Michel Collon à Algeriepatriotique : «Le terrorisme islamiste est un ennemi utile pour la France»
Algeriepatriotique : Quelle lecture faites-vous des actes terroristes perpétrés en France la semaine passée ? Pensez-vous qu’il y en aura d’autres, pas en France particulièrement, mais dans toute l’Europe ?
Michel Collon : Je pense que oui. Ce genre d’événement va continuer parce que plusieurs causes profondes le produisent. Et tant que ces causes ne disparaissent pas, oui, je crains la répétition d’actes de ce genre que j’avais annoncés d’ailleurs. La première de ces causes, c’est qu’au niveau international, les Etats-Unis et Israël pratiquent le terrorisme et montrent l’exemple en attaquant violemment toute une série de pays, en utilisant des terroristes et en assassinant des journalistes. Il y a une hypocrisie incroyable à voir Netanyahu manifester aux côtés de François Hollande pour la liberté d’expression alors qu’il est un serial killer de journalistes. Le deuxième facteur qui produit ce genre d’événement, c’est qu’en France et dans les autres pays occidentaux, les jeunes issus de l’immigration, Arabes ou Noirs, sont en butte à une discrimination dans l’emploi, à la pauvreté, au contrôle policier humiliant et systématique dans les rues, basé sur le faciès. Ils sont aussi discriminés et exclus des débats politiques que ce soit à l’école ou dans les médias, et quand ils critiquent Israël, on les traite d’antisémites. Quand ils parlent des guerres impérialistes en Irak ou ailleurs, on leur dit qu’ils ne sont pas honnêtes et objectifs parce qu’ils sont musulmans. Ils sont totalement exclus du débat démocratique qui devrait avoir lieu sur des questions aussi simples : peut-on accepter qu’Israël soit le dernier Etat colonialiste de la planète et pratique l’apartheid et le nettoyage ethnique ? Nous pouvons dire que cette jeunesse, à des exceptions près, se voit bannie, discriminée, sans avenir, et donc la frustration est colossale. Bien entendu, la majorité d’entre eux ne réagit pas comme cela. Mais certains sont déboussolés ou manipulés et versent dans des actes de désespoir. Le troisième facteur qui explique ces actes, c’est que les services secrets des Etats-Unis, de la France et d’autres pays ont utilisé systématiquement ces jeunes désespérés soit comme euro-djihadistes, mais ils l’avaient déjà fait en Libye et dans d’autres pays aussi, soit en les manipulant discrètement. Donc, à cause de ces trois facteurs, le terrorisme d’Etat des Etats-Unis et d’Israël, la discrimination raciale des jeunes musulmans dans les pays européens et la manipulation des services secrets, on est, malheureusement, engagé dans une période où des attentats sont à craindre un peu partout.
Vous dites dans votre présentation du livre Jihad made in USA, que vous avez préfacé, que les guerres déclenchées par les Etats-Unis dans différentes régions du monde vont déborder sur l’Europe, l’Afrique, la Russie et la Chine. Peut-on dire aujourd’hui que cela est arrivé ? Quelles en seraient les conséquences, à votre avis ?
Oui, cette prédiction qui a été faite en décembre, en présentant le livre du jeune Grégoire Lalieu, se réalise et la raison est très claire. Les Etats-Unis sont une puissance en déclin, bien qu’ils prétendent continuer à contrôler le monde. Et pour contrer ce déclin, ils font ce que Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter, appelait «diviser pour mieux régner» pour empêcher qu’il y ait une alliance entre l’Europe et la Russie, entre la Russie et la Chine et entre la Russie, la Chine et les pays du Sud. Pour semer la division, on utilise tous les moyens et c’est pourquoi nous avions appelé notre livre de 2011 «La stratégie du chaos», et maintenant cela continue. Oui, la CIA est derrière les islamistes qui s’en prennent à la Russie, à la Chine et à certains pays d’Afrique et, comme par hasard, toujours là où il y a des richesses pétrolières et minières.
Ces attaques sont attribuées, selon les médias occidentaux, à l’islamisme radical. Si oui, pensez-vous que l’Occident est en train de subir les contrecoups de sa politique déstabilisatrice du monde en général et du monde arabomusulman en particulier ?
Absolument ! C’est l’effet boomerang. On nous a dit, dimanche dernier, que la France est en guerre. Mais c’est la France qui a déclenché cette guerre. Elle a utilisé les islamistes pour conquérir, économiquement et stratégiquement la Libye et la Syrie. Et comme ils ne sont pas capables de gagner une guerre sur le terrain – les Etats-Unis non plus, d’ailleurs, ils ne peuvent pas la gagner par une occupation directe –, on utilise des agents déstabilisateurs, des agents locaux et des intermédiaires. Et forcément, quand vous déclenchez la guerre contre un ennemi qui est, en fait, l’ensemble des peuples du Moyen-Orient et de la communauté musulmane, comment pouvez-vous décider qu’elle se limiterait au territoire sur lequel vous avez jeté votre dévolu ?
Les frères Kouachi, Merah et Nemmouche ont été lâchés dans la nature alors qu’ils étaient bien connus des services secrets français. Ces derniers ont reçu des informations de la part de leurs homologues libanais et algériens, selon les médias, concernant d’éventuelles attaques terroristes sur le sol français. Selon vous, les services de sécurité français sont-ils réellement capables d’endiguer la menace terroriste ?
La question est : sont-ils capables ou sont-ils désireux de l’endiguer. Dans mon livre Libye, Otan et média-mensonge, j’avais mentionné le rapport qui avait été réalisé par le Centre français de recherche sur le terrorisme (Ciret), dirigé par l’ancien patron des services secrets, Yves Bonnet. Cette mission avait bien montré, dans son rapport, que les événements qui ont servi de prétexte pour attaquer la Libye, et finalement tuer Kadhafi, auraient été manipulés par les médias occidentaux en déformant les faits. En réalité, il y avait des agents de différents services secrets occidentaux, présents à l’est de la Libye, dans la région de Benghazi, bien avant l’éclatement des premières manifestations et l’attaque armée. Malgré les révélations de Bonnet, cela a été complètement occulté par la presse française et européenne. On a recommencé la même chose contre la Syrie. Donc, la question qui se pose est : est-ce qu’on ne peut pas ou on ne veut pas endiguer la menace terroriste ? Il y a dans ce livre de Grégoire Lalieu un concept intéressant à propos de Daech et de l’islamisme. C’est le concept d’ennemi utile. L’islamisme a été mis en place, utilisé, financé, armé par les Etats-Unis et aussi en France, et on l’utilise quand on veut et parfois nous avons des retours de manivelle, mais c’est un ennemi utile. Quant au travail des services secrets français, il faut quand même rappeler qu’en 1980, en Bologne, en Italie, un terrible attentat dans une gare a eu lieu avec énormément de victimes, qu’on a attribué à l’extrême gauche qui était aussi active en ces temps-là, mais il s’est avéré, après, que c’était l’œuvre de l’extrême droite en partenariat avec les services Gladio dirigés par l’Otan. Donc, les provocations et les mises en scène existent. Je n’ai aucune compétence pour mener une enquête sur les auteurs de cet attentat contre Charlie Hebdo, il y a juste une question qui m’intrigue et par la même intrigue énormément de gens : quand des tueurs s’avèrent aussi professionnels, pourquoi laissent-ils leur carte d’identité dans la voiture abandonnée ? Quand on a entendu cette information, j’ai dit à un ami : ces gens-là vont être abattus tout de suite. Il n’y aura pas de procès. Aurons-nous droit à une enquête sur ce qui s’est passé, les précédents ne sont pas très encourageants là-dessus.
Vous ne cessez d’alerter l’opinion internationale sur la propagande des médias mainstream qui masquent la vérité et favorisent le mensonge au profit de l’impérialisme américano-sioniste. Comment expliquez-vous que les masses soient toujours aussi réceptives à la manipulation de ces mêmes médias ?
Ecoutez, je ne pense pas qu’on peut dire les «masses» en général ou les «gens» en général. Je pense qu’il y a différentes catégories : il y a des gens qui avalent tout. Il y a des gens qui n’avalent rien et se méfient, et entre les deux, il y a une grande masse, je dirai 80%, qui se méfie, mais se fait avoir quand même et est dans la confusion. Il y a deux sentiments : si vous parlez, en France ou en Belgique, des médias et des journalistes, les gens vont vous dire : oh ! oui, je ne fais pas confiance. Mais en même temps, quand vous les interrogez sur Israël, la Libye ou la Syrie, vous remarquez qu’ils se sont fait manipuler par les médias mensonges. La question est complexe. Il ne faut pas sous-estimer deux facteurs : un, l’appareil médiatique dans le système capitaliste occidental, que ce soit en France ou aux Etats-Unis, est un appareil extrêmement puissant avec des moyens très sophistiqués et le fait de mentir tous les jours, il en restera toujours quelque chose. Il n’est pas facile pour quelqu’un qui travaille de longues journées, qui rentre s’occuper des gosses, et qui est crevé le soir, de faire tout un travail pour enquêter sur les médias. Le deuxième facteur important dans un pays comme la France, c’est le maintien de cette mentalité coloniale. Les intellectuels et les médias français n’arrêtent pas de ressasser l’idée que nous les Français, nous sommes les bons, nous sommes la démocratie, nous sommes les droits de l’Homme, nous avons la solution, nous savons ce que les pays du Sud doivent faire, ils n’ont qu’à nous écouter. Et cela est une prolongation de la mentalité coloniale arrogante alors que le néocolonialisme n’est pas la solution pour les problèmes du monde. Il en est la cause. Ces deux facteurs font que oui, malheureusement, les gens se font embobiner. Mais je ne serais pas pessimiste à long terme. Je pense qu’il faut poser la question autrement : comment les gens qui sont conscients vont-ils s’y prendre pour ouvrir les yeux ? Parce que la toute grande majorité de ces gens sont honnêtes et cherchent la vérité. Il faut juste trouver le moyen, par Internet, et par nos discussions, de s’adresser à eux d’une manière très concrète et leur dire : voilà, examinons maintenant comment vos médias vous ont informés.
Sur un autre plan, les Etats-Unis et Cuba ont repris les relations diplomatiques qui ont été rompues en 1961. Qu’elle a été votre réaction par rapport à ce changement de cap subit ? Qu’est-ce qui dicte ce virage à 180° ?
Hilary Clinton avait déjà déclaré, publiquement, que le blocus économique contre Cuba était un échec. Les Etats-Unis n’ont pas réussi à faire plier Cuba. Et ceci est un indice de la victoire de la résistance cubaine. Cette victoire est due aussi à la solidarité de l’Amérique latine. A l’exception d’un ou deux pays de ce continent, tous les pays étaient solidaires de Cuba et exigeaient que Washington mette fin à ce blocus. Et je pense qu’Obama a été attentif à ce que lui disaient les multinationales américaines, à savoir qu’elles perdaient des marchés, non seulement à Cuba, mais aussi en Amérique latine face à des rivaux internationaux. Je pense qu’Obama, qui n’est pas stupide, réfléchit aussi à d’autres méthodes plus subtiles, ce que j’appelle le «smart power» (le pouvoir intelligent), ce qui veut dire qu’il va essayer de corrompre Cuba par différentes méthodes, infiltration d’agents, des ONG bidons, pour essayer de provoquer un changement du système de Cuba et ce serait une catastrophe parce que Cuba connaît des problèmes économiques. Mais il ne faut quand même pas oublier qu’en étant un pays sous blocus, Cuba a atteint un niveau plus élevé pour sa population au point de vue de l’éducation et de la santé qu’aux Etats-Unis même. Il faut donc soutenir les Cubains dans leur volonté de garder les acquis de leur révolution.
Ce rapprochement intervient au moment où l’Occident veut mettre la Russie à genoux. Y parviendra-t-il ?
La Russie résiste très bien. En fait, elle est en train de songer à renverser ses alliances. Pendant des années, elle a vécu une histoire d’amour avec l’Occident et les Etats-Unis, mais depuis un certain temps, la Russie a pris conscience que les Etats-Unis travaillent à renverser son gouvernement, à recoloniser et à contrôler ses richesses pour les multinationales américaines. La Russie résiste, je disais, mais, à mon avis, cette résistance est affaiblie par le fait qu’on y adhère en partie aux théories du néolibéralisme du capitalisme occidental. Et là, si on veut avoir une adhésion ferme et solide de la population russe, il faudra faire comme Chavez ou Hugo Moralès. Il faudra une économie au service des gens et il faudra trouver une forme économie d’organisation de la société qui satisfera les besoins de toute la population, et là se posera le problème des grands écarts des fortunes.
Comment expliquez-vous l’«inquiétude tranquille» des autorités russes face à la chute drastique du rouble et à la crise économique qui en découle ?
Dans ce genre de situation, nous ne connaissons pas toutes les stratégies secrètes. Mais je pense que nous sommes dans une partie d’échecs et il me semble que Poutine est un très bon stratège.
Vladimir Poutine a demandé au ministère de la Défense un plan de défense 2016-2020. Cela voudrait-il dire qu’une confrontation armée avec l’Otan serait envisageable ?
J’ai indiqué, en 2000, dans mon livre Monopoly, l’Otan à la conquête du monde que parmi les prochaines cibles de l’Otan, on allait trouver, je cite : l’Irak, l’Algérie, le Congo et la Russie. On l’a vu avec l’agression contre la Yougoslavie, en 1999, qui était aussi une guerre contre la Russie, et que par la suite, on n’a pas cessé de priver la Russie de ses bases militaires extérieures et de ses alliés, et on a tenté une OPA sur les richesses de l’économie russe, grâce à la collaboration d’Eltsine qui était un dirigeant mis en place par la CIA. Dès ce moment-là, la Russie allait certainement recourir à un gouvernement qui défendrait plus les intérêts du pays au lieu de les vendre, et c’est à cela qu’on assiste maintenant. L’Otan elle-même est de plus en plus agressive contre la Russie. Le système antimissile des Etats-Unis n’est pas du tout défensif, mais vise à permettre à attaquer la Russie sans que celle-ci ait les moyens de riposter. Il est tout à fait logique que la Russie prépare sa défense.
Pourquoi dites-vous que l’Algérie est dans le collimateur de l’Otan ?
L’Algérie a joué un rôle très important dans le Mouvement des non-alignés, lequel était insupportable pour les Etats-Unis et les grandes puissances occidentales. Cette idée que les pays du Sud puissent ne pas s’aligner, utiliser leurs richesses pour le bien de leurs populations et conclure des alliances était insupportable pour l’Occident. Le fait qu’il y ait un fort secteur public dans l’énergie, en Algérie, est en contradiction avec la volonté de toutes les multinationales occidentales qui veulent contrôler toutes les richesses de la planète et les Etats-Unis qui veulent briser la résistance du monde arabe, ils veulent empêcher qu’il y ait un nationalisme résistant et progressiste. Ils s’en sont pris à Nasser, à Kadhafi, et maintenant, ils essaient de détruire la Syrie. Donc, oui, l’Algérie est depuis un long moment une cible et le travail se fait par des méthodes indirectes, des agents en l’occurrence, comme on l’a vu dans les années 1990 et récemment au Mali et au Niger. La déstabilisation a commencé, mais comme je le disais, on ne peut pas attaquer tout le monde en même temps, mais on prépare le terrain.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi