Rachid Boudjedra : autopsie d’une abjuration
Par Youcef Benzatat – Quelques jours seulement après que Rachid Boudjedra eut déclaré publiquement son athéisme sur le plateau d’Echorouk TV, ayant mis la société en effervescence, le revoilà encore une fois sous les projecteurs médiatiques pour affirmer tout à fait le contraire. En effet, il aurait déclaré cette fois-ci qu’il était bel et bien musulman, et qu’il aurait été piégé par la journaliste vedette d’Echorouk TV, en lui ayant extirpé ses aveux malgré lui. L’argument avancé pour justifier sa prise au piège demeure cependant trop faible pour être convainquant. Bien que le débat avec la journaliste était assez intense et très contradictoire, dans lequel Boudjedra défendait bec et ongles ses convictions religieuses, niant l’existence de Dieu et déniant le caractère prophétique à Mohammed (QSSSL), malgré cela, quelques jours plus tard il avait essuyé d’un revers d’une langue balbutiante et tremblotante ce qu’il affirmait avec force et conviction sur le plateau d’Echorouk TV auparavant. Il est évident que ce retournement soudain et précipité ne pouvait être le fait d’un désir spontané de dénonciation d’un piège dont lequel il était tombé, pour une position qu’il avait toujours assumée, en n’ayant jamais caché par le passé son athéisme ! Alors, pourquoi ce retournement soudain, qui résonne plus comme une abjuration devant une hypothétique pression, qu’il aurait subi de quelques forces obscures, et qui l’auraient contraint à ranger toute prétention à une quelconque liberté de conscience ou liberté d’expression tout court ? C’est en procédant à l’autopsie de la scène théâtrale où a eu lieu l’abjuration que l’on pourra probablement commencer à déplier le voile sur les hypothétiques auteurs de cette pression. Boudjedra, entouré de journalistes et de caméras, ne laissant aucun doute sur l’intention d’un enregistrement destiné à la diffusion publique, était assis à même le sol sous un grand portrait de Bouteflika, bien mis en évidence, et à côté de lui, l’emblème national, dont les dimensions occupent une surface très importante du cadre, afin que le spectateur ne puisse percevoir de ce plan large que ces deux symboles avec la parole de Boudjedra faisant l’effet d’une voix off. Cette grossière mise en scène donnait l’impression de vouloir rappeler au spectateur l’unité de l’Algérie sous le patronage de son guide et chef d’Etat, gardien des valeurs immuables de la nation, «les constantes nationales arabomusulmanes» que le régime a coutume de rappeler en pareilles circonstances. Un chef d’Etat qui avait usurpé le pouvoir en s’appuyant pour l’essentiel sur le soutien des zaouïas, par la corruption des notables locaux qui y sont affiliés, sur toute l’étendue du territoire et par sa compromission avec les courants radicaux djihadistes des GIA et de l’AIS. A qui, d’ailleurs, il aurait dédié la future mosquée d’Alger et beaucoup d’autres, dont celle de Béjaïa, aux dimensions démesurées et aux prix exorbitants, au détriment d’infrastructures médicales, culturelles et sociales, dont les déficits sont très préjudiciables au bien-être des Algériens. Dans cette perspective, la déclaration d’athéisme de Boudjedra était mal venue, car elle aurait blessé dans leur conviction ses soutiens, auprès desquels il risquait de perdre des alliés précieux. D’autant qu’elle encourageait la contestation de l’islamisation rampante du régime et de la société par les courants laïcs, et de réconforter les courants berbéristes dans la contestation de leurs arabisation. Ce qui aurait eu comme conséquence la mise en péril des fondements mêmes sur lesquels son pouvoir usurpé reposait. L’abjuration de Boudjedra était devenue une affaire d’Etat. Boudjedra ne pouvait s’y dérober, sous peine d’être renié par le pouvoir et dépossédé de ses privilèges. Il avait le choix, soit d’entrer dans l’histoire par la grande porte, en ayant défié les obscurantistes qui prennent en otage les destins de la nation, ou alors se soumettre à cette pression et assumer son rôle habituel d’intellectuel de toutes les compromissions avec le pouvoir illégitime et liberticide au détriment de ses profondes convictions. Boudjedra avait fait son choix, libre à lui de l’assumer.
Y. B.
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