La stratégie de la tension ou comment mener des attaques terroristes et les rejeter sur l’«ennemi»

Algeriepatriotique : Votre livre Les armées secrètes de l'Otan renseigne sur la création, par l'Europe de l'Ouest et les Etats-Unis, d'organisations secrètes anticommunistes qui se sont converties par la suite aux activités terroristes. Ces organisations existent-elles encore ?

Algeriepatriotique : Votre livre Les armées secrètes de l'Otan renseigne sur la création, par l'Europe de l'Ouest et les Etats-Unis, d'organisations secrètes anticommunistes qui se sont converties par la suite aux activités terroristes. Ces organisations existent-elles encore ?
Daniele Ganser :
Je ne sais pas si ce genre de groupes armés existe encore aujourd’hui. Il est très difficile de le prouver, parce que ces groupes opèrent secrètement et les historiens n’arrivent à connaître tous les faits et tous les détails de ces opérations secrètes qu’après de longues années. Je détiens des e-mails et des vidéos de gens qui affirment que certains groupes militaires secrets sont financés par des Etats, alors que d’autres le sont par des organisations militaires privées qui ont opéré en Syrie, en Ukraine et plus récemment dans le nord de l’Afrique. Je ne sais pas si ces rapports sont authentiques. Cela prendra du temps avant de connaître la vérité. Ce que je sais, c’est que les cellules dormantes ont opéré en Europe durant la guerre froide, entre 1949 et 1990. Elles ont été créées par l’Otan, la plus grande organisation du monde, la CIA, le MI6 et des services secrets locaux, pour combattre le communisme. Les parlements et l’opinion publique n’étaient pas informés de l’existence de ces armées secrètes. L’Otan craignait deux choses : l’ennemi externe qu’était l’Armée rouge et l’ennemi interne que représentaient les partis communistes et les partis socialistes dans les démocraties occidentales.
Vous évoquez la stratégie de la tension utilisée par ces groupuscules pour semer la terreur au sein des populations civiles dans le but de discréditer un opposant politique ou un Etat. Les procédés auxquels fait appel cette stratégie ont-ils changé ou sont-ils toujours les mêmes ?
Je pense que la stratégie de la tension existe et qu’elle est utilisée de nos jours. C’est une stratégie diabolique dont le principe est de mener des attaques terroristes et d’en rejeter la responsabilité sur l’ennemi politique. Cela consiste à discréditer l’ennemi et choquer la population. Durant la guerre froide, en Italie, l’armée secrète était appelée Gladio. Nous savons aujourd’hui que la CIA et le MI6 ont aidé à financer, armer et entraîner ces «gladiateurs». Nous savons aussi que le parti italien d’extrême droite a coopéré avec le réseau Gladio. En 1972, une attaque terroriste a eu lieu dans le village italien Peteano ; une voiture a explosé, tuant trois policiers attirés sur les lieux de l’attentat par un appel anonyme. Le gouvernement italien avait imputé la responsabilité de l’attaque aux communistes et cela avait discrédité leur mouvement en Italie. Douze ans plus tard, un extrémiste de droite, Vincenzo Vinciguerra, sera arrêté et avouera qu’il était le responsable de l’attaque du village de Peteano, en révélant que l’Otan avait une armée secrète appelée Gladio. Au début, tout le monde pensait que c’était une histoire rocambolesque. Mais, en 1990, le Premier ministre italien Giulio Andreotti avait été forcé d’admettre que, effectivement, l’Otan avait opéré en Italie et dans d’autres pays européens par le biais des armées secrètes. L’Otan refuse d’en parler jusqu’à ce jour.
Des attentats ont eu lieu contre des ambassades d’Algérie en Europe au milieu des années 1970. Peut-on dire que le terrorisme est une «invention» occidentale et que l’Algérie qu’on a longtemps traitée de «pourvoyeuse de terrorisme» n’en est que la victime ?
C’est une question délicate. Nous savons, aujourd’hui, que le terrorisme d’Etat existe dans plusieurs pays, notamment en Europe occidentale et aux Etats-Unis. Ces pays ont parfois été liés à des activités terroristes. Le problème est qu’aux Etats-Unis et en Europe, personne ne veut parler de cela. Nous savons que les services secrets français (DGSE) ont fait exploser en Nouvelle-Zélande le Rainbow Warrior (le navire amiral de l'organisation écologiste Greenpeace qui faisait route vers Mururoa, dans le Pacifique, pour protester contre les essais nucléaires français, ndlr). Cela est clairement du terrorisme d’Etat et l'amiral Pierre Lacoste, le directeur de la DGSE à l'époque, avait dû démissionner. Quand les armées secrètes de l’Otan furent découvertes en 1990, l’amiral Pierre Lacoste fut interrogé sur la période durant laquelle la branche française de l’armée secrète se livrait à des actes terroristes. Il avait répondu que certaines «actions terroristes» contre De Gaulle et son plan de paix algérien avaient été menées par des groupes incluant «un nombre limité de personnes» de la cellule dormante française, sans avoir indiqué les dates et les lieux où ces opérations terroristes avaient eu lieu. Il est important de rappeler qu’au début de l’année 1960, un large segment des services secrets français avait fortement désapprouvé la décision de Charles de Gaulle de permettre à son ancienne colonie de devenir un pays indépendant. L’armée secrète française percevait de Gaulle comme un ennemi. Par conséquent, elle s’est engagée dans des opérations de la stratégie de la tension contre son propre gouvernement. L’officier qui utilisa les tactiques de terreur de la stratégie de la tension durant cette période fut Yves Guérin-Sérac, un militant catholique anticommuniste. Spécialiste de la guerre secrète, il a servi en Corée et au Vietnam et en tant que membre du IIe régiment parachutiste de choc durant la Guerre d’Algérie, de 1954 à 1962. Environ trois cents hommes de cette force spéciale avaient atterri en Algérie au début des années 50. La plupart d'entre eux avaient une large expérience dans la guerre antiguérilla. Ces hommes avaient débarqué directement du Vietnam après la défaite de la France à Diên Biên Phu. La mission de Guérin-Sérac et de ses collègues était claire : vaincre le Front de libération nationale (FLN) par tous les moyens et faire oublier les défaites humiliantes de la France durant la Seconde Guerre mondiale et en Indochine.
Cet effort incluait des opérations de la stratégie de la tension visant à discréditer le FLN. Après la défaite des Français et la déclaration d'indépendance de l'Algérie en 1962, Guérin-Sérac et d'autres officiers, se sentant trahis par le gouvernement français, décidèrent de poursuivre leur guerre secrète. Le juge italien Guido Salvini, qui enquêta sur la stratégie de la tension, constata que Guérin-Sérac avait mené des opérations dans les années 1970. Selon Guido Salvini, Guérin-Sérac et l’Américain Salby, ainsi que des militants français, italiens et espagnols d’extrême droite, avaient organisé une série d'attentats à la bombe en 1975 contre l’ambassade d’Algérie en France, en Allemagne, en Italie et en Grande-Bretagne. Salvini dit que les attentats à la bombe avaient été perpétrés par le groupe de Guérin-Sérac qui avait, ainsi, démontré ses grandes capacités de camouflage et d'infiltration. C'était une guerre secrète pour discréditer l'Algérie. Nous ne connaissons toujours pas toute la vérité sur cette période. Des recherches sont donc nécessaires pour en savoir plus.
En évoquant les attentats du 11 septembre 2001 à New York, vous rejoignez le camp des sceptiques qui suspectent un «coup monté» par les Américains. Certains parlent d’un complot américain aux fins de «créer» un nouvel ennemi après la chute du Mur de Berlin. L’«ennemi» Ben Laden et son organisation Al-Qaïda sont-ils une création américaine, selon vous ?
Cette question est délicate aussi. Mais, effectivement, il est important de chercher tous les détails du 11 Septembre, parce que cette attaque terroriste discrédite les musulmans dans le monde entier. D’emblée, les musulmans ont été perçus comme des terroristes. Je suis très engagé pour la paix et il est clair que la fustigation d’un groupe religieux nuit à la paix dans le monde. Cela crée un clash civilisationnel qui mène vers la violence et la souffrance. Nous savons aujourd’hui que la guerre contre l’Irak, en 2003, était basée sur le mensonge, les armes de destruction massive n’ayant jamais existé. Ainsi, nous savons que l'administration Bush a menti au sujet de l'Irak. Pour le 11 Septembre, je dois dire que je ne sais pas exactement ce qui s'est passé. L'accent doit être mis sur le WTC7, le troisième bâtiment qui s'est effondré ce jour-là sans être touché par un avion. Beaucoup de gens ne le savent pas. Pour nous autres historiens, c'est une grande énigme. Pourquoi ce bâtiment s’est-il effondré ? L'administration Bush a présenté, en 2004, le rapport 911. Je l'ai lu et j'ai été surpris de découvrir que le WTC7 n'y est pas mentionné. Aujourd'hui, les experts se demandent si ce bâtiment s’est effondré suite à un incendie ou à une démolition contrôlée. Maintenant que tout le monde peut accéder à Internet, chacun peut procéder à sa propre recherche et juger lui-même.
Propos recueillis par Mohamed El-Ghazi
(*) Extraits de l’interview publiée le 30 mai 2014.

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