Vous trichez, nous trichons
Par M. Aït Amara – Pourquoi chercher les coupables dans cette histoire de fraude aux épreuves du baccalauréat ? S’attendait-on naïvement à ce que la crise morale profonde qui ronge la société eût épargné l’école ? En quoi une tricherie à une aussi grande échelle devrait-elle nous étonner ? Il faut revenir au contexte général dans lequel se déroule l’examen. L’Algérie vit au rythme des scandales et des procès qui occupent la pléthore de médias qui ont poussé comme des champignons malgré les entraves délibérées du pouvoir, même si un grand nombre d’entre eux ont été créés pour servir de valve de dépressurisation et laisser s’échapper, ainsi, la colère étouffée des citoyens derrière un écran de télévision et éviter qu’elle se déverse dans la rue. Les affaires Khalifa et Sonatrach I et II, et celles de l’autoroute Est-Ouest et du détournement de deniers publics à la DGSN, entre autres, jumelées aux saisies quotidiennes d’immenses quantités de drogue et de devises dissimulées dans les valises d’affairistes véreux s’apprêtant à les transférer illégalement par les différents aéroports du pays, créent forcément un climat délétère et déteignent sur le moral de l’ensemble des Algériens qui ne comprennent pas comment le pays a atteint une telle dérive de l’éthique, une telle érosion des principes. Il faut dire, cependant, que le discours officiel est pour beaucoup dans ce pourrissement généralisé. Tout a été fait pour pousser le citoyen à toujours réclamer plus sans que jamais il ne soit exigé de lui, en retour, un effort pour le pays. A commencer par les décisions maladroites du pouvoir qui ont donné lieu à une stratification sociale criante dans une société habituée à une relative égalité. L’introduction brutale du nouveau schéma social a commencé au sein de la fonction publique, lorsque les autorités ont creusé un fossé profond entre les hauts fonctionnaires et le reste des commis de l’Etat. Cela a provoqué la colère de ces derniers qui se sont mis à revendiquer légitimement leur part de la rente pétrolière, faute de pouvoir imposer aux décideurs de réduire leur train de vie excessif et de cesser les dépenses farfelues – voitures de luxe, missions à l’étranger sans aucune utilité, primes conséquentes et gros avantages en tous genres, accaparement de la zone touristique du Club des Pins… Parallèlement à cette abondante distribution des ressources, sans qu’aucune obligation de résultat ne soit exigée, faisant faire au pays un grand bond en arrière pour se retrouver à l’époque du fameux statut général du travailleur, le pouvoir de l’argent a fait irruption dans le monde politique, créant un amalgame tel que les citoyens ne savent plus qui dirige véritablement le pays. Comment, dans une atmosphère aussi malsaine, pouvait-on espérer attendre de l’école qu’elle enseignât encore le devoir, l’honnêteté, la conscience et la justice, alors qu’ayant perdu son immunité, elle est elle-même contaminée par le virus de l’amoralité ?
M. A.-A.
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