Contribution de Rabah Toubal – La mondialisation : une nouvelle supercherie de l’Occident ?
A l’instar de la mondialisation (je préfère le concept de mondialisme, qui reflète mieux la vision unilatéraliste que l’Occident a actuellement des relations internationales), le colonialisme était présenté, en son temps, comme «une œuvre de bienfaisance ayant une mission civilisatrice et destinée à sortir les peuples colonisés des ténèbres dans lesquelles ils vivaient». Il a finalement abouti au pillage et à l’exploitation sauvage des ressources humaines et naturelles de ces pays, aux massacres, aux génocides et à la négation des identités, des religions et des cultures de leurs peuples. Aujourd’hui, la mondialisation et ses corollaires, la démocratie et le libéralisme économique et social, continuent à être prescrits comme la panacée aux problèmes dont souffrent les pays en développement d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Europe centrale et orientale, malgré les conséquences désastreuses qu’ils ont eues sur la cohésion sociale et la stabilité politique et économique de ces pays, à cause notamment des réformes imposées par le FMI et la Banque mondiale, dans le cadre des fameux programmes d’ajustement structurel, chers à Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI. Les experts occidentaux usent et abusent du concept de mondialisation afin de convaincre les autres pays de «l’inéluctabilité» de ce processus. Rien n’est moins sûr, car la mondialisation, telle que conçue et promue par l’Occident, depuis plus de quinze ans, n’est pas une fatalité, mais plutôt une tentative délibérée et bien étudiée de dominer militairement, politiquement et économiquement le monde, après l’effondrement du bloc communiste et de régenter le commerce mondial, à travers notamment l’Organisation mondiale du commerce. C’est, dans son essence, une remise en cause systématique des acquis économiques et sociaux arrachés par les pays du tiers-monde grâce à la lutte multiforme de longue haleine qu’ils ont menée d’abord contre le colonialisme et ensuite contre l’impérialisme, dans les années 1950 et 1960. Pis encore, c’est, dans sa finalité, une négation de l’Etat-nation, donc de la souveraineté, de la spécificité civilisationnelle et de la diversité culturelle et biologique qu’elle implique. Ainsi, la sacro-sainte liberté de circulation, dont nos parents jouissaient naguère, à travers le monde, est en train de se réduire comme peau de chagrin et se limite pratiquement aujourd’hui aux marchandises, capitaux et services. Celle qui concerne les personnes est soumise à des visas, qui sont de plus en plus délivrés ou souvent refusés après moult difficultés. Il est vrai qu’à l’époque, les Européens, qui sortaient de deux guerres mondiales effroyables, avaient besoin de main d’œuvre pour reconstruire leurs pays détruits et reconstituer leurs populations décimées. Par ailleurs, les quelques avantages qui ont été concédés au pays du tiers-monde après la conférence de Bandoeng d’avril 1955, aux plans bilatéral et multilatéral, par les organisations internationales et les institutions financières internationales, communément appelées institutions de Bretton Woods, ont été rognés, l’un après l’autre, à la faveur des réformes que ces organisations et institutions ont subies, ces dernières années ou qu’elles vont subir à l’avenir. C’est le cas également du principe de «l’égalité souveraine des Etats» consacré par la Charte de l’Organisation des Nations unies, mais de plus en plus violé par ceux-là mêmes qui sont chargés, en tant que membres permanents du Conseil de sécurité, de veiller au respect de la légalité internationale, ainsi que du droit reconnu à tous les pays de disposer et développer la technologie nucléaire à des fins pacifiques, aujourd’hui remis en cause grâce à un glissement sémantique sournois, une perversion inquiétante et une extension illimitée de la notion de sécurité à tous les domaines, ce qui multiplie d’autant les motifs d’ingérence dans les affaires intérieures des pays du tiers-monde, en raison, par exemple, de violations des droits humains, de la détention d’armes de destruction massive, de stocks jugés exagérés d’armes conventionnelles, de détention de ressources stratégiques indispensables au fonctionnement des différentes industries des pays développés ( pétrole, gaz, uranium, etc.), de la possession de vastes territoires peu peuplés ou de la volonté, voire même de la velléité de vouloir utiliser, comme ils l’entendraient, les énormes capitaux déposés par certains pays dans les banques occidentales. En outre, les pays occidentaux, détenteurs de l’arme atomique, qui ne se soumettent pas encore aux obligations imposées aux parties au Traité de non-prolifération et notamment les treize étapes qu’il exige pour l’élimination de cette arme redoutable, par tous les pays qui la détiennent, sous une forme ou une autre, appliquent la politique du «deux poids, deux mesures» et songent même aujourd’hui à déposséder les autres pays de leurs armes conventionnelles. Les campagnes menées, à travers notamment des ONG comme Oxfam International, Amnesty International et International Action Network on Small Arms pour un traité international destiné à contrôler rigoureusement le commerce des armes conventionnelles, s’inscrivaient dans cette perspective. Par ailleurs, après le triomphe sur l’idéologie communiste, les stratèges occidentaux s’attaquent, depuis quelques années déjà, ouvertement à l’islam considéré par eux comme le nouvel ennemi stratégique, en raison de l’épanouissement et de l’engouement qu’il enregistre, dans tous les pays du monde, toutes catégories sociales et professionnelles confondues. Les thèses développées par le Pr Huntington, dans son ouvrage intitulé «Le choc des civilisations», ne sont pas fortuites et l’offensive menée contre l’islam, de Salman Rushdie au pape Benoît XVI, en passant par Oriana Fallaci, Michel Houelbèque et les caricatures danoises contre le prophète Mohammed (QSSSL) constitue une autre facette de la mondialisation occidentale.
L’islamisme, financé et encouragé, pour ne pas dire créé, par l’Occident pour lui servir d’appoint dans sa lutte acharnée contre le communisme et la déstabilisation des pays arabes et musulmans réticents a constitué le prétexte idoine pour attaquer, par la suite, l’islam, l’accuser de terrorisme et le ternir afin de freiner son expansion naturelle. Après l’islam, viendra certainement le tour des Brics, qui sont les rivaux des Etats-Unis et de l'Union européenne.
Ouverture à l’est, fermeture au sud
En dépit des affirmations généreuses de ses initiateurs, le processus de Barcelone s’inscrivait également dans la logique de la mondialisation. Ainsi, grâce aux accords d’association (qui sont en fait de véritables contrats d’adhésion) élaborés unilatéralement et proposés individuellement aux pays du sud et de l’est de la Méditerranée, l’Union européenne ne vise pas moins que la domination de cette partie du monde. En effet, lancé lors de la conférence, qui a eu lieu à Barcelone (Espagne) les 27 et 28 novembre 1995, le partenariat euro-méditerranéen, communément appelé «processus de Barcelone», regroupe les 25 pays actuellement membres de l’Union européenne (ils étaient 15 à l’époque) et 10 Etats du sud et de l’est de la Méditerranée (Algérie, Tunisie, Maroc, Egypte, Israël, Autorité palestinienne, Jordanie, Liban, Syrie et Turquie. La Libye était exclue de ce processus en raison de son implication dans l’affaire Lockerbie). Il comporte trois volets : politique, économique et financier, culturel, social et humain, et remplace les accords de coopération commerciale et financière qui existaient entre ces pays et la Communauté économique européenne, jusqu’en 1996. Ce projet aspire, entre autres, à rassembler, à l’horizon 2010, les pays membres de l’Union européenne et les pays de la rive sud et orientale de la Méditerranée, dans une zone de libre-échange fondée sur le principe de la réciprocité des intérêts et du partage de la prospérité, et non plus sur la règle de l’aide-projet, financé à fonds perdu, sur laquelle reposaient les accords de coopération précédents, qui favorisent les concessions commerciales, la coopération financière et l’assistance technique et culturelle. Les nombreuses opérations d’aide au développement, qui étaient inscrites dans des protocoles financiers quinquennaux, ont permis aux pays du Sud de soutenir leurs efforts de développement, mais la Commission européenne en a fait une évaluation négative pour ses intérêts et a décidé de leur substituer sa Politique méditerranéenne rénovée», qui constitue, selon elle, un saut qualitatif dans les relations entre les pays du nord et ceux du sud de la Méditerranée, qui sont désormais considérés comme des partenaires à part entière, avec des droits et des devoirs. En près de vingt ans d’existence, ce partenariat présente aujourd’hui un bilan jugé «satisfaisant» par les pays du nord et «mitigé» par ceux du sud de la Méditerranée. Ainsi, toutes les bonnes intentions exprimées et les volontés manifestées, ici et là, par les hommes politiques des deux rives ne semblent pas avoir résisté aux arguments des technocrates de Bruxelles, préoccupés par leurs seuls intérêts. En effet, les mesures d’accompagnement (MEDA) du processus de libéralisation des économies des pays du sud et de l’est de la Méditerranée, qui ont signé des accords d’association avec l’Union européenne, prévues par cette dernière au titre des compensations des pertes subies par les partenaires du Sud, en raison notamment du démantèlement de leurs barrières douanières, dans les délais fixés et de la suppression de toutes formes de protection administrative ou fiscale dont bénéficient leurs appareils productifs, ont été distillées au compte-gouttes, quand elles n’ont pas été purement et simplement supprimées pour des considérations d’ordre bureaucratique. Les fonds MEDA constituent en fait des dons environ 20 milliards d’euros, qui devraient être distribués en 20 ans, aux 10 pays du sud et de l’est de la Méditerranée, sur la base de la règle : premier arrivé, premier servi) dont les décaissements obéissent à une procédure jugée lourde et complexe. Seuls quelques pays en ont effectivement tiré profit. Certains experts européens et des pays du Sud considèrent que ces mesures d’accompagnement sont loin de compenser les pertes engendrées par la suppression du système des préférences existant avant 1996 et soulignent que le libre-échange intégral, qui est visé par l’Accord d’association euro-méditerranéen entre des partenaires inégalement développés, a eu des conséquences négatives importantes sur les entreprises publiques et privées des pays du sud de la Méditerranée, déjà fragilisées par les réformes successives que les économies de ces pays ont subies. Malgré la relative mise à niveau dont certaines d’entre elles ont bénéficié, la majorité des entreprises des pays du Sud sont encore incapables de faire face à la concurrence des produits de leurs homologues du Nord, librement importés et commercialisés. Si l’Union européenne encourage et facilite au maximum la circulation des marchandises et les mouvements de capitaux, elle affiche, en revanche, de plus en plus de réticences quand il s’agit de la circulation des personnes, notamment dans le sens sud-nord. Ces restrictions sont devenues drastiques après les attentats qui ont ensanglanté New York et Washington, le 11 septembre 2001, et Madrid et Londres, respectivement en mars 2004 et juillet 2005. En plus de l’impératif sécuritaire, l’Union européenne invoque sa législation interne contraignante et ne voit dans la question de la liberté de circulation que celle relative aux marchandises, aux capitaux et aux services et au problème de la réadmission (expulsion ou extradition) vers leurs pays d’origine des immigrants devenus indésirables ou clandestins, de plus en plus nombreux à débarquer sur les côtes espagnole et italienne. Avec sa nouvelle «Politique européenne de voisinage», l’Union européenne tente visiblement de revenir sur les concessions octroyées à ses partenaires du sud de la Méditerranée, desquels elle s’éloigne subrepticement pour s’ouvrir de plus en plus sur ceux de l’est de l’Europe, dont plusieurs sont déjà devenus membres de l’Union européenne, qui fournissent une main-d’œuvre qualifiée à bon prix et qui offrent surtout l’avantage d’appartenir à la même sphère culturelle et cultuelle.
Que faire ?
Ce n’est certainement pas en se bousculant au portillon de la Maison-Blanche, pour s’y livrer à une surenchère stérile afin de recevoir la bénédiction des néo-cons, qu’on arriverait à convaincre les tenants du nouvel ordre mondial à mieux respecter nos intérêts. Bien au contraire, c’est la meilleure manière de les encourager dans leur attitude arrogante et belliqueuse, car lorsqu’ils décident, pour une raison ou une autre, de mettre un pays dans leur collimateur, ils choisissent généralement le plus vulnérable militairement, politiquement et socialement. Les régimes, qui ont une assise populaire réelle, comme Cuba, le Venezuela, la Corée du Nord et l’Iran actuellement, sont généralement épargnés, malgré toutes les pressions diplomatiques, économiques et même militaires exercées sur eux. Afin de réduire leur vulnérabilité, sur les plans intérieur et extérieur, les pays du tiers-monde devraient s’atteler à réaliser les objectifs suivants :
Sur le plan interne :
– atténuer leur dépendance alimentaire, économique, financière, industrielle, technologique et énergétique grâce notamment à une bonne gouvernance et à une gestion transparente et intelligence de leurs ressources humaines, financières et naturelles ;
– instaurer les mécanismes de mise en œuvre effective de la justice sociale par une juste répartition du revenu national, aussi maigre soit-il, en vue de réduire à leur plus simple expression les maux et fléaux qui minent généralement nos sociétés ;
– favoriser l’émergence ou la consolidation de la classe moyenne ; nécessaire à l’équilibre de la nation ;
– éduquer et bien former la jeunesse dans le cadre d’un système éducatif national rénové, et d’universités et de centres de formation dotés d’un encadrement compétent et d’un équipement pédagogique moderne, en complétant cette formation par l’envoi d’étudiants dans les meilleures écoles et universités du monde ;
– associer la diaspora vivant à l’étranger à l’effort de développement national en intéressant les compétences expatriées par des emplois bien rémunérés. Ce qui leur éviterait de recourir à la coopération technique étrangère très coûteuse ;
– encourager l’émergence de médias, d’ONG et d’une société civile indépendants et leur permettre de jouer un rôle réel dans la consolidation de la cohésion et la stabilité nationales ;
– vulgariser l’utilisation de l’outil informatique en le rendant accessible à tous ;
– sensibiliser la population aux enjeux stratégiques de l’environnement et à sa préservation ;
– prendre en charge les soins de base pour assurer, à des tarifs accessibles à tous, une meilleure santé publique et, partant du principe universellement connu «un esprit sain dans un corps sain», généraliser la pratique de l’éducation physique et sportive. Dans deux ou trois décennies, de nombreuses populations, d’Afrique notamment, seront décimées par le sida et la malaria.
Sur le plan externe :
– revitaliser le Mouvement des pays non alignés, en le dotant d’un programme d’actions clairement définies ;
– favoriser la coopération et la solidarité sud-sud, dans tous les domaines, et créer les mécanismes pour les faciliter et transcender les problèmes éventuels auxquels elles pourraient être confrontées ;
– face aux pays industrialisés regroupés et adoptant des positions concertées, les pays du tiers-monde doivent renforcer leur rôle et leur place au sein des organisations internationales, régionales et sous-régionales, afin de mieux défendre leurs intérêts politiques, diplomatiques et économiques, notamment contre la détérioration continue des termes de l’échange ;
– multiplier les organisations du type Opep, afin de pouvoir exporter leurs produits de base à leurs justes prix, négociés avec les clients et non pas imposés par eux ou par des intermédiaires, dans les différentes bourses ;
– les pays arabes et musulmans gagneraient à réformer leur vieille Ligue ainsi que l’Organisation de la conférence islamique pour leur permettre de mieux défendre leurs intérêts diplomatiques, politiques, économiques et culturels bafoués par les pays occidentaux ;
– plus elle est légère (au maximum une dizaine de pays), mieux une organisation est efficace et opérationnelle, dans un monde où la célérité d’exécution des décisions est capitale.
En tout état de cause, parce qu’elle constitue une fausse promesse, mais une vraie supercherie qui vise, ni plus ni moins, qu’à accroître la vulnérabilité et la dépendance multiforme de nos pays, la mondialisation est dangereuse pour leur sécurité voire même leur existence en tant qu’Etats-nations, dont elle cherche à réduire les attributs traditionnels et la compétence souveraine sur leur devenir politique et sur leurs ressources humaines et naturelles. A ce titre, la mondialisation, qui a déjà ses guerres, ses génocides et ses camps de concentration, doit être vigoureusement refusée, dans ses formes et conditions actuelles, à l’instar du Traité constitutionnel, élaboré par Bruxelles et rejeté par certains pays européens, en raison de l’uniformisation qu’il veut imposer à leurs institutions les plus emblématiques.
Rabah Toubal