Abdelhamid Hakkar à Algeriepatriotique : «Les juges français ont falsifié mon dossier»
Algeriepatriotique: Vous avez été libéré en 2012. Pourquoi avez-vous attendu trois ans avant de décider de vous rendre en Algérie ?
Algeriepatriotique: Vous avez été libéré en 2012. Pourquoi avez-vous attendu trois ans avant de décider de vous rendre en Algérie ?
Abdelhamid Hakkar : Je n’ai pas attendu, mais, plutôt, on me refusait la sortie. Jusque-là, on me trouvait différents prétextes administratifs et dans la pratique des juges d’application des peines, la première demande de sortie du territoire est toujours difficile à obtenir. Ils ont peur que la personne commette une infraction ou un nouveau crime et qu’elle ne revienne plus. Mais une fois que cette demande est obtenue, les suivantes ne posent pas de problème. Cela fait deux ans que j’ai fait cette demande et je viens tout juste d’obtenir une réponse positive.
Vous clamez votre innocence, pourtant vous avez été condamné à la perpétuité. Accusez-vous la justice française de partialité ?
Non, je ne l’accuse pas de partialité. C’est un euphémisme. J’ai commis des vols à main armée, cela est vrai, j’ai fait des bêtises et reconnais mes fautes. J’éprouve du regret à m’être fourvoyé par le passé, parce que j’avais tout pour construire quelque chose de mieux, mais concernant le principal fait reproché, à savoir la fusillade qui a eu lieu et où des policiers ont été blessés et d’autres morts, j’ai clamé mon innocence en ce sens que je n’avais pas d’arme lors de la fusillade. Il y a une personne qui reste en fuite jusqu’à ce jour et qui n’a jamais été identifiée, donc, ils m’ont imputé la paternité des faits que je n’ai pas commis et quatre années plus tard, je m’aperçois que mon dossier était falsifié. Ils avaient oublié, au début, de délivrer un mandat de dépôt et c’est à partir de là que commence mon combat judiciaire. Ils ont essayé de nous mettre, mes avocats et moi, des bâtons dans les roues. On a découvert par la suite que les juges essayaient de régulariser, après coup, une procédure qui était vouée à l’annulation. Dans l’exercice de leur fonction et dans la patrie des droits de l’Homme, ces juges ont délibérément commis des faux en écriture publique, ils ont falsifié mon dossier et inséré des documents. Chose que les médias français ont dénoncé en révélant les faux avec les noms des juges, mais jamais il n’y a eu de plainte ni quoi que ce soit. Sinon, j’aurais été libéré et ces magistrats prendraient ma place en prison. Une bêtise qui a été suivie d’une multitude d’autres. Pour montrer le caractère formel et inique de ma situation, j’ai épuisé toutes les voies de recours, j’ai attaqué l’Etat français et l’ai fait condamner par la Cour européenne et le Comité des ministres de l’Europe, à l’unanimité, tout seul du fond de ma prison. Ils ont exigé pendant cinq ans de l’Etat français qu’il me libère, mais ce dernier faisait la sourde oreille.
Avez-vous été victime du «délit de faciès» ?
Absolument ! Tout y est. Il y a mon nom, la guerre de Libération, mes origines. Il y a aussi mon histoire ou dirai-je notre histoire commune.
D’autres Maghrébins ont subi les affres de la justice française, dont le Marocain Omar Raddad. Pourquoi votre affaire n’a pas été médiatisée, contrairement à la sienne et à d’autres ?
On ne peut pas comparer un Marocain à un Algérien. Les Marocains n’ont pas eu l’histoire que nous avons nous avec les Français et, aussi, ils ont, avec eux, des rapports plus tactiques et mielleux. Cela se ressent au quotidien dans la société française. On ne traite pas un Marocain comme on traite un Algérien. J’ai fait 28 ans de prison et voulez-vous que je vous dise combien de Marocains j’ai rencontrés ? Je n’ai vu que trois Marocains en prison et pas un seul pour trafic de drogue, alors que le Maroc est reconnu mondialement comme étant le premier pays producteur de drogue. Les Marocains inondent les cités [de banlieues] avec leur drogue. En prison, on ne trouve que des Algériens ou des binationaux, des dealers qui sont la main-d’œuvre de ces gens-là.
Allez-vous demander réparation ou vous contenterez-vous de cette libération bien que vous clamiez toujours votre innocence ?
J’ai été libéré sous Sarkozy. Quand je suis sorti de prison, Christiane Taubira m’a invité à un colloque sur la prévention de la récidive devant un parterre de magistrats. On m’a demandé de faire une proposition de loi qui est d’ailleurs sur le site du ministère de la Justice et qui a été adoptée à l’Assemblée nationale. Suite à cela, mon avocate et moi avons introduit une demande d’audience pour annoncer que j’ai fait un double recours contre l’Etat français parce qu’on m’a gardé arbitrairement en prison douze années de plus. Mais j’ai compris qu’à cause de ce recours, les juges ne voulaient pas me lâcher. Quand j’utilisais la violence et des prises d’otages pour m’évader, on me le reprochait, et quand j’utilisais les voies légales et réglementaires, on s’acharnait contre moi de plus belle.
Vous dites que c’est grâce à un mouvement de solidarité et à l’intervention de l’Etat algérien que vous avez été admis à la liberté conditionnelle. Comment se sont manifestées cette solidarité et cette intervention concrètement ?
J’ai une lettre manuscrite de feu le président Boudiaf. Après lui, c’était Liamine Zeroual qui m'avait soutenu. Je devais être libéré en 1996. Notre ambassadeur en France est venu me voir pour me dire que l’accord allait être signé par Chirac et que j’allais être libéré à la fin du mois de juillet de la même année. Malheureusement, il y a eu l’assassinat des moines de Tibhirine. J’étais sûr qu’ils n’allaient pas me relâcher. Et j’ai eu raison. Le président Bouteflika, que Dieu le guérisse, n’a pas cessé de suivre mon affaire. Depuis 1999, chaque année, il demandait ma libération. Il y avait aussi M. Jacques Lang qui m’a soutenu et qui est venu voir le président Bouteflika à trois reprises pour mon affaire.
Envisagez-vous de créer une organisation qui regrouperait les victimes d’erreurs judiciaires, puisque vous estimez que vous avez été injustement condamné pour un meurtre que vous n’avez pas commis ?
Depuis que je suis sorti de prison, les médias étrangers n’ont pas arrêté de me contacter pour me proposer des sujets d’émissions et des courts métrages. Je leur ai dit que ce que j’ai fait n’a rien de glorieux ; j’ai perdu trois décennies de ma vie et je ne suis pas un exemple. Maintenant, si mon expérience peut servir à la réflexion des jeunes, je veux bien prêter de ma personne, mais je n’ai pas vocation à m’étaler dans la presse. Ce serait presque de la provocation. Pour répondre à votre question, oui, évidemment, j’ai eu des discussions avec des criminalistes, pénalistes, avocats et politiciens. J’ai rencontré aussi MM. Edwy Plenel et Benjamin Stora pour concrétiser une grande idée, celle de parler de l’histoire coloniale et aussi de droit parce que j’ai trouvé des choses absolument phénoménales. J’aimerais faire quelque chose, frapper un gros coup.
C'est-à-dire ?
La France reconnaît les génocides des autres, pourquoi ne reconnaît-elle pas le sien ? Je veux me battre pour cela.
Comptez-vous vous installer en Algérie ?
Pour le moment, je vais m’en tenir à mon autorisation d’un mois. J’attends l’aboutissement des recours que je vais présenter contre l’Etat français pour les douze années où j’ai été gardé derrière les barreaux arbitrairement. Si j’obtiens gain de cause, à ce moment-là, le conditionnel disparaîtra de lui-même. Je retrouverai la plénitude de ma liberté et de mes mouvements et, bien évidemment, je n’ai qu’un vœu, apporter quelque chose à mon pays.
Propos recueillis par Karim Bouali