Le complexe du colonisé ?
Par Kamel Moulfi – Peut-on imaginer un expert algérien en énergie, un vrai bien sûr, et il y en a dans notre pays, se faire inviter par Total et aller à Paris donner une conférence dans le siège de cette société, avec une bonne couverture de la télévision ? Non, jamais. Et pourquoi la réciproque se fait, et sans honte ? Mystère. Après Thomas Murphy, venu de la lointaine Pennsylvanie, pour expliquer l’importance de la communication vers la société civile, c’était au tour, ce dimanche, de Pierre Terzian, directeur de Pétrostratégies, à être invité par Sonatrach pour nous dire, à propos du gaz de schiste, lui aussi, qu’il faut un débat scientifique. Merci d’avoir traversé la Méditerranée pour venir nous apprendre ce que le dernier des profanes en Algérie sait déjà. Le nombre d’experts étrangers qui viennent pour faire ce que les experts algériens maîtrisent amène à se poser des questions sur ce phénomène financé par l’argent public, c'est-à-dire le nôtre, et en devises évidemment. Tous conviennent qu’il faut dynamiser ce que l’on appelle la «diplomatie économique». Mais personne n’a demandé que l’on mette à l’écart les spécialistes algériens, surtout lorsqu’il s’agit d’intervenir dans une question qui est l’objet d’un débat interne, comme l’exploitation du gaz de schiste ou la stratégie face à la chute du prix du pétrole, et que l’on fasse appel à des étrangers pour s’adresser à notre opinion publique. Or, c’est ce qui se fait. Après l’overdose de débats «fermés» et à sens unique, animés par des Algériens, diffusés par la télévision publique sous l’effet de la panique produit par les manifestations anti-gaz de schiste, c’est le recours aux experts étrangers pour nous expliquer comment doit être le débat chez nous et décrire son contenu. En matière d’expertise, le constat est pire, c’est à croire que les spécialistes algériens sont victimes, dans leur propre pays, d’un ostracisme qui ne dit pas son nom. Les discours officiels parlent de «préférence algérienne» dans l’octroi des marchés publics, mais dans les administrations centrales, les responsables évitent l’expertise algérienne et regardent ailleurs. Les experts étrangers sont bien chouchoutés, non seulement ils font un travail que nos experts savent faire, et qu’ils ont parfois déjà fait – oui, c’est déjà arrivé ! –, mais ils sont grassement payés et «pris en charge». Quitte à alourdir la facture des services qui contribue à faire pencher la balance commerciale dans le sens contraire à l’intérêt national, pour ensuite se lamenter de cette situation. Un comportement inqualifiable dans le contexte actuel. En 2015, pour être indulgent, on pourrait appeler cela le complexe du colonisé.
K. M.
Comment (28)
Les commentaires sont fermés.