Quand les réseaux sociaux et les médias nationaux servent de relais à Belmokhtar
Plusieurs médias ont repris la «version» du terroriste Belmokhtar sur l'attaque de Tiguentourine qui «avoue l'échec de l'opération». En accordant un tel crédit au chef d’un groupe criminel, nos confrères ne risquent-ils pas de servir ainsi de relais aux terroristes ? Avons-nous besoin que Belmokhtar nous dise ce qu'il s'est passé à Tiguentourine ? Cela rappelle le dilemme de la couverture du terrorisme par les médias dans les années 90 et qui avait parfois grandement servi la «cause» des GIA puisque les journaux relayaient (voire amplifiaient pour certains d'entre eux), par réflexe professionnel, leurs attentats, leur servant ainsi de caisse de résonance, ce qui leur profitait. Faut-il que les médias «grossissent» les actes de terrorisme et se fassent l’écho des déclarations de leurs chefs sanguinaires, au motif d’informer, voire même d’alerter l’opinion publique ou, intention généralement évoquée pour justifier cette dérive, pour soi-disant mobiliser les citoyens contre ce fléau ? Les affaires de terrorisme qui intéressent les médias à sensation sont celles qui se passent dans leur propre pays pour lesquelles le facteur de proximité joue à fond et permet de retenir l’attention. Très souvent, malheureusement, même quand ils sont de bonne foi, des journalistes peuvent tomber, inconsciemment et involontairement, dans le piège de l’apologie du terrorisme. L’expérience dramatique vécue par notre pays dans les années 1990 a été pleine d’enseignements pour les journalistes qui étaient chargés de la pénible tâche de couvrir les actes de terrorisme qui remplissaient, à l’époque, leur actualité quotidienne. Ils travaillaient le plus souvent en relation avec les chargés de communication des services officiels de l’Etat qui gèrent ce dossier, et cette façon de faire leur métier n’enlevait rien au droit du citoyen d’être informé ni à la qualité de l’information qui lui était donnée, en matière d’exactitude notamment. Il y avait juste le souci, et il n’est pas sans importance, chez beaucoup de journalistes qui se sont spécialisés dans ce domaine, de ne pas se transformer en «chargés de com» des groupes terroristes. Au contraire, sans s’éloigner des fondamentaux du métier, la façon de présenter l’information et l’opportunité de sa publication étaient prises en compte pour contribuer à la lutte antiterroriste, étant bien entendu que l’on ne peut pas être neutre, sous prétexte d’objectivité, dans des faits criminels. Sauf si l’on n’admet pas que, dans aucun cas, la diffusion d’informations ne doit nuire à l’action des forces de sécurité menée sur le front antiterroriste. En fait, spontanément, la plupart des journalistes algériens qui se rencontraient sur les lieux des attentats et des carnages avaient adopté un code, non écrit, de traitement de l’information sur le terrorisme pour ne pas contribuer, par leur façon de rapporter les faits, au renforcement de ces groupes de criminels. Est-ce que cette démarche consistant à mettre des limites dans le traitement de l’information sécuritaire a porté atteinte à la liberté de la presse ? Ce n’est pas évident, mais, surtout, elle n’a pas servi le terrorisme. L’expérience algérienne a également son autre face, celle qui montre que des journaux ont cru que le terrorisme serait une bonne affaire commerciale, qu’il aiderait à faire vendre, car derrière le lectorat, on sait qu’il y a le gisement de «clients» pour les annonceurs publicitaires, une démarche encouragée par la concurrence. Pour ces journaux, au contraire, l’attrait du sensationnel commandait d’amplifier les faits et, parfois, il n’y avait pas plus efficace, à leurs yeux, que les photos et les gros titres racoleurs à la Une, quitte à servir le phénomène du terrorisme. En résumé : le marketing au service des criminels. Le citoyen qui suit maintenant l’actualité à travers la presse écrite, sur les chaînes de télévision privées et sur les sites électroniques, voire même les réseaux sociaux, a l’embarras du choix dans la recherche de l’information. Les lignes éditoriales des médias diffèrent, mais sur le traitement du terrorisme, elles devraient avoir un dénominateur commun : ne pas servir de relais au terrorisme.
Houari Achouri