Plusieurs rues portent son nom en Algérie : Victor Hugo était un fervent partisan de la colonisation
Dans un esprit universaliste, et sans doute pour prouver qu’elle n’était pas rancunière contre la civilisation française, l’Algérie indépendante a tôt fait d’adopter les porteurs de valeurs humanistes et progressistes les plus irréprochables. C’est ainsi que l’Etat a baptisé une rue en plein centre de la capitale au nom du célèbre écrivain français Victor Hugo, en hommage à sa contribution à la littérature et à la pensée universelles. Ce géant du roman français du XIXe incarnait, en effet, une vague intellectuelle et philosophique portant haut la voix des humbles et dénonçant par la plume l’injustice et de l’oppression dans un monde dominé par un capitalisme insatiable. C’était en tout cas l’idée répandue pendant un siècle. Or, des recherches récentes ont permis de découvrir un autre visage de l’auteur des Misérables et de démonter tous les stéréotypes colportés sur sa personnalité, ses positions et son engagement par rapport au colonialisme. Des documents authentifiés attestent que Victor Hugo a non seulement adhéré au projet colonial dès les premières conquêtes, mais il en fut un fervent partisan. Il montra un enthousiasme particulier pour l’occupation de l’Algérie en 1832 par l’armée de son pays. Non pas pour s’en inspirer pour ses romans, puisqu’il n’y consacra aucun ouvrage, mais pour applaudir un «exploit» de l’empire français et «un signe d’émancipation» de la France républicaine. Il l’a exprimé dans des notes qu’il a transcrites dans ses carnets, à la fin des années 1830, en écrivant sous le titre «Algérie» : «La colonisation militaire doit couvrir et envelopper la colonisation civile comme la muraille couvre et enveloppe la cité. La colonisation militaire, c’est une muraille vivante. Quel meilleur obstacle continu qu’un camp français ? Mettez le soldat en avant du colon comme vous mettez un fer au bout d’une lance !» Hugo ne se contenta pas d’encourager la colonisation par ses écrits. Il contribua activement et politiquement à la légitimation des premiers généraux ayant conduit la conquête de la Régence d’Alger. Là encore, l’écrivain ne laissa aucune trace écrite sur ses entretiens avec les chefs militaires. C’est son épouse, Adèle, qui en dévoilera les dessous, en laissant des notes qui relatent leurs conversations. Elle révèle qu’en 1842, Victor Hugo, en tant que député, plaida clairement et franchement en faveur de la colonisation de l’Algérie devant la Chambre qui tenait lieu de Parlement à l’époque de la Restauration. Voici sa réaction à l’intervention du général Bugeaud : «Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde. Notre mission s’accomplit, je ne chante qu’Hosanna. Vous pensez autrement que moi c’est tout simple. Vous parlez en soldat, en homme d’action. Moi je parle en philosophe et en penseur.» Dans les mêmes notes, l’épouse de l’écrivain l’enfonce davantage, en rapportant que Bugeaud vint trouver Victor Hugo pour le prier de parler de la question du budget. «Bugeaud dit qu’après expérience, il avait acquis la conviction que l’annexion de l’Algérie à la France avait d’excellents côtés, qu’il avait trouvé un système de colonisation applicable, qu’il peuplerait la Mitidja, grand plateau au milieu de l’Afrique, de colons civils, qu’à côté il élèverait une colonie de troupes. Il prit pour comparaison une lance : le manche serait le civil, la flèche serait la troupe ; de façon que les deux colonies se touchassent sans se mêler». Dix ans plus tard, Adèle témoigne de l’unité de vues qui régnait, à ce moment, entre les deux hommes. Simulant une désapprobation de la déportation de l’Emir Abdelkader, arrêté en 1847, Victor Hugo préconise «une émigration pacifique européenne dans les autres parties du monde, et non la colonisation par la force», tout en restant dans les postulats colonialistes, en déclarant : «Au lieu de se déchirer entre soi, on se répandrait pacifiquement sur l’univers ! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies ! Au lieu d’apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie ! (…) L’Asie serait rendue à la civilisation, l’Afrique serait rendue à l’homme.» Plus grave pour un penseur à la réputation d’humaniste et de défenseur des miséreux, on lui reproche de ne jamais avoir eu le courage de dénoncer publiquement les massacres et les crimes contre l’humanité commis par les soldats de l’armée coloniale en Algérie. Hugo continuera à faire l’apologie de la colonisation jusqu’à la fin de sa vie. Voici son dernier écrit sur ce sujet, qui date de 1862 : «(…) L’Afrique n’a pas d’histoire ; une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe (…) Au XIXe siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au XXe siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde.»
R. Mahmoudi