Anguille sous roche
Par Kamel Moulfi – Les activités économiques informelles prospèrent en immersion totale dans l’illégalité, mais sans se cacher. Elles ont été banalisées au point où la plus grave d’entre elles, le commerce de devises, se paie le luxe de la transparence qu’offre le plein air au square Port-Saïd, un quartier qui n’a rien des bas-fonds, et quand le change est abrité des regards, il se déroule dans des échoppes qui ont pignon sur rue et sont connues du dernier venu dans la ville. Un manège amusant relie les changeurs informels à leurs «collègues» fonctionnarisés derrière les guichets des banques agréées. C’est curieux, mais c’est la loi qui impose au «client» de passer par le cambiste informel avant d’effectuer certaines transactions avec les banques. Et quand les pouvoirs publics font intervenir la police, comme hier au square Port-Saïd, contre les circuits informels du change de devises, ce n’est pas du fait que cette activité banalisée est illégale, mais parce qu’il y a une anguille sous roche, entendre par là, de la fausse monnaie, locale et en devises et, ajoute-t-on généralement, des «soupçons de blanchiment». Car l’activité illégale ne doit pas sortir du cadre de la régularité dans lequel elle est tolérée. Pendant ce temps, les experts courent derrière le recensement des vendeurs de l’informel, hors commerce de devises, naturellement. On laisse les cambistes parfaitement identifiés et localisés, et on choisit comme cibles, les vendeurs de rue dont l’identification et le dénombrement sont extrêmement compliqués, vu leur éparpillement et la diversité des produits de leur commerce, en plus de leur mobilité, passant d’une marchandise à l’autre et d’un lieu à l’autre, sans laisser de traces, encore moins comptables. On parle d’un seuil de tolérance, admis partout dans le monde, pour l’économie parallèle, mais dans notre pays ce seuil est largement dépassé. Des études ont chiffré les pertes que le Trésor public enregistre du fait de l’informel à huit milliards de dollars, sans compter le manque lié aux déclarations d’assurances sociales. Sur cette manne, nous dit-on encore, qui échappe à l’Etat, 2,7 milliards de dollars sortent frauduleusement du pays. Cela commence à faire beaucoup dans le contexte de rétrécissement des ressources financières publiques.
K. M.
Comment (5)
Les commentaires sont fermés.