Yves Bonnet : «Le dossier des moines de Tibhirine a été remis à la DST et au Vatican»
Dans son livre à paraître bientôt, intitulé Le berger de Touggourt, dans lequel il revient sur l'affaire de l'exécution des moines de Tibhirine, l'ancien patron de la DST, Yves Bonnet démonte, preuves à l’appui, toutes les versions complotistes véhiculées par certains médias à ce sujet. Il révèle qu’une copie du dossier a été remise à la DST – le service du contre-espionnage français – et que celle-ci «en a fait tenir une copie au Vatican, entre les mains du cardinal Tauran(*)». Pour en conclure qu’«il est difficile de soutenir que les autorités algériennes se dérobent à toute explication quand elles manifestent de la sorte leur désir d’ouverture». Relatant son voyage en Algérie, où il a eu accès au dossier des sept religieux français assassinés par le GIA, il raconte : «J'ai eu l'opportunité de prendre connaissance du dossier du monastère de Tibhirine dans les locaux du DRS de Blida. J'avais, en effet, été sollicité par René Guitton, qui connaissait mes entrées en Algérie, et qui souhaitait écrire un livre sur ce douloureux sujet. J'avais accepté et nous étions partis pour Alger où mon ami Smaïn Lamari (l’ancien patron de la Direction du contre-espionnage, DCE, décédé en 2007, ndlr) m'avait exceptionnellement offert toutes les facilités pour nous faire une opinion fondée.» Le général Lamari avait poussé l'amitié jusqu'à le faire accompagner à Blida, Médéa et Tibhirine par un jeune commandant de son état-major. Bonnet avoue, ici, avoir eu «le très rare privilège» de prendre connaissance du dossier tenu en français. Arrivé au monastère, l’auteur en est quelque peu impressionné. «Nous sommes accompagnés des chefs des postes de ces deux villes, poursuit-il, et je comprends dès l’accueil des quatre moines qui se trouvent dans une sorte de vestibule, que c’est à la présence des Algériens que nous devons d’être admis. Je n’ai alors aucune intention d’écrire sur le sujet et ma curiosité se limite aux circonstances de l’intrusion des "frères de la montagne" dans le monastère, compte tenu de la connaissance que nous avons du point de vue algérien». L’ancien patron de la DST atteste qu’il ne se trouve «aucune discordance entre les deux versions qui se complètent parfaitement». Poursuivant sa narration, il écrit : «Le seul bémol qui intervient nous est signifié par le moine qui nous accompagne jusqu’au cimetière où sont ensevelis les restes des martyrs quand il met en garde René Guitton, à peu près en ces termes : "Vous rendez-vous compte qu'en publiant un livre sur ce sujet vous mettez nos vies en danger ?" Je le revois debout, nous faisant face, impressionnant de colère contenue et je me sens alors mal à l’aise», lâchera-t-il. Abordant le fond du sujet, à savoir le dossier tel qu’il leur a été ouvert, à lui et à son compagnon, l’écrivain engagé René Guitton, et dans lequel figuraient les photos des têtes retrouvées, prises sous plusieurs angles, il décrit minutieusement la scène et fait aussitôt son constat : «Horrible vision qui me hante encore. Je les examine soigneusement et je ne relève aucune trace d'impact de balle. Manifestement, ces hommes n'ont pas été pris sous des tirs ni d'armes de poing ni d'armes automatiques, a fortiori venus du ciel.» Il est catégorique : «Certes, j'ignore alors la version du général Buchwalter(*), mais si une seule tête avait été touchée, je l'aurais forcément remarqué.» Et d’enchaîner : «J'ajoute que ces têtes sont dans un état de présentation convenable comme celui des décapités que j’ai pu voir dans d’autres procédures. Une seule tête m'intrigue alors, dont la mâchoire inférieure est détachée, ce qui pourrait donner une indication sur la date de la mort.» Rentré en France, l’auteur livre ses interrogations à des médecins qui lui confirment qu’effectivement, «plusieurs semaines sont nécessaires pour qu’une partie d’un corps s’en détache. Mes compétences s'arrêtent là», écrit-il. Décortiquant l’aspect balistique du sujet, l’ancien chef de la DST souligne encore que «tous les avis des militaires convergent sur un point : il est rigoureusement impossible que des tirs effectués de haut en bas sur des cibles en position verticale ne touchent aucune des têtes. Ceci indépendamment de l'utilisation qui aurait été faite de roquettes explosives et d'armes automatiques. D’une cible humaine au sol, la tête visée du ciel représente le tiers de la surface». Autre détail technique important relevé par l’auteur : «Selon le général Buchwalter, les "assaillants", réalisant leur erreur, auraient cherché à en effacer les preuves et auraient alors posé leur appareil. Nous avons vu qu'au seul plan du règlement d’utilisation de l’hélicoptère, cette opération est interdite sans appui au sol et balisage ; en ce cas, des dizaines d'hommes auraient dû être appelés en renfort et déployés au sol.» Et d’argumenter encore : «Mais ce n’est pas la version de Buchwalter, car en tel cas, l’intervention d’un puis de deux hélicoptères prendrait toutes les apparences d’une opération réfléchie, préparée et la bavure deviendrait crime d’Etat. Si nous en restons à la version initiale de l’erreur, il faut donc passer au stade capital de l’existence ou non de preuves.» Pour Yves Bonnet, les enquêteurs peuvent se contenter des photographies qui figurent dans les dossiers. «Elles sont de bonne qualité et prises sous plusieurs angles. Il n’y a aucune raison d’en mettre en doute l’authenticité étant donné l’identification facile des visages.» Une réponse claire au juge Trévidic qui vient d’être déchargé du dossier.
R. Mahmoudi
(*) Le général François Buchwalter affirme que les sept moines français enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 par le Groupe islamique armée (GIA) ont été tués par erreur, lors d’un raid aérien de l’armée algérienne.
(*) Cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.