L’ARPT : antique et anti-TIC
Par Mohamed Hadjer – En préambule, il faut rappeler que l’Algérie a ouvert à la concurrence le secteur des télécommunications dès août 2000 et permis l’établissement d’opérateurs alternatifs utilisant la technologie VoIP dès 2005, très en avance sur ses voisins maghrébins. Pour autant, notre pays accuse un retard énorme dans l’utilisation des TIC, classé loin derrière ces mêmes voisins. Quelles sont les raisons de cette déplorable situation qui freine tellement l’évolution du pays ? La principale raison s’appelle ARPT. A l’origine (loi 2000-03 du 8 août 2000), ARPT signifie Autorité de régulation de la poste et des télécommunications. Aux dires et témoignages de tous ceux qui ont été et sont confrontés à cette reine de l’immobilisme et au constat de l’état actuel du marché des télécoms, la vraie définition de l'ARPT serait plutôt «Administration réfractaire à toute promotion des TIC, ou bien Autorité pour le ralentissement du progrès dans l’usage des TIC». L’ARPT a été créée en 2000 pour être l’arbitre de l’ouverture du marché des télécommunications au secteur privé, avec entre autres prérogatives et obligations :
– Veiller au respect d’une concurrence loyale entre les opérateurs (art. 13.1) ;
– Garantir la transparence et la non-discrimination (art. 13.2) ;
– Délivrer les agréments techniques pour les équipements terminaux, destinés à être connectés à un réseau public de télécommunications (art. 41 et art. 8.3) ;
– Informer les usagers sur les chiffres et réalités du marché des télécommunications (art. 13.11) ;
– Garantir l’impartialité de ses arbitrages et décisions, notamment en interdisant à ses membres tout intérêt direct ou indirect avec une quelconque entreprise du secteur des télécommunications (art. 18).
A en juger par l’état dramatique du paysage des télécommunications algérien (téléphonie fixe et Internet haut débit), de plus en plus fermé, le moins que l’on puisse dire est que l’Autorité est passée totalement à côté de ses missions.
De la régulation ou le service minimum
Scandale de l’EEPAD, disparition de Lacom, mort prononcée ou prévisible de la plupart des opérateurs alternatifs VoIP, retour au monopole (de fait) de l’opérateur historique, abus de position dominante des grands opérateurs, non-respect par ceux-ci des obligations réglementaires en matière d’interconnexion, tarification discriminatoire, etc., tout cela dans le silence assourdissant de l’ARPT. Vous avez dit régulation ? A l’ARPT, réguler signifie intervenir éventuellement suite à une plainte déposée par l’un des opérateurs, dans le cadre d’une longue procédure de saisine. Imaginez des matches de qualification de la Coupe du monde de football avec des arbitres qui n’auraient sifflé les fautes qu’en cas de plaintes officielles des joueurs ! Au cours de ces dernières années, de très nombreuses fautes de jeu ont été commises par les grands opérateurs, au détriment des nouveaux entrants, empêchant la mise sur le marché de nouvelles offres concurrentes, au bénéfice des usagers algériens. Ni cartons rouges ni cartons jaunes ; pas même un coup de sifflet.
Notre régulateur n’a de régulateur que le nom. Quinze ans après l’ouverture des télécoms au secteur privé, où sont les offres alternatives de téléphonie fixe et de services internet haut débit ? «Algérie Télécom, le bon choix» est devenu «Algérie Télécom, le seul choix».
De l’agrément des équipements ou l’excès de zèle
La loi 2000-03, dans son article 8.2, précise clairement qu’un équipement terminal sujet à agrément est un équipement qui émet, reçoit ou traite des signaux de télécommunications. La technologie VoIP permet de substituer les réseaux internet aux réseaux classiques de télécommunications, ce qui permet, entre autres applications, à un PC équipé de Skype ou de Windows Messenger, de passer des communications vocales et vidéo. Fort heureusement, les PC ne sont pas sujets à agrément de l'ARPT, sinon l’Algérie serait encore bien plus mal classée pour l’usage des TIC. Mais l’ARPT impose la procédure d’agrément aux téléphones IP (IP Phones), qui font très exactement la même chose que les PC (connexion internet + échange de paquets IP). La mission de l’ARPT est de faire respecter la loi, pas de l’interpréter à sa manière. L’article 41 de la loi précise que l’agrément est délivré soit par l’ARPT, soit par un laboratoire d’essai agréé. Il s’agit donc bien d’un agrément «technique» délivré après vérification de la conformité de l’équipement à un certain nombre de normes, protocoles, standards. Par contre, on ne trouve pas dans la loi le moindre article donnant prérogative à l’ARPT d’agréer le soumissionnaire. Sur quelle loi l’ARPT s’appuie-t-elle pour réclamer des copies légalisées de registres de commerce et de cartes fiscales ? Contrôler si le fabricant national ou l’importateur est en règle avec la loi algérienne est du ressort du ministère des Finances, de celui du Commerce, du service des fraudes et des douanes. Que vient faire l’ARPT sur ce terrain ? Agréer un équipement à l’ARPT est devenu un véritable cauchemar pour ceux qui essaient de faire avancer un peu leur pays dans l’usage des TIC. Faire seulement enregistrer un dossier d’agrément peut prendre plusieurs semaines et nécessiter une dizaine de visites. En effet, l’ARPT ne publie pas une procédure complète et exhaustive de ce que vous devez faire et fournir. De l’aveu même du fonctionnaire de service, la procédure accessible sur le site internet de cette administration n’est pas à jour. Se procurer un imprimé officiel ARPT décrivant exactement la procédure n’est pas possible. En fait, c’est la parole du fonctionnaire de service qui fait force de loi. A chaque visite, il vous assène une contrainte supplémentaire, qu’il a «oublié» de mentionner lors de votre précédente venue. On peut aussi vous refuser la forme d’un document, même si le contenu est conforme à ce qui est réclamé. On s’attend prochainement à se voir critiquer le grammage du papier, la couleur de l’encre ou encore la police de caractère utilisée ! Tout est bon pour vous refuser votre dossier et vous faire perdre une semaine supplémentaire. Au Maroc, vous déclarez un dossier d’agrément d’équipement en quelques minutes, par internet, sur le site de l’ANRT. Entre ARPT et ANRT, il n’y a qu’une lettre qui diffère. Dans les deux cas, on est au Maghreb, mais pas pour autant sur la même planète : à l’ANRT, on fait la promotion des TIC ; à l’ARPT, on fait tout pour les empêcher d’arriver sur le sol national.
De l’information des usagers ou «circulez, y a rien à voir !»
Le ministère des PTIC a marqué sa «volonté» de faire rattraper à notre pays son retard dans l’usage des TIC en concevant le programme e-Algérie 2013. Ce programme, pour espérer réussir, nécessite la présence d’opérateurs alternatifs, tant d’infrastructures que de services et de contenus. Ces opérateurs, mais aussi l’opérateur historique, ont besoin pour construire leurs offres de technologies modernes et innovantes et d’équipements NTIC qui font aujourd’hui cruellement défaut. L’Algérie ne sachant aujourd’hui les produire, il faut bien les importer. Mais grâce à l’ARPT, plus soucieuse de s’inventer des prérogatives et d’épaissir encore une bureaucratie déjà totalement sclérosante, que de contribuer à faire progresser son pays et d’apporter du confort aux usagers, ce programme ambitieux est voué à l’échec. En ne faisant rien pour permettre le développement de nouveaux opérateurs et en freinant au maximum la mise sur le marché de produits et solutions NTIC, l’ARPT est le principal responsable du classement de plus en plus calamiteux de notre pays en matière d’usage des TIC. Pour ne pas effrayer nos concitoyens, nous référerons aux classements antérieurs, car l’Algérie ne cesse de s’enfoncer davantage pour rejoindre la queue du peloton. On attend avec une certaine angoisse les classements à venir pour confirmer que la régression continue.
M. H.
Ancien ingénieur dans une société de NTIC aujourd’hui fermée