Drames en Méditerranée : pour une refonte des relations internationales

Les ministres européens des Affaires étrangères se retrouvent à Luxembourg en ce mois d’avril pour un sommet extraordinaire sur l’immigration clandestine après le naufrage d’un chalutier chargé de migrants au large des côtes libyennes qui pourrait avoir fait jusqu’à 800 morts (hommes, femmes, enfants) selon le Haut-commissariat aux Nations unies. Il s’ajoute aux quelque 450 morts et disparus lors des deux précédents naufrages en moins d’une semaine. Il s’agit de cerner l’essence et non de s’attaquer aux apparences, à savoir la gouvernance mondiale. Toujours selon le HCR, 200 morts en 1995, 400 en 1998, 600 en 2000, 800 en 2002, 1 300 en 2003, 2 000 en 2006 et 2011, une baisse en 2012 avec 200 et, depuis 2012, une augmentation. Scènes déplorables : des centaines de de noyés au large des côtes africaines, d’autres asphyxiés dans les camions de passeurs entre Calais et Douvres, au nord de la Grèce, au sud de l’Espagne et de l’Italie, sans oublier ceux qui meurent de faim et de froid, qui sautent sur des mines, qui se suicident dans les centres de rétention à la veille de leur renvoi et les manques de soins. Il existe une véritable hypocrisie partagée tant par certains dirigeants du Sud que ceux du Nord en ne s'attaquant pas à l'essence du drame que connaît notamment l'émigration de l'Afrique. Sans compter les trafics de drogue et d'armes, il existe différentes routes, les routes africano-maghrébines, les routes du Moyen-Orient, les routes de l'Asie et de l'Eurasie qui font la fortune de certains armateurs et passeurs (1 500 à 5 000 euros pour un passage). Paradoxe d’un continent comme en témoignent tous les forums internationaux (Etats-Unis-Afrique ; Europe-Afrique ; Asie-Afrique) qui connaît des potentialités énormes, mais étant un des plus pauvres de la planète. Certes, il n'existe pas une Afrique, mais des Afriques pouvant être scindées en trois compartiments : des pays qui jouissent de rentes, inégalement réparties, souvent sources de corruption et de mauvaise gestion, à partir de ressources naturelles ; d'autres qui, par une gouvernance rénovée, connaissent des taux de croissance durable et appréciable ; et enfin des pays extrêmement pauvres, minés souvent par des guerres civiles. Récemment, avec la chute de certains régimes familiaux et tribaux qui n'ont jamais eu de véritables institutions, suivie des révoltes populaires souvent sans programmes de rechange, l'immigration dans ces pays s'est accrue. Les rapports de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement montrent que les fuites de capitaux hors Afrique durant les 25 dernières années vers le reste du monde dépassent largement le produit intérieur actuel du continent Afrique. Alors, au lieu de s'émouvoir , les dirigeants des pays développés doivent inventorier tous les biens des responsables de l'Afrique investis dans leurs pays, exiger l'origine des fonds que ce soit dans des biens immobiliers que ne peuvent pas s'acheter les citoyens moyens de leurs pays, ou des dépôts en banques, sans compter les importants montants dans les paradis fiscaux détournés aux dépens de leurs peuples. Après la crise d'octobre 2008, où en sont les résolutions de Londres ? Cela a des incidences immédiates et négatives sur le développement de l'Afrique où, avec l'accroissement de la misère, et avec un monde parabolé qui met en relief la prospérité des pays développés, encore qu'existe une répartition injuste du revenu national dans ces pays, bon nombre de jeunes et moins jeunes Africains tentent l'aventure même au prix de la mort selon l'adage «je suis déjà mort». C'est la mode de gouvernance, la corruption des dirigeants de bon nombre de pays africains renvoyant à l'absence de morale, de contrepoids démocratiques dans tous les domaines qui encouragent le terrorisme qui se nourrit de la misère. Paradoxe, certains gouvernants, pour faire oublier leur gouvernance défectueuse au niveau interne, disent le combattre alors qu'ils en sont à l'origine avec la complaisance de certains dirigeants du Nord. Avec ce message : «Fermez l'œil sur notre gouvernance, laissons-nous en place, laissez prospérer nos fortunes et ceux de nos proches chez vous ; en contrepartie, nous vous faciliterons vos affaires dans nos pays même s'ils ne sont pas porteurs pour nos sociétés.» Il en est de même de la fuite des cerveaux qui assèche le continent Afrique, où malgré certains discours à l’adresse de la diaspora et en faveur de l'élite locale , bon nombre de dirigeants africains encouragent directement ou indirectement cette fuite, les postes de responsabilité étant fonction des relations de clientèle et de la soumission et surtout ne voulant pas d'une opposition active consciente. Le discours du Caire, mettant en garde certains régimes contre une déflagration sociale faute d'une bonne gouvernance, qui avait suscité un grand espoir, jamais appliqué, du président américain Barack Obama, est d'une brûlante actualité. Ainsi s'imposent pour éviter de tels drames une refonte profonde tant de certains Etats du Sud reposant sur un Etat de droit et sur des institutions fiables crédibles dont l'indépendance de la justice, le développement des libertés réelles et non formelles, réalisant la symbiose Etat-citoyens, et des relations internationales assises sur plus de morale.
Dr Abderrahmane Mebtoul
 

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