Evénements de Ghardaïa : dangereux glissement sémantique de la présidence de la République
On ne peut pas reprocher aux médias français qui décrivent la situation dans la région de Ghardaïa comme des affrontements «entre Berbères et Arabes», leur approche en termes d’«affrontements intercommunautaires», cette terminologie est récurrente dans beaucoup de médias algériens qui traitent de ce problème et elle a été revêtue d’un cachet officiel en étant reprise dans le communiqué de la présidence de la République qui a été publié après la réunion d’urgence convoquée par Bouteflika. Quelles sont ces «communautés» ? Le communiqué présidentiel ne va pas jusqu’à le préciser, mais des médias français affirment, avec des arrière-pensées inavouées, qu’il s’agit des Arabes et des Berbères ou, traduit localement, les Chaamba, d’un côté, et les Mozabites, de l’autre. Notons que les partis politiques de l’opposition n’emploient pas du tout le terme «communauté» dans leurs déclarations à ce sujet. L’Agence officielle de presse, l’APS, elle-même, prend garde, sans toujours réussir, de ne pas tomber dans ce piège et évoque des heurts entre groupes de «jeunes rivaux non identifiés» (autrement dit, on ne sait pas qui ils sont) ou «antagonistes» et, concernant la démarche d’apaisement, elle précise qu’elle émane des «différentes composantes de la société ghardaouie», mais ses dépêches contiennent aussi des formules du type «citoyens de la communauté mozabite». Y a-t-il des «communautés» en Algérie ? Quel sens donner à ce terme ? La tentation de lui substituer celui de «minorités» est suggérée et encouragée par les milieux occidentaux qui misent sur un affaiblissement par émiettement de la société algérienne, ignorant ou feignant de l’ignorer que la cohésion nationale s’est affermie durant la Guerre de libération. L’auteur des paroles de l’hymne national étant lui-même un Mozabite. Il est vrai que les Mozabites ont conservé des caractéristiques (dogme religieux, pratique quasi-exclusive du commerce, langue parlée, etc.) qui les ont longtemps singularisés au sein de la société algérienne. Mais, au fil des années, la tendance à l’intégration a été très forte. En fait, il n’y a jamais eu un véritable rapport d’enquête sur les événements qui secouent Ghardaïa depuis deux ans. Alors, comment peut-on qualifier les affrontements d’«intercommunautaires». Il ne faut pas se laisser aller à la facilité en masquant les responsabilités derrière le glissement sémantique dangereux qui conduit à parler de «communauté mozabite» ou d’«affrontements intercommunautaires», alors qu'il s'agit d'un litige entre des citoyens algériens avant tout. L'approche médiatique des événements de Ghardaïa aggrave la crise. Il faut que nous pesions nos mots pour éviter d'envenimer une situation déjà suffisamment compliquée pour en rajouter.
Kamel Moulfi