«Paris-Alger : une histoire passionnelle» : un livre d’anecdotes destiné aux béni-oui-oui
Pour savoir pourquoi ce livre a été écrit et à qui il s’adresse, il faudrait peut-être le lire attentivement et en entier. Le simple survol des chapitres, même en zoomant, parce qu’un nom ressort et qu’on veut en savoir plus, n’est pas suffisant. Mais c’est déjà trop ennuyeux, ce qui ne donne pas du tout envie de lui consacrer du temps ; il faut vraiment avoir l’esprit de sacrifice et être poussé par une obligation professionnelle pour le faire. Ce livre est tellement vide qu’avec toutes les opérations médiatiques possibles et imaginables, il ne sera pas best-seller. Après l’avoir feuilleté, l’impression qui s’en dégage est que le livre est plein de clichés pour ne pas dire qu’il n’est fait que de clichés, du réchauffé, en somme, du copié-collé. Il y a eu tellement de livres français écrits sur l’Algérie qu’il est très difficile de faire dans la nouveauté et, pour les auteurs qui sont nostalgiques de l’Algérie française, quasiment impossible de se libérer des vieux fantasmes cultivés de l’autre côté de la Méditerranée sur notre pays devenu indépendant avec un beau drapeau vert et blanc frappé du croissant et de l’étoile rouges, flottant sur les édifices officiels et un peuple maître chez lui, quoi qu’on pense. Il y a, chez les nostalgiques de l’époque coloniale, comme un syndrome du drapeau algérien, qui a créé en eux une phobie obsessionnelle. Et, en plus, ça les dérange de constater que les Algériens, surtout les jeunes, qui veulent aller en France et réclament pour cela le visa, ne le font pas pour épouser l’identité française, mais pour y installer la leur, au moins la conserver. Notons au passage que les auteurs semblent ignorer que la première fois qu’un drapeau algérien a été brandi dans une manifestation à Paris, un 14 juillet, c’était déjà en 1953. Ce jour-là, la police française a tué six manifestants algériens et un Français partisan de l’indépendance de l’Algérie qui participait avec eux à cette manifestation. Cela dit, on se demande si «Algérie : la mer retrouvée», le film que 2,6 millions de téléspectateurs ont suivi, le jour où il est passé dans l’émission Thalassa de France 3 le vendredi 3 avril 2015, et le livre «Paris-Alger : une histoire passionnelle» parlent du même pays. En tout cas, il y en a pour tous les goûts. Dans ce genre d’exercice, le relent colonial est difficile à enlever. Dans «Paris-Alger : une histoire passionnelle», le ressentiment est évident. Aucune subtilité, comme si la commande était urgente. Et dans tout ça, les deux auteurs français oublient le peuple algérien. Ainsi, pour eux, les Algériens sont ceux qui regardent la télévision française. Et les autres – l’écrasante majorité, ceux qui boudent les chaînes françaises et ignorent tout du Petit Journal –, de quelle nationalité sont-ils ? A ce propos, la description de la presse algérienne faite par les auteurs du livre est hilarante, c’est un chapitre à ne pas rater. D’une façon générale, ce sont les approximations et les affirmations à l’emporte-pièce qui dominent, rien de sérieux. Les auteurs mettent dans la bouche de Bernard Squarcini, ancien directeur de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI devenue DGSI), des paroles surprenantes qui mélangent tout : «Lorsque les Algériens nous ont appelés pour nous demander de l’aide au second tour des législatives en 1994, quand le FIS est devenu le GIA, ils découvraient le néoterrorisme, le fanatisme religieux.» Oui, c’est écrit comme cela dans le livre, le second tour des législatives en 1994, pas en 1991, comme l’on croyait ! Et c’est toujours Bernard Squarcini qui raconte : «Enfin, on est allés visiter dans la soirée l’ermitage de Charles de Foucauld à Beni Abbès. C’était merveilleux.» Oui, ça devait être merveilleux, mais pas à Beni Abbès, plutôt au sommet de l’Assekrem, à Tamanrasset. Des analyses fausses, de bout en bout, des informations erronées, du réchauffé pour les «appartements parisiens» et autres petites anecdotes vieillottes… De quoi faire un livre médiocre pour les béni-oui-oui, s’il y en a encore dans notre pays.
Houari Achouri