivent à la 17e place avec une note de 7,4 ; la France une note de 6,9, se situant à la 26e place, l’Allemagne 7, 9, 12e place, le Royaume-Uni 7, 8, 14e place. La Chine a eu une note de 3,6, la Turquie 4,5. Le Qatar a été classé 26e, l’Arabie Saoudite 55e, la Tunisie 79e, le Maroc 80e et l’Egypte 94e. Les deux derniers sont le Soudan et la Corée du Nord avec une note respectivement de 1,1 et 0,8. Ce rapport classe l’Algérie à 100e place sur 173 pays avec un recul de 6 places par rapport à 2013 où elle était classée 96 avec une note de 3,6 sur 10. Rappelons le classement de l’Algérie de 2003 à 2014.
– 2003 : 88e place (sur 133 pays)
– 2004 : 97e place (sur 146 pays)
– 2005 : 97e place (sur 159 pays)
– 2006 : 84e place (sur 163 pays)
– 2007 : 99e place (sur 179 pays)
– 2008 : 92e place (sur 180 pays)
– 2009 :111e place (sur 180 pays)
– 2010 :105e place (sur 178 pays)
– 2011 :112e place (sur 183 pays)
– 2012 : 105e place (sur 176 pays)
– 2013 : 94e place (sur 177 pays)
– 2014 :100e place (sur 173 pays)
Dans une enquête récente, 74% des Algériens pensent que le milieu des affaires est gangrené par la corruption ; la justice algérienne est discréditée aux yeux des citoyens, 72% des Algériens considérant que les instances judiciaires sont affectées par la corruption, contre 67% et 62% concernant les partis politiques et le Parlement. Il y a donc urgence d’une volonté politique au plus haut niveau de l’État pour lutter contre la corruption. Dans le registre des transactions commerciales internationales, le communiqué de l’AACC note que l’Algérie «ne commerce presque pas avec les 10 pays les moins corrompus dont le Danemark, le Singapour, la Finlande, la Suède, le Canada, la Suisse et la Norvège». Comme rappelé précédemment, les auteurs de l’IPC considèrent qu’une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un «haut niveau de corruption au sein des institutions de l’Etat» et que des affaires saines à même d’induire un développement durable ne peuvent avoir lieu, cette corruption favorisant surtout les activités spéculatives. La sphère informelle produit des dysfonctionnements du système, ne pouvant pas la limiter par des décrets et lois, mais par des mécanismes de régulation transparents. Il existe des liens dialectiques entre la logique rentière (98% des exportations relevant des hydrocarbures et important 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d'intégration ne dépasse pas 15%), l’extension de la bureaucratisation, l’extension de la sphère informelle qui contrôle 50% de la superficie économique et la corruption. Ces rapports insistent sur la nécessaire transparence dans la gestion politique et économique et préconise une concertation internationale autour de ce phénomène, car s’il y a des pays corrompus ; il y a des pays plus corrupteurs que d’autres, les rapports citant notamment la Chine, la Russie, l’Inde qui utilisent des pots-de-vin.
2- Le terrorisme bureaucratique et la corruption socialisée en Algérie menacent la sécurité nationale et par là contribuent, en dehors du préjudice moral, au blocage de l’investissement utile. Et les scandales récents du programme de développement agricole PNDA, de différentes banques, de l’autoroute Est-Ouest, de Sonelgaz, de Sonatrach en sont les exemples vivants, mais qui concernent également bon nombre de ministères et de wilayas. Il faut une cohérence et visibilité dans la démarche, s’attaquer à l’essentiel et non au secondaire, car avec la corruption combinée à la détérioration du climat des affaires, selon la majorité des rapports internationaux, il est utopique de parler d’une véritable relance économique. Aucune corporation ou institution n’est épargnée par ce cancer de la corruption. Si la corruption existe dans tous les pays du monde, comme en témoignent les scandales financiers mis en relief pendant l’actuelle crise mondiale, elle est relativement faible en rapport à la richesse globale créée. En Algérie, elle s’est socialisée, touchant toutes les sphères de la vie économique et sociale remettant en cause la sécurité nationale du pays. L’on doit aller vers le contrôle démocratique de deux segments stratégiques la production de la rente des hydrocarbures ((Sonatrach) et la distribution de la rente des hydrocarbures (tout le secteur financier), puisque l’ensemble des secteurs publics et privés sont irrigués par cette rente. Comme je l’ai rappelé souvent, la lutte contre la mauvaise gestion et la corruption renvoie à la question de la bonne gouvernance, de la démocratie, de la rationalisation de l’Etat dans ses choix en tant qu’identité de la représentation collective. Concernant l’aspect économique en Algérie, il faut se demander pourquoi le faible impact de la dépense publique programmée entre 2000 et 2014, environ 630 milliards de dollars (part dinars et devises, budget équipement et budget de fonctionnement) sur la sphère économique. Cela se répercute sur la sphère sociale avec un impact par rapport aux autres pays de la région MENA qui ont des résultats supérieurs avec trois fois moins de dépenses : corruption, surfacturation ou mauvaise gestion des projets ? Cela renvoie fondamentalement à l’inefficacité des institutions d’une manière générale et à la faiblesse de contrôle où nous assistons à une gestion administrative avec différentes interférences où souvent les gestionnaires ne sont pas libres de manager leurs entreprises. Sont-ils réellement les seuls responsables ?
3- La lutte contre la corruption n’est pas une question de lois. Ce sont les pratiques d’une culture dépassée, l’expérience en Algérie montrant clairement que les pratiques sociales, quotidiennement, contredisent le juridisme. Il est utile de rappeler que les pouvoirs publics ont toujours clamé qu’ils se donnaient pour objectif de combattre la corruption. Ce rêve si cher à tous les Algériens sera-t-il réalisé ? Tout en appliquant le fondement du droit, toute personne étant innocente jusqu’à preuve du contraire, et ne devant pas assimiler l’acte de gestion avec les délits d’initiés par la corruption, comment mobiliser les citoyens en cas où des responsables au plus haut niveau ou leurs proches seraient impliqués ou supposés impliqués dans les scandales financiers ? Peuvent-ils avoir l’autorité morale auprès tant de leurs collaborateurs que de la population algérienne ? En fait, la lutte efficace contre la corruption implique d’avoir un système judiciaire indépendant, d’éviter les luttes d’influence des différentes institutions de contrôle tant techniques que politiques avec une coordination unique indépendante concernant l’utilisation des deniers publics, le contrôle le plus efficace étant le contrôle démocratique. La mise en place du contrôle est tributaire d’un management efficace des institutions, d’un système d’information fluide, des comptabilités publiques claires et transparentes pour la rationalisation des choix budgétaires afin d’optimaliser l’effet de la dépense publique, les universités et les centres de recherche étant interpellés pour produire des instruments de calculs adéquats.
4- La pleine réussite de cette entreprise, qui dépasse largement le cadre strictement technique, restera tributaire largement d’un certain nombre de conditions dont le fondement est la refonte de l’Etat au sein d’une économie mondiale de plus en plus globalisée et une concertation permanente entre les différentes forces sociales politiques, économiques et sociales loin de toute vison d’autoritarisme, vision largement dépassée, renvoyant à la bonne gouvernance centrale, locale et d’entreprises. Aussi, sur le plan interne, il s’agit d’engager les véritables réformes politiques, économiques et sociales pour une société de liberté plus participative et citoyenne fondée sur des entreprises compétitives dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux, par la prise en compte de l’environnement et de la qualité de la vie pour un espace plus équilibré et solidaire qui doivent impérativement toucher :
– le système politique rentier, centre névralgique de la résistance au changement et à l’ouverture ;
– la réforme de la justice par l’application et l’adaptation du droit tant par rapport aux mutations internes que du droit international ;
– la réforme système éducatif du primaire en supérieur en passant par la formation professionnelle, la mère des réformes, dont le niveau s’est totalement effrité, et non adapté, centre d’élaboration et de diffusion de la culture et de l’idéologie de la résistance au changement et à la modernisation du pays ;
– la réforme du système financier qui est un préalable essentiel à la relance de l’investissement productif national et étranger, les banques publiques et privées étant au cœur d’importants enjeux de pouvoir entre les partisans de l’ouverture et ceux de préservation des intérêts de la rente. Elle est considérée, à juste titre, comme l’indice le plus probant de la volonté politique des Etats d’encourager l’entreprise qu’elle soit publique ou privée nationale ou internationale créatrice de valeur ajoutée condition d’une transition d’une économie de rente à une économie productive ;
– une nouvelle gestion des stratégies sociales et la mise en place de nouveaux mécanismes de régulations sociales devant revoir la gestion des caisses de retraite et de la sécurité sociale, qui risquent l’implosion en cas de chute des recettes des hydrocarbures, les transferts sociaux et subventions ciblées (28% du PIB en 2013 soit 60 milliards de dollars) devant dorénavant être budgétisés non plus au niveau des entreprises, mais sur le budget de l’Etat ;
– la démocratisation de la gestion des secteurs sources de rente (secteur des hydrocarbures et gestion active des réserves de change), objet de toutes les convoitises.
5 – Rappelons que selon le rapport annuel du 29 mai 2013 établi par la Banque africaine de développement (BAD) et l’ONG américaine Global Financial Integrity (GFI), il y a eu entre 1980 et 2009 pour l’Algérie 173 milliards de dollars de capitaux transférés illicitement. En mettant en place un pouvoir concentré sans contre-pouvoirs, en gelant les institutions de contrôle tant politiques que techniques, dont notamment le Conseil national de l’énergie, la Cour des comptes, les autres organes qui se télescopent dépendant de l’exécutif étant donc juge et partie, et en déversant des montants faramineux sur le marché, il fallait inévitablement s’attendre à l’apparition de prédateurs tant locaux qu’étrangers et à une accélération de la corruption inégalée depuis l’indépendance politique, l'action des services de sécurité ne pouvant être que ponctuelle. En fait, la lutte contre la corruption implique un véritable Etat de droit, une nouvelle gouvernance si l’on veut combattre efficacement la corruption qui gangrène tout le corps social et qui tend malheureusement à être banalisée alors qu’elle constitue le plus grand danger pour la sécurité nationale, pire que le terrorisme qu’a connu l’Algérie entre 1990 et 2000. D’où des inquiétudes pour l’avenir de l’Algérie qui, pourtant, a des potentialités, pour peu qu’existe une nette volonté politique d’axer le développement sur les deux fondamentaux du XXIe siècle : un Etat de droit, la démocratisation tenant compte de notre anthropologie culturelle et la valorisation du savoir comme l’attestent les expériences réussies des pays émergents. Sans cela, les discours équivalent à des slogans creux, il ne faut pas s’attendre à une dynamisation de la production et des exportations hors hydrocarbures, continuant pour préserver une paix sociale éphémère, à dépenser sans compter, dépenses sans contreparties productives qui anesthésient toute la société. Or, les recettes de Sonatrach sont passées de 73 milliards de dollars entre 2010 et 2012 à 63 milliards de dollars en 2013, 55 milliards de dollars en 2014, environ 40/45 milliards de dollars si le cours de du pétrole (le prix du gaz étant indexé sur celui du pétrole) se maintient à 70 dollars et moins si le cours fluctue entre 60 et 65 dollars le baril. En résumé, face aux ajustements économiques et sociaux inévitables entre 2015 et 2020, s’impose une nouvelle architecture institutionnelle reposant sur de véritables contre-pouvoirs démocratiques. Les gouvernants de demain, femmes et hommes, doivent être d'une très haute moralité et avoir un discours de vérité. C’est la condition si l'Algérie veut dépasser la crise multidimensionnelle à laquelle elle est confrontée au sein d'un monde turbulent et instable préfigurant d’importants bouleversements géostratégiques.
Dr Abderrahmane Mebtoul, expert international, professeur des universités
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