Les six raisons de la dévaluation du dinar algérien sur le marché parallèle
Le square Port-Saïd à Alger et certaines places à l'est et à l'ouest sont considérés comme des banques parallèles à ciel ouvert, fonctionnant comme une Bourse où le cours évolue de jour en jour selon l'offre et la demande et les cotations au niveau mondial du dollar et de l'euro. Ce marché noir joue le rôle d’assouplisseur à un contrôle des changes trop rigide. Bien que les données soient souvent contradictoires, certaines sources estiment qu’entre deux et trois milliards de dollars se seraient échangés, annuellement, sur le marché parallèle algérien entre 2009 et 2014. Le montant est extrêmement faible en comparaison avec les sorties de devises. Pour preuve, en 2014, plus de 71 milliards de dollars de biens et services. Je recense six raisons essentielles de cet important écart entre le cours officiel et celui du marché parallèle.
Premièrement, l'écart s'explique par la diminution de l'offre du fait que la crise mondiale, combinée avec le décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l'épargne de l'émigration. Cette baisse de l'offre de devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne localement et à l'étranger qui fait transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie. La reconversion de l'argent de la corruption, jouant sur la distorsion du taux de change en référence à l'officiel (vous me facturez 120/130 au lieu d'une marchandise achetée 100 avec la complicité d'opérateurs étrangers, opérations plus faciles et plus rapides dans le commerce) montre clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que l'épargne de l'émigration. Cela permet des achats d'immobilier qui expliquent la flambée des prix notamment dans les grandes agglomérations et même dans des zones semi-urbaines. Ces montants, fonctionnant comme des vases communicants entre l'étranger et l'Algérie, renforcent l'offre. Il existe donc un lien dialectique entre ces sorties de devises dues à des surfacturations et l'offre, sinon cette dernière serait fortement réduite et le cours sur le marché parallèle de devises serait plus élevé, fonctionnant, donc, comme un amortisseur à la chute du dinar sur le marché parallèle.
Deuxièmement, la demande provient de simples citoyens qui voyagent : touristes, ceux qui se soignent à l'étranger et les hadjis du fait de la faiblesse de l'allocation devises. Mais ce sont les agences de voyages qui, à défaut de bénéficier du droit au change, recourent, elles aussi, aux devises du marché noir, étant importateurs de services. Majoritairement, elles exportent des devises au lieu d'en importer comme le voudrait la logique touristique comme en Turquie, au Maroc ou en Tunisie.
Troisièmement, la forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d'une minorité rentière) et 65% des segments des différents marchés : fruits et légumes, viandes rouges et blanches, poisson, et à travers l'importation utilisant des petits revendeurs le marché du textile et du cuir. Car il existe une intermédiation financière informelle loin des circuits étatiques. Au niveau de cette sphère qui est le produit de la bureaucratie, tout se traite en cash, favorisant des liens dialectiques avec certains segments rentiers du pouvoir et donc la corruption. L'Union nationale des commerçants algériens estime l'évasion fiscale due à cette sphère d'environ trois milliards de dollars par an.
Quatrièmement, l'écart s'explique par le passage du Remdoc au Credoc, le crédit documentaire, expliquant les mesures d'assouplissement en 2013, qui a largement pénalisé les petites et moyennes entreprises représentant plus de 90% du tissu industriel en déclin (5% dans le PIB). Le Credoc n'a pas permis de juguler comme cela était prévu la hausse des importations qui ont doublé depuis 2009 et a renforcé les tendances des monopoles importateurs où, selon des données officielles, 83% du tissu économique global est constitué du commerce et des petits services à faible valeur ajoutée. Nombreuses sont les PME-PMI qui, pour éviter les ruptures d'approvisionnement, ont dû recourir au marché parallèle de devises. Le gouvernement a certes relevé à quatre millions de dinars, au cours officiel, la possibilité du recours au paiement libre pour les importations urgentes de matières premières ou pièces de rechange, mais cela reste insuffisant.
Cinquièmement, beaucoup d'opérateurs étrangers utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises, puisque chaque Algérien a droit à 7 200 euros par voyage transféré, utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant.
Sixièmement, l'écart s'explique par la faiblesse de la production et de la productivité, l’injection de monnaie sans contreparties productives engendrant l'inflation. Selon un rapport de l'OCDE, la productivité du travail de l'Algérie est une des plus faibles au niveau du Bassin méditerranéen. L'Algérie où, après 50 années d'indépendance politique, 98% des exportations relèvent des hydrocarbures, alors qu’elle importe 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d'intégration ne dépasse pas 15%, le tissu industriel représentant moins de 5% du PIB. La non-proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact – le taux de croissance moyen n'ayant pas dépassé 3% (il aurait dû dépasser les 10%) – sont source d'inflation et expliquent la détérioration de la cotation du dinar (déséquilibre offre/demande que l'on supplée par une importation massive) sur le marché libre par rapport aux devises que la Banque d'Algérie soutient artificiellement grâce aux recettes des hydrocarbures. Pour se prémunir contre l'inflation, et donc la détérioration du dinar algérien, l'Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l'immobilier ou l'or, mais une partie de l'épargne est placée dans les devises. De nombreux Algériens profitent en effet de la crise de l'immobilier, notamment en Espagne, pour acquérir des appartements et villas dans la péninsule ibérique et en France, certains aux Etats-Unis et en Amérique latine, sans compter les paradis fiscaux. C'est un choix de sécurité dans un pays où l'évolution des prix pétroliers est décisive. S'il n'y avait pas de pétrole et de gaz, et les réserves de change, l'euro s'échangerait à 300 ou 400 DA. C'est grâce aux réserves de change que le taux de change officiel fluctue durant la période 2012/2015 entre 105 et 110 DA un euro, mais avec dérapage par rapport au dollar qui est passé de 77 dinars un dollar à 97 dinars un dollar en 2015. Face à l'incertitude politique et la psychose créée par les scandales financiers, beaucoup de responsables vendent leurs biens pour en acheter à l'étranger. Egalement, beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d'une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours de l'or, à la baisse depuis l'année 2013, ils achètent les devises sur le marché informel.
Abderrahmane Mebtoul
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