Dialogue des religions et géopolitique à Marseille : le pari réussi de l’UFAC
Samedi 4 avril à Marseille, jour de Pâques pour les chrétiens et de Pessah pour les juifs, au Centre régional de documentation pédagogique, boulevard d’Athènes, et dans le cadre du dialogue des cultures et des civilisations, l’Union des universitaires franco-algériens (UFAC) a organisé un colloque sur «le dialogue interreligieux et la géopolitique, raisons ou aliénations ?». Le double pari du docteur Abdelkader Haddouche, député algérien représentant de la communauté du sud de la France, a été à la fois d’associer dialogue des religions et géopolitique et de réunir, pour en débattre, une remarquable brochette d’intellectuels algériens et français. Dès le lendemain de ce colloque, dans son édition du dimanche 5 avril, le quotidien La Provence titrait : «Le dialogue interreligieux a pris de la hauteur», en sous-titrant : «C’est un débat d’une grande richesse qu’a proposé hier l’UFAC». Pour Delphine Tanguy, la journaliste de La Provence, «il suffit d’écouter de véritables spécialistes, des esprits affûtés comme ceux réunis hier après-midi… pour mesurer à quel point le débat a besoin de s’élever. A quel point, sur ce sujet, il convient de nourrir sa réflexion d’autre chose que du bruit de fond du café du commerce». L’UFAC a, en effet, réussi le pari de réunir à la même table Ghaleb Bencheikh, président de la Conférence mondiale des religions pour la paix, Mezri Haddad, docteur en philosophie morale et politique, ancien ambassadeur de la Tunisie à l’Unesco et, surtout, premier intellectuel musulman à avoir été qualifié par le Conseil national des universités (CNU), en 1997, maître de conférences en théologie catholique, René Naba, politologue spécialiste du monde arabe, Alain Cabras, enseignant-chercheur à Sciences-Po, Pierre Stamboul, co-président de l’Union juive française pour la paix, Sadok Sellam, historien de l’islam contemporain, Hasni Abidi, directeur du Cermam à Genève, et Rémi Caucanas, directeur de l’Institut catholique pour la Méditerranée. Le débat a été animé par Mohamed Boudjellaba, conseiller municipal à Givors. Selon Nordine Mzalla, «l’idée d’organiser ce colloque est courageuse dans une ville cosmopolite et symbole à la fois de la cohabitation millénaire et tranquille de communautés venant du Bassin méditerranéen et de terres plus lointaines, mais aussi symbole de la montée de l’extrême droite qui a basé son programme sur la stigmatisation de l’immigration et, plus récemment, la diabolisation des musulmans».
Le premier volet de ce colloque a traité du «dialogue interreligieux, différences et similitudes», lors duquel ont été abordées des questions aussi importantes que la contribution humaniste de l’islam à l’aventure humaine, l’islam à l’épreuve du temps, le dialogue des religions en France, le rôle que peut jouer le religieux dans le «vivre ensemble», la place des religions non musulmanes dans la foi musulmane, l’appréhension par l’Etat de la mosquée, de l’église et de la synagogue, l’expression «l’islam de France» et la validité de la particule au lieu de «l’islam en France». Le second volet a traité de la «géopolitique, raisons ou aliénations ?» Les objectifs affichés des organisateurs étaient d’«en finir avec les analyses tronquées ou les problématiques partielles franco-françaises qui occultent trop souvent des aspects externes pourtant liés aux questions religieuses dans nombre de pays occidentaux notamment». Autrement dit, toujours selon les organisateurs, on ne peut pas faire l’économie de la «situation en Syrie, en Irak, en Libye et au Sahel… en raison de la donne religieuse évidente et des paradoxes qui caractérisent certains discours officiels par rapport à ces crises… L’examen politique n’oubliera justement pas d’aborder les relations controversées de quelques capitales occidentales avec des Etats obscurantistes du Golfe». Dans son intervention, Mezri Haddad s’interroge sur les limites du dialogue religieux. «Cela fait trente ans que nous le faisons, ironise le philosophe tunisien. On discute, on fraternise. Ce n’était pas inutile, mais l’heure est venue de dialoguer autrement, dans la connaissance de l’Autre, tel qu’il se conçoit lui-même.» Pour le philosophe musulman et spécialiste de théologie catholique, «ce qui doit-être à la base du dialogue des religions, ce n’est pas la tolérance, mais la connaissance de l’Autre, dans ce que l’Autre, le juif et le chrétien, pensent d’eux-mêmes». Pour lui, les intellectuels et les penseurs musulmans «doivent faire l’effort de connaître le judaïsme et le christianisme dans leurs propres corpus fondateurs, à l’instar des penseurs juifs et chrétiens, qui ont fait l’effort empathique d’aller vers l’islam et de l’étudier». En secouant la salle, mais aussi certains de ses collègues conférenciers, Mezri Haddad s’est aussi distingué par les propos audacieux qu’il a tenus sur la «fumisterie médiatique» du printemps arabe et sur ses «conséquences chaotiques». Intitulant sa communication «Le dialogue des religions et des civilisations est-il compatible avec la nouvelle géopolitique interventionniste et néocolonialiste ?», il a rappelé qu’il a été l’un des rares intellectuels arabes, sinon le seul, à mettre en garde, dès janvier 2011, contre «ce printemps arabe qui a démarré en Tunisie et qui visait le démantèlement des Etats-nations, dans un projet géopolitique globale du Grand Moyen-Orient, essentiellement néoconservateur, impérialiste et néocolonialiste». Fustigeant l’ancien président français Nicolas Sarkozy, Mezri Haddad s’est insurgé contre cette nouvelle «impulsion impérialiste, colonialiste et intrinsèquement raciste d’aller casser de l’Arabe ou de l’Africain, sous le couvert mensonger des droits de l’Homme et de la démocratie». En rappelant le précédent irakien en 2003, il a établi «un lien psychologique entre la capture et l’exécution de Saddam Hussein, l’humiliation et l’arrestation arbitraire du président ivoirien Laurent Gbagbo, et l’assassinat du colonel Kadhafi». Ironisant et faisant allusion à certains conférenciers «ici présents», dont il s’est gardé de citer les noms, et qui sont aujourd’hui ravis que «l’Algérie ait pu se prémunir du printemps arabe», il a déclaré être «agréablement surpris et heureux de constater qu’ils ont évolué par rapport à leurs discours de 2011 et 2012, lorsqu’ils souhaitaient, à l’instar de Bernard-Henri Lévy et de bien d’autres encore, le soulèvement du peuple algérien». C’était «l’époque de l’hystérie collective et pseudo-révolutionnaire », a-t-il ajouté. Mal compris par un auditeur algérien dans la salle, qui a scandé : «L’Algérie a fait sa révolution en 1954 et elle a déjà payé au prix fort la décennie noire», l’ancien ambassadeur tunisien a perdu son sang-froid en rappelant à son interlocuteur visiblement désarçonné que «lorsque beaucoup d’intellectuels arabes et même algériens se taisaient ou défendaient le FIS au nom de la sacro-sainte démocratie, j’ai été l’un des rares à défendre, dans les plus grands médias français, l’Etat algérien et l’armée algérienne contre la canaille du FIS et la racaille du GIA. J’ai pris le même rendez-vous avec mes frères algériens, gouvernants comme gouvernés, au moment de l’imposture du printemps arabe».
De Marseille, Sarah L.