Contribution – L’instrumentalisation des islamistes : une vieille histoire de Berlin à Washington
La rébellion terroriste islamiste dans le Caucase russe a prêté allégeance à l'organisation Etat Islamique (Daech), selon une vidéo publiée en ligne, alors qu'environ 2 000 Russes combattraient dans ses rangs en Syrie et en Irak selon les services de renseignement russes. «Nous annonçons notre allégeance et notre obéissance au calife Ibrahim Ben Awwad Ibn Ibrahim Al-Qoureishi Al-Husseini», connu sous le nom d'Abou Bakr Al-Baghdadi, annonce cette vidéo mise en ligne par le principal groupe de djihadistes islamistes en Russie, le soi-disant «Emirat du Caucase». «Nous témoignons de ce que tous les combattants du Caucase, de la wilaya (division administrative) de Tchétchénie, de Daguestan, d'Ingouchie et de Kabardino-Balkarie sont unis dans cette décision et que nous n'avons pas de désaccords», continue-t-il en russe, avec des sous-titres en arabe. Mardi, le «porte-parole» de l'organisation Etat Islamique, Abou Mohamed Al-Adnani, avait «félicité les soldats de l'Etat Islamique dans le Caucase». Abou Bakr Al-Baghdadi «a accepté votre allégeance et nommé cheikh Abou Mohamad Al-Qadari comme wali (gouverneur) du Caucase», avait-il indiqué dans un enregistrement. La Russie a annoncé fin avril avoir tué, lors d'une opération des forces spéciales au Daguestan, une république instable du Caucase russe, le dirigeant de l'«émirat» du Caucase, Aliaskhab Kebekov, qui avait pris la tête de l'organisation en 2014.
C'est la première fois que l'ensemble de la rébellion islamiste dans le Caucase russe officialise son ralliement à l'EI, pour qui se battent déjà 2 000 Russes selon les services de renseignement. Ce ralliement intervient alors que la Russie, à l'instar de plusieurs pays d'Europe et d'Asie centrale, connaît une recrudescence de cas de jeunes filles partant en Syrie (le «djihad par le mariage»). Les autorités turques ont ainsi arrêté début juin, 14 Russes, dont six femmes parmi lesquelles une étudiante moscovite de 19 ans, qui tentaient d'entrer en Syrie. Mais la majorité des candidats russes au «djihad» sont originaires des républiques du Caucase russe, notamment de Tchétchénie, théâtre d'une insurrection islamiste avec les troupes russes de 1994 à 1996, avant une seconde guerre en 1999 qui, gagnée par Moscou, a débouché ces dernières années sur le terrorisme islamiste. Les gorges du Pankissi, en Géorgie, à la frontière de la Tchétchénie, fournissent également leur lot de combattants. Preuve de l'intérêt grandissant de l'EI pour la Russie, l'organisation terroriste a lancé fin mai une version russe de son magazine officiel, intitulé Istok.
L’agitation islamiste dans le Caucase est une vieille affaire. Elle a commencé dès les années 30 et a été organisée par le IIIe Reich et le parti nazi allemand pour déstabiliser l’URSS. Elle a alors culminé lors de la Seconde Guerre mondiale en 1941-44, qui a même vu de nombreux musulmans «soviétiques» (Caucase et Tatars de Crimée) combattre avec les nazis, y compris dans la Waffen SS. Parmi les collaborateurs des nazis les Frères musulmans, organisés en réseaux par les nazis, depuis leur centrale de Munich. En 1945, les réseaux musulmans sont repris en mains par les Américains et engagés dans la guerre froide contre l’URSS. La fin de celle-ci ne marque pas la fin, mais un nouveau départ. Car les géopoliticiens américains, dont Brezinski, l’auteur du Grand échiquier,ont repris le programme géopolitique du théoricien nazi Rosenberg et leur but final est l’éclatement de la Fédération de Russie. Le Caucase russe, ventre mou de la Russie, est l’un des fronts privilégiés de cette guerre sourde. Les deux guerres de Tchétchénie – 1994 et 1999 (gagnée par Moscou) –, l’agitation au Dagestan en sont les manifestations. La seconde guerre de Tchétchénie, déclenchée par les forces fédérales en 1999, a officiellement pris fin en 2009. Mais des attaques et explosions visant notamment les représentants des forces de l'ordre dans le Caucase restent fréquentes. Derrière les ennemis de la Russie : les Etats-Unis, l’Otan et les Saoudiens qui ont pris en mains les «djihadistes» du Caucase. Vilnius en Lituanie abrite leurs moyens de communication sur le Net. Quant à la Géorgie, ses services secrets offrent réseaux et filières. Au début des années 2000, «les services spéciaux russes ont observé des contacts directs» entre des rebelles du Caucase du Nord et des représentants des services secrets américains en Azerbaïdjan», révèle le Président russe. «Il y a des gens, surtout dans les services secrets des pays occidentaux, qui croyaient que si on déstabilisait leur principal rival géopolitique – et maintenant nous comprenons que pour eux, c'était la Russie –, cela serait à leur profit. Mais il s'est avéré que ce n'était pas le cas», a indiqué M. Poutine. «En aucun cas, jamais et nulle part, il ne faut essayer d'utiliser les terroristes pour résoudre ses tâches politiques et même géopolitiques temporaires», a-t-il souligné.
Luc Michel